jeudi 28 mars 2024
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« Le moteur de Rybolovlev,
c’est la gagne »

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Arnaud Ramsay, publie une enquête sur le président de l’AS Monaco, Dmitry Rybolovlev (1). Fait rare, le milliardaire russe a répondu aux questions de ce journaliste indépendant, spécialiste du football.

L’origine de ce livre ?

Je suis journaliste et spécialiste du foot. J’ai écris plus d’une quinzaine de livres liés au monde du sport. Mais je ne suis pas romancier, c’est la réalité qui m’intéresse. Après avoir travaillé pour des rédactions comme France Football pendant 8 ans ou Le Journal du Dimanche (JDD), j’ai publié des autobiographies. J’ai notamment aidé Bixente Lizarazu, Mourad Boudjellal ou Youri Djorkaeff à rédiger leurs biographies. Actuellement, je travaille avec Antoine Griezmann. Comme le président de l’AS Monaco, Dmitry Rybolovlev, est un personnage assez secret, j’ai décidé d’enquêter à son sujet, avec ou sans sa participation.

Que saviez-vous de Dmitry Rybolovlev ?

Je savais ce que j’en avais lu : une personnalité qui semblait sentir le soufre, un homme devenu milliardaire alors qu’il était simple médecin au départ, le passage par la prison, son arrivée surprise à Monaco… Le fait qu’il tienne les médias à distance le rendait aussi très excitant professionnellement.

L’objectif de ce livre ?

Lorsque j’ai commencé à travaillé sur ce livre, je n’avais aucune idée préconçue. Je ne voulais pas faire une enquête à charge ou à décharge, mais raconter les vies multiples de cet étonnant personnage. J’ai interviewé une soixantaine de personne au total. Des proches de Rybolovlev, mais aussi des ennemis. Le tout, de la façon la plus équilibrée possible.

Comment êtes-vous parvenu à obtenir une interview avec Dmitry Rybolovlev ?

J’ai contacté son entourage en demandant un rendez-vous qui a eu lieu avant un match Monaco-Metz. On m’a emmené à son penthouse, où je me suis retrouvé avec ses gardes du corps. Le contact a été assez clinique. Très professionnel en tout cas.

Comment avez-vous négocié cette interview ?

Je me suis présenté. J’ai raconté mon parcours et je lui ai expliqué pourquoi je voulais faire ce livre. Je lui ai dit qu’en tant qu’ancien patron du service des sports de t, qui a été la propriété du milliardaire russe Sergueï Pougatchev de 2009 à 2014, je pensais ceci : il y a deux façons de perdre de l’argent. En rachetant un journal, ou en rachetant un club de football.

Sa réaction ?

Ça l’a fait sourire. Il ne parle pas français, mais je pense qu’il le comprend très bien. Un traducteur m’a assisté. Et Rybolovlev m’a répondu en russe. L’interview a duré une quinzaine de minutes. Ce qui était évidemment un peu léger pour écrire un livre…

Rybolovlev a posé beaucoup de conditions et a souhaité tout contrôler ?

Non. Il a seulement demandé à pouvoir relire ses propos. Pendant cette enquête, beaucoup de mes interlocuteurs m’ont demandé une relecture de leurs propos. Ce qui ne me choque pas, fondamentalement. Deux mois et demi après cette première rencontre, Dmitry Rybolovlev a finalement accepté de me recevoir sur son yacht qui mouille près de Skorpios, une petite île privée située sur la mer Ionienne. J’ai eu seulement trois jours pour organiser ce voyage. Mais impossible de refuser, bien sûr.

Comment s’est déroulé cette interview ?

Pendant trois heures, j’ai bénéficié d’une liberté totale. J’ai pu aborder absolument tous les sujets que je souhaitais : la prison, qui est un épisode dont il n’avait jamais parlé, l’affaire Bouvier, son enfance, son rapport au football…

Les principales révélations de votre livre ?

Presque chaque chapitre de mon livre pourrait donner lieu à un autre livre, car il y a beaucoup d’affaires dans l’affaire.

Un exemple ?

Lorsque la Ligue de Football Professionnel (LFP) et la Fédération Française de Football (FFF) exigent que l’ASM installe son siège social en France et réclament dans un premier temps 200 millions d’euros, une rencontre est organisée à l’aéroport de Nice. Mais l’échange entre Rybolovlev et le président de la FFF, Noël Le Graët, dure à peine cinq minutes. Le Russe, estimant perdre son temps, s’en va.

Et ensuite ?

Michel Denisot, qui a dirigé le PSG et reste actif dans le football, rencontre une première fois Rybolovlev pendant le festival de Cannes 2013. Il lui organise quelques rendez-vous avec des présidents de clubs, comme Vincent Labrune pour l’Olympique de Marseille (OM) ou Nasser Al-Khelaïfi pour le Paris Saint-Germain (PSG). Fort de ses bonnes relations avec Le Graët, il se charge de faire l’entremetteur pour fluidifier les relations du club avec les instances. Il envoie au final une facture de 100 000 euros pour ses prestations. Elle ne sera jamais honorée et le journaliste ne s’en formalisera pas, d’autant que la tentative de médiation n’a débouché sur rien. Clin d’oeil : depuis, Denisot a été désigné représentant de la FFF au conseil d’administration de la Ligue !

Que proposait Michel Denisot ?

A défaut de faire baisser le montant exigé réclamé par la Ligue, il suggère, via le patron de la FFF, que Monaco pourrait accueillir un match des Bleus. Ou que le milieu de terrain Gianni Imbula, qui évolue à Guingamp (2) dont Le Graët a été le président, soit transféré sur le Rocher. Finalement Imbula choisira Marseille. Et la France ne jouera pas au stade Louis II.

Dmitry Rybolovlev a fait de la prison en 1996 : comment a-t-il vécu ses 11 mois de prison ?

Dmitry Rybolovlev est resté très proche de ses parents qui étaient médecin et enseignant. Voir leur fils mis en prison suite à une accusation de meurtre a été très difficile pour eux. Un ami de Rybolovlev, Dmitry Chechkin, m’a confié que la seule fois où il l’a vu pleurer, c’était lors d’un repas organisé à sa sortie de prison, avec ses parents. Ce qui montre que le contrecoup a été fort. Il faut dire qu’il a passé 11 mois, enfermé dans un cachot avec une douzaine de détenus et avec des problèmes de santé. Il a vu des gens mourir sous ses yeux.

Quel est le contexte ?

Lorsqu’il est incarcéré, comme le procès n’a pas eu lieu, il ignore s’il va rester quelques mois en prison ou des années. Il faut savoir que celui qui l’a accusé de meurtre, et qui a un passé sulfureux, est d’ailleurs toujours incarcéré…

Rybolovlev a été très marqué par la prison ?

Lorsqu’il m’en a parlé, c’était comme s’il s’agissait d’une histoire qui n’était plus la sienne. Il m’a glissé quelques anecdotes, presque en souriant un peu. Peut-être pour exorciser cet épisode ? Même s’il est de culture orthodoxe, Rybolovlev était peu religieux avant la prison. Mais dès sa sortie, il est allé se faire baptiser.

D’où vient Rybolovlev ?

Il a grandi au 5ème étage d’un immeuble sans charme, à Perm, une ville où je me suis rendu, qui se trouve à 2 heures de Moscou. Là, on est presque en Asie et pas très loin de la Sibérie. Quand on voit qu’aujourd’hui il vit à Monaco, qu’il fréquente l’île de Skorpios, qu’il rachète la villa de Will Smith à Hawaï et une maison qui a appartenu à Donald Trump, on mesure le chemin qu’il a parcouru.

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C’est quel genre d’homme ?

Il est assez grand, environ 1m85. Quand il parle, il scrute son interlocuteur, comme s’il fouillait à l’intérieur de son cerveau. C’est quelqu’un de brillant. Et on sent bien que son temps est précieux, qu’il ne faut pas s’éparpiller lorsqu’on s’adresse à lui. Il faut aller à l’essentiel. Je pense qu’il peut être dur et exigeant. Il sait ce qu’il veut.

Dmitry Rybolovlev n’est pas né riche : comment l’est-il devenu ?

Il a fait fait 7 ans d’étude de médecine. J’ai pu interroger la rectrice de l’académie de Perm, là où enseignait son père. Son père est d’ailleurs en photo parmi ceux qui ont marqué ce lieu. C’est là que Rybolovlev a rencontré celle qu’il épousera. Au moment où la Russie se libéralisait, et où ce qui appartenait à l’Etat pouvait basculer dans le secteur privé, il a ouvert un cabinet d’ondes magnétiques avec son père.

Et ensuite ?

Il est parti à Moscou prendre des cours d’économie. Il s’est associé avec un certain nombre de personnes et il est devenu propriétaire d’entreprises qui étaient alors cédées à la découpe. Puis, il en a racheté d’autres et il a étendu son territoire. Il a repéré Uralkali, une entreprise productrice de potassium, dont il a pris le contrôle et qu’il a fini par introduire en bourse.

La fortune de Rybolovlev est alors virtuelle ?

Lorsque le pouvoir en place lui a fait comprendre que ce serait bien de revendre Uralkali, l’entreprise a été morcelée et cédée à trois personnes. L’actionnaire majoritaire est devenu le milliardaire russe Suleyman Kerimov, le président du FK Anzi Makhatchkala, le club de foot de sa ville natale, qui a notamment recruté Samuel Eto’o en lui versant 9 millions de dollars de salaire annuel. C’est comme ça que Dmitry Rybolovlev s’est retrouvé milliardaire, alors qu’il avait seulement la quarantaine.

Pourquoi Dmitry Rybolovlev a investi dans Monaco, alors qu’il avait sans doute d’autres propositions ?

Quand on a beaucoup d’argent, les émotions sont ce que l’on recherche le plus. Plus jeunes, il a fait du judo et du hockey sur glace. Un peu de football aussi, mais très peu. Le président du club de Chelsea, Roman Abramovitch, l’a invité dans une loge de Stamford Bridge assister à un match. C’est là qu’il a découvert le monde du football, les vibrations, les stars, les à côtés… Et il s’est dit qu’un jour, lui aussi, il serait président de son propre club.

Des clubs lui sont alors proposés ?

Oui. On lui propose quelques clubs, comme le Dynamo Minsk, par exemple. À l’époque, il vit en Suisse, à Coligny. Mais la Suisse, ce n’est pour lui que des mauvais souvenirs. C’est là qu’il vit lorsqu’il est emprisonné et c’est aussi le pays où réside son ex-femme. Donc plusieurs mois avant de racheter l’AS Monaco, il a décidé de s’installer en Principauté. Car il sait qu’il y trouvera de la discrétion, des compatriotes russes, le respect de sa vie privée, le soleil, la mer, la sécurité…

Comment Rybolovlev est arrivé en Principauté ?

En 2011, comme l’AS Monaco occupait les dernières places de la Ligue 2 (L2), Jean-Marc Goiran, le co-fondateur de Jess Group, une entreprise implantée à Monaco et Willy de Bruyn, administrateur de la Société des bains de mer (SBM) et conseiller de Dmitry Rybolovlev, ont soulevé l’idée d’une vente du club. Jean-Marc Goiran imagine l’ancien joueur de l’ASM Marcello Gallardo au poste d’entraîneur et Youri Djorkaeff comme directeur sportif.

Dmitry Rybolovlev a tout de suite indiqué qu’il était très ambitieux pour l’ASM et qu’il injecterait beaucoup d’argent ?

Tor-Kristian Karlsen, l’ancien directeur général exécutif de l’ASM, m’a confirmé que lorsque le club jouait en Ligue 2 (L2), il était allé aux Etats-Unis pour essayer de recruter David Beckham. Beckham en L2, ça aurait été magique ! L’idée derrière cette opération, c’était aussi de montrer ses muscles et de démontrer que le club était ambitieux.

Dmitry Rybolovlev a toujours envie de devenir monégasque ?

Je ne pense pas qu’il ait besoin de devenir monégasque, car il possède déjà un passeport russe et un passeport chypriote. Il en a envie, oui. Mais ce n’est pas un combat, ni un chantage.

Comment vit-il les multiples rebondissements autour de l’affaire Bouvier ?

Lorsque Dmitry Rybolovlev fait confiance, il fait totalement confiance. Mais à partir du moment où il s’estime trahi, c’est rédhibitoire et c’est la guerre. Pour l’affaire Bouvier, c’est exactement ça, car il s’est senti doublement trahi. Tania Rappo (3), qui est marraine de la deuxième fille de Rybolovlev et donc très proche de sa famille, est aussi celle qui lui a présenté Yves Bouvier. S’estimant berné par Bouvier, Rybolovlev estime que la clé de ce dossier, c’est Tania Rappo.

Vous avez parlé aux autres protagonistes de cette affaire ?

La défense de Tania Rappo paraît convaincante. J’ai essayé d’interroger Yves Bouvier, et j’ai pu parler avec ses avocats. C’est une affaire qui n’est pas prête de retomber, puisqu’elle se déplace à Singapour, à Hong Kong, à Genève…

Rybolovlev est confiant dans ce dossier ?

Les deux parties semblent confiantes, ce qui fait partie du jeu. Il y a de l’intox, des rebondissements… Pour l’instant, j’ai l’impression que le président de l’AS Monaco mène aux points. En tout cas, il s’est vraiment senti trahi et il est désormais impossible de faire machine arrière.

Même si elle a éclaté après le bouclage de votre livre, l’affaire des Football Leaks révélée notamment par Mediapart, éclabousse Rybolovlev, tout comme son club ?

Mediapart fait un travail remarquable et salutaire. Après, il ne faut pas être naïf non plus. Beaucoup de clubs ont été égratignés par ces Football Leaks, dont le PSG en France. Le personnage clé dans ces Footleaks, c’est l’agent de joueurs portugais, Jorge Mendes.

Quels rapports Jorge Mendes entretient-il avec Monaco ?

C’est plutôt le vice-président de l’AS Monaco, Vadim Vasyliev, qui m’en a parlé, mais c’était avant que le scandale des Football Leaks n’éclate. Sans juger la probité des uns ou des autres, Mendes est un personnage fascinant. Il a été la porte d’entrée à Monaco pour des joueurs comme Joao Moutinho, Ricardo Carvalho ou James Rodriguez. Vasyliev et Rybolovlev était d’ailleurs invités au mariage de Mendes, ce qui n’est pas anodin. Mais Rybolovlev n’y est pas allé.

Qui a rencontré en premier Jorge Mendes ?

À la demande de Rybolovlev, Tor-Kristian Karlsen est allé à Madrid pendant l’automne 2012 pour rencontrer Jorge Mendes. Fasciné par Cristiano Ronaldo, Rybolovlev voulait alors enrôler cet attaquant portugais à Monaco. Cristiano Ronaldo ne viendra pas, mais il est parvenu à faire signer Joao Moutinho, Ricardo Carvalho, James Rodriguez, Fabinho et Radamel Falcao contre 130 millions d’euros. C’est comme ça qu’ils ont commencé à travailler avec Jorge Mendes.

Aujourd’hui, Dmitry Rybolovlev y croit vraiment lorsqu’il dit espérer faire de grandes choses en Ligue des Champions avec l’AS Monaco ?

Il y a peut-être un peu de méthode Coué. Mais Rybolovlev a investi beaucoup d’argent dans le club. Du coup, il estime qu’il n’y a pas de raison que le PSG grignote tout. Et gagner la Coupe de la Ligue ou la Coupe de France, c’est un peu moins prestigieux que de remporter le championnat… Alors, il a cette conviction. Depuis quelques années, les résultats de Monaco sont remarquables. Ils n’ont pas gagné de titres, mais ils n’en sont pas loin. Le moteur de Rybolovlev, c’est l’ambition, c’est la gagne. Un peu comme un sportif de haut niveau. Oui, il veut gagner et il peut y arriver.

S’il n’y parvient pas, il pourrait vendre l’AS Monaco ?

Il ne m’en a pas parlé frontalement. Aujourd’hui, Rybolovlev est président de l’équipe où il habite. Je ne l’imagine pas partir demain à Milan. Bien sûr, si le club était en crise, il pourrait, pourquoi pas, se lasser un jour. Ou si de trop gros freins apparaissent, comme le dossier de la rénovation du stade Louis II. Ou la restructuration du centre d’entraînement de La Turbie, un sujet pour lequel la Principauté voudrait que Rybolovlev paie tout sans être propriétaire ensuite… Tout ça pourrait le décourager. Mais on en est très loin aujourd’hui.

Il est tenté par l’Angleterre ?

Tout est possible dans le football. Il pourrait chercher à s’étendre et s’intéresser à la Premier League, comme son intérêt pour le club anglais de Reading l’a démontré en février 2016. Être patron de l’AS Monaco ne l’empêchera pas d’investir peut-être un jour en Angleterre.

 

(1) Dmitry Rybolovlev, le roman russe du président de l’AS Monaco, d’Arnaud Ramsay (Cherche Midi, collection « documents »), 258 pages, 17 euros. Sortie le 2 février.
(2) Guingamp a été présidé par Noël Le Graët de 1972 à 1977, puis de 2002 à 2011.
(3) Proche de Dmitry Rybolovlev et de son ex-femme, marraine d’une de leurs deux filles, Tania Rappo avait mis le président de l’AS Monaco en contact avec le marchand d’art, Yves Bouvier.