jeudi 18 avril 2024
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Heinz Beck : «  Cuisiner, c’est donner des émotions  »

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Heinz Beck, 54 ans, trois étoiles Michelin à la Pergola à Rome, sert sa cuisine en soirée au restaurant Odyssey, au Métropole, de juin à septembre. Il explique à Monaco Hebdo pourquoi il a accepté l’invitation de Joël Robuchon et de son lieutenant sur place, Christophe Cussac. Interview en duo, avec Heros De Agostinis, son chef exécutif.

Depuis vos débuts, quelles sont les étapes qui vous ont le plus marqué ?

Heinz Beck : Ce qui a été important dans ma carrière, c’est mon installation à Rome, en 1994. Lorsque je suis arrivé en Italie, j’avais déjà 16 ans de métier derrière moi (1). Je n’étais donc plus un débutant. Mais en arrivant à Rome, j’ai dû reconsidérer ma façon de cuisiner. Car auparavant, j’ai travaillé en Allemagne et en Espagne, et ma cuisine était alors plutôt basée sur un style influencé par les basiques de la cuisine française.

Comment avez-vous travaillé une fois installé à Rome ?

Heinz Beck : Les Italiens ont une manière très personnelle de travailler leurs plats. Face à ce constat, j’ai revu le style de cuisine que j’avais développé jusqu’alors. C’est le plus gros changement de toute ma carrière. J’ai inclus la tradition culturelle et culinaire de la Méditerranée, que j’ai couplé à mes connaissances et à ma technique. C’est cette cuisine que je propose dans huit restaurants Heinz Beck dans le monde désormais (voir notre encadré).

Quels sont les chefs qui vous ont le plus influencé ?

Heinz Beck : J’ai été sous-chef à la Residenz Heinz Winkler, un deux étoiles à Aschau (Allemagne) de septembre 1991 à septembre 1993. Mais c’était il y a près de 25 ans. Après, je suis devenu chef. Et j’ai alors développé ma propre façon de cuisiner.

Ce qui vous a convaincu de venir à Rome, en 1994 ?

Heinz Beck : J’ai eu l’opportunité d’apprendre une nouvelle langue et une nouvelle culture. Au départ, je voulais rester deux ou trois ans. Mais aujourd’hui, ça fait 23 ans que je suis à Rome. Et en 23 ans, j’ai pu former beaucoup de chefs, comme Heros De Agostinis, qui est l’un des premiers que j’ai formé et qui travaille jusqu’en septembre au restaurant Odyssey. Heros a débuté avec moi en 1995.

Comment travaillez-vous avec vos équipes ?

Heinz Beck : La cuisine, c’est vraiment un travail d’équipe. C’est un peu comme dans une équipe de foot. Si on a un seul joueur extraordinaire, on peut espérer gagner un ou deux matches. Mais pour gagner le championnat, il faut une équipe entièrement composée de joueurs extraordinaires.

Le discours que vous tenez à vos équipes ?

Heinz Beck : Les gens avec qui je travaille doivent croire en quelque chose. Il faut donc leur donner un rêve, dans lequel ils pourront croire. Et à partir de ce moment là, les gens adhèrent et me suivent.

Vous avez épousé une Sicilienne, vous êtes aussi tombé amoureux de l’Italie, au point de ne plus vouloir quitter Rome ?

Heinz Beck : On ne choisit pas son lieu de naissance. En revanche, on peut choisir l’endroit où l’on veut vivre. Au départ, je n’étais pas vraiment désireux d’aller vivre à Rome. Mais après avoir vu cette ville, j’ai changé d’avis. Et je me suis dit que je pouvais rester à Rome quelques temps. Aujourd’hui, ça fait 23 ans que j’y suis. J’y ai mes racines. Je n’ai jamais vécu aussi longtemps dans une même ville.

Vous pourriez partir de Rome ?

Heinz Beck : J’ai épousé une Italienne, donc partir me semble compliqué… Mais on ne sait jamais ce qu’il peut se passer dans la vie. Cependant, sauf énorme catastrophe, je ne pense pas quitter Rome, qui est une ville fantastique.

Vraiment ?

Heinz Beck : Je travaille dur à Rome. Mais dès que je quitte le restaurant, c’est un peu comme lorsqu’on est en vacances. La ville est magnifique, la lumière est très belle. Et puis, il y a toutes ces senteurs méditerranéennes, ce charme… Les places sont remplies de monde. Surtout à cette période de l’année, le soir, lorsque toute la ville devient rouge avec le soleil qui se couche… C’est fantastique.

Comment décrire votre style de cuisine ?

Heinz Beck : Légère, saine et digeste. C’est une cuisine influencée par les senteurs méditerranéenne. Ces dernières années, j’ai multiplié les collaborations avec de très grands médecins. Je ne suis pas médecin et je ne peux donc pas vous prescrire un régime. Mais je peux préparer des plats faciles à digérer.

C’est devenu quelque chose de très important ?

Heinz Beck : Oui. Parce que nous sommes ce que nous mangeons. On doit donc manger pour être plus solide, mais aussi pour prévenir certaines maladies. Car aujourd’hui, de nouvelles maladies apparaissent à cause d’une mauvaise alimentation.

Que réclament vos clients ?

Heinz Beck : Les gens ne viennent pas au restaurant pour faire un régime. Ils viennent pour se faire plaisir. Mais ils veulent aussi une cuisine saine, avec du goût. Cuisiner, c’est donner des émotions. Et les vraies émotions ne mentent pas.

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© Photo Janez Puksic
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© Photo Janez Puksic

Votre idée, c’est aussi de revisiter des plats traditionnels, comme les pâtes cacio e pepe (fromage et poivre), la coda alla vaccinara (queue de bœuf) ou l’agnello con carciofi (agneau aux artichauts) ?

Heinz Beck : Chaque chef doit rendre hommage au lieu où il travaille. Mais il faut le faire avec beaucoup de précaution. Quand on veut revisiter un plat traditionnel, il faut parvenir à faire en sorte que le client finisse par vous dire que c’est meilleur que l’original. Et que ça lui rappelle son enfance.

Vos étoiles Michelin à La Pergola (2), à Rome, ont changé quoi ?

Heinz Beck : Il est difficile de décrocher une étoile au Michelin, mais il est tout aussi difficile de les garder. Donc chaque année, c’est un nouveau challenge et une motivation pour qu’on fasse mieux, avec toute mon équipe. Quand on a obtenu notre première étoile, en 1996, on ne s’y attendait vraiment pas. Et on a fait une très grosse fête.

Et votre troisième étoile, en 2005 ?

Heinz Beck : On l’a appris lors d’un direct, à la télévision, dans l’émission Porta a Porta, diffusée sur la Rai. C’était fou ! Tout le monde m’a sauté dessus, j’étais par terre, la joie était tellement intense… Aujourd’hui, en 2017, il n’y a que huit restaurants avec trois étoiles Michelin en Italie. Et La Pergola a été le premier à Rome. C’était donc un moment historique.

Un Allemand qui fait la promotion de la cuisine italienne, ce n’est pas courant !

Heinz Beck : Je suis européen. Personne ne m’oblige à promouvoir la cuisine italienne. Mais je le fais parce que je suis convaincu par les qualités de cette cuisine. La richesse de l’Europe, c’est précisément que nous ne sommes pas tous pareils. Il n’y a pas beaucoup d’endroits dans le monde avec une créativité et une culture si riche que la culture européenne. Tout cela, personne ne peut nous le reprendre.

Pourquoi venir cuisiner à Monaco ?

Heinz Beck : Joël Robuchon m’a contacté via l’hôtel Métropole. C’est quelqu’un de très intelligent. C’est important de montrer qu’en cuisine, tout est possible. Que deux grands chefs, avec une cuisine d’inspiration française et une cuisine d’inspiration italienne, peuvent travailler ensemble, sous un même toit.

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© Photo Janez Puksic
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© Photo Janez Puksic

Votre mission ici ?

Heinz Beck : Rendre les clients heureux. Tout le reste est secondaire. À midi, l’Odyssey est réservé aux clients de l’hôtel et c’est la cuisine de Joël Robuchon qui est servie. Le soir, de juin à septembre, je signe la carte de l’Odyssey, pour laquelle j’ai eu carte blanche (3).

Avec quels plats comptez-vous rendre les clients heureux ?

Heinz Beck : Par exemple, avec un Pinzimonio 2017, qui est une crudité de légumes parfumés à la tomate et au basilic. Ce plat végétarien est à la fois sain, léger et très rafraîchissant. C’est riche en antioxydants, en vitamine C… C’est un très beau plat d’été.

Heros De Agostinis : On met de l’huile d’olive, un peu de sel et de poivre. C’est très simple.

Vous serez en personne à Monaco, de juin à septembre ?

Heinz Beck : Mon chef exécutif, Heros De Agostinis, est quelqu’un d’extrêmement professionnel, en qui j’ai toute confiance. C’est lui qui sera là de juin à septembre, entouré de 7 personnes de mon équipe, venues de Rome. Je viendrai en Principauté environ deux fois par mois. Le mois dernier, je suis venu trois fois à Monaco.

Heros De Agostinis : Je suis en effet le chef résident de l’Odyssey jusqu’à septembre.

À votre tour, vous allez inviter Joël Robuchon et Christophe Cussac à Rome ?

Heinz Beck : Ma porte leur est bien entendu ouverte ! Comme ils m’accueillent, je suis prêt à les accueillir, s’ils le souhaitent.

Assumer et assurer la cuisine d’Heinz Beck, c’est aussi une forme de pression ?

Heros De Agostinis : Je travaille avec Heinz Beck depuis une vingtaine d’années, je le connais très bien. Je me demande même si je ne le connais pas mieux que je ne me connais moi-même (il rit) ! Sa cuisine est aussi la mienne.

Comment a évolué Heinz Beck, depuis vos débuts avec lui à Rome, en 1995 ?

Heros De Agostinis : Lorsque j’ai commencé à travailler avec lui, Heinz Beck était seulement un chef, il était concentré là-dessus. Au fil du temps, son rôle a évolué. Aujourd’hui, il est aussi devenu un grand manager. Je sais ce qu’il veut. Donc il me fait confiance et je m’occupe de l’ouverture de restaurants pour lui. C’est donc moi qui vais assurer le service de l’Odyssey, 7 jours sur 7, en soirée uniquement.

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© Photo L. Galaup

Pourquoi avoir ouvert des tables à votre nom à Tokyo, au Portugal et à Dubaï (voir notre encadré) ?

Heinz Beck : Pendant longtemps, je suis uniquement resté concentré sur la Pergola, à Rome. Je faisais seulement un peu de conseil : comment améliorer sa cuisine, comment construire une brigade efficace en cuisine, comment organiser un restaurant… Et une fois que tout fonctionnait correctement, je partais. Personne ne savait que j’étais intervenu. Mais un jour, je me suis dit : plutôt que de travailler en coulisses, pourquoi ne pas diriger d’autres restaurants ?

Comment se sont passés vos débuts ?

Heinz Beck : J’ai commencé par des restaurants en Italie, à Pescara en 2009, puis à Sienne en 2013. Ça a été un succès. Du coup, j’ai décidé de continuer dans d’autres pays. Notamment en Algarve, au Portugal. Et puis à Dubai, et au Japon. Certains restaurants sont à moi, d’autres sont en gérance, alors que pour d’autres, je fais du conseil.

C’est un choix obligé ?

Heinz Beck : Comme notre monde devient de plus en plus global, il est important de disposer d’une présence internationale. Mais c’est beaucoup, beaucoup de travail. C’est un sacré challenge. Tous ces restaurants sont chapeautés par Beck & Maltese Consulting. Maltese, c’est ma femme. C’est elle qui dirige cette entreprise. Elle gère toute la partie administrative. Et moi, je m’occupe de tout ce qui est opérationnel. Nous n’avons pas d’autres actionnaires. C’est assez original, mais dans Beck & Maltese Consulting, il n’y a qu’elle et moi.

Aujourd’hui, un chef est donc obligé d’être aussi un chef d’entreprise ?

Heinz Beck : Ça ne date pas d’aujourd’hui. Ça a toujours été le cas. Car pour réussir, il faut aussi être un businessman. Sinon, à mesure que vous ouvrirez des restaurants, vous les fermerez.

Vos projets ?

Heinz Beck : Je travaille actuellement sur trois dossiers. Mais rien n’est encore signé pour le moment.