Présentée le 13 juillet au conseil national, la proposition de loi visant à interdire, sanctionner et prévenir les discriminations à Monaco a divisé les élus. Alors que certains parlementaires craignent la mise en péril des priorités accordées aux nationaux, d’autres pointent du doigt le risque de recours devant les tribunaux internationaux.
On le sait. Les observateurs internationaux veillent au grain. En matière de lutte conte les discriminations, Monaco est depuis quelques années dans le viseur du conseil de l’Europe et des instances onusiennes. Dernières alertes en date?: les experts de l’ECRI (1) qui ont épinglé dans deux rapports — l’un datant de mai 2007, l’autre de février 2011 — les carences législatives monégasques dans ce domaine. Mais un tournant majeur a commencé à s’opérer. Le 13 juillet, l’avocat et élu Jean-Charles Gardetto a présenté au conseil national une proposition de loi posant un principe général de non discrimination à Monaco. En substance, ce texte, à portée très large, vise à sanctionner « la discrimination fondée sur l’origine, le sexe, l’orientation sexuelle, l’âge, la situation de famille, l’appartenance à une ethnie ou une race ». Ou encore en raison « des convictions religieuses, des opinions politiques, des activités syndicales, du patronyme ou du handicap ». Dans un autre volet, l’avocat a souhaité également graver dans le corpus juridique monégasque « l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes » notamment au travail. La proposition de loi prévoit enfin une protection des salariés contre le harcèlement moral ou sexuel au travail. « Ce texte constitue une base indispensable face au vide juridique qui existe aujourd’hui. Il inscrit Monaco dans la logique de ses engagements internationaux », a expliqué l’avocat.
Recours devant la CEDH
Un dépoussiérage et une mise au norme du droit monégasque qui tombent sous le sens selon l’élu. Mais tous ne l’entendent pas de la même oreille. Si la lutte contre le harcèlement a trouvé un large consensus au conseil national, les craintes se sont presque exclusivement portées sur le volet « lutte contre les discriminations. »
Des craintes d’abord exprimées par le ministre d’Etat, qui a d’emblée donné le ton. « Sur le plan des principes, le gouvernement est déterminé à lutter contre les discriminations. Même si notre pays ne vit pas dans un climat de discriminations et de xénophobie », a expliqué Michel Roger. Avant de nuancer?: « Le texte ne doit pas mettre en péril la priorité des nationaux et les spécificités monégasques. La transposition de dispositions du pays voisin sans tenir compte de notre identité monégasque est une mauvaise chose ». Une préoccupation que le juriste Jean-Charles Gardetto, taxé par les plus récalcitrants d’être « prisonnier d’une idéologie », a plusieurs fois tenter de lever. « Le texte omet volontairement la nationalité monégasque des critères de discrimination. Ce qui signifie donc que la priorité accordée aux Monégasques ne constitue pas une discrimination prohibée par la loi », a martelé l’élu. Dans les rangs de l’opposition, on s’inquiète davantage de l’impact international d’un tel texte et des recours possibles devant les tribunaux européens. « Il ne s’agit pas ici de s’élever contre un principe qui est intrinsèquement lié aux notions d’intégration et d’humanisme, que nous partageons tous ici, mais de s’interroger sur la nécessité d’une loi dans un pays de 35?000 habitants, qui compte près de 120 nationalités différentes, avec 8?000 nationaux qui jouissent d’avantages non négligeables pouvant paraître discriminatoires aux yeux de rapporteurs étrangers », a expliqué l’élu de R&E Christophe Steiner, pour qui ce texte expose à un risque de « recours formulés devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). » Une crainte partagée par son collègue Marc Burini?: « J’aurais besoin de certitudes quant au caractère inattaquable de nos spécificités si une telle loi venait à passer. Je ne suis pas certain à 100 % que des requêtes, des recours ne soient pas envisageables et plus grave, ne puissent aboutir. Il faut examiner les chances de succès du requérant éventuel avant de jouer aux apprentis sorciers et de faire prendre un quelconque risque à nos compatriotes et à nos résidents, a expliqué l’élu d’opposition. Sachant que des particuliers, des ONG, des associations font des recours quotidiens avec des armadas d’avocats auprès de la CEDH, avant de se prononcer sur un tel texte, il faut prendre l’avis d’éminents juristes spécialisés en droit international public sous peine d’ouvrir la boîte de Pandore. » Enfin pour le sans-étiquette Christophe Spiliotis Saquet, cette proposition de loi serait le risque de voir se multiplier « les recours de tous ceux qui se sentiront lésés par la priorité nationale ».
« Aucun problème de discriminations »
Une fois n’est pas coutume, pour étayer ses arguments, Christophe Steiner a d’ailleurs rappelé la position de Stéphane Valeri sur ce sujet sensible. Dans une interview accordée à Monaco Hebdo (MH n° 713), le conseiller aux affaires sociales avait indiqué qu’il avait toujours été « hostile aux effets pervers qu’entraînerait une proposition de loi sur la discrimination. » Affirmant au passage qu’il « n’y a aucun problème de discrimination par rapport à la race, aux convictions religieuses, politiques, ou aux comportements sexuels à Monaco ». Des idées partagées par l’opposition. Ce qui a eu le don d’agacer les défenseurs du texte. « A entendre certains, Monaco n’aurait pas besoin d’une telle loi. Mais nous ne sommes pas au village des Schtroumpfs. Une loi participe aussi à l’éducation dans une société moderne », a répliqué Guillaume Rose. Même raisonnement pour Jean-Charles Gardetto. « C’est comme dire, étant donné qu’il n’y pas d’assassinat à Monaco, nous n’avons pas besoin de code pénal. C’est absurde ». La proposition de loi a eu au moins le mérite d’ouvrir le débat…