mercredi 24 avril 2024
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Isabelle Rouquette-Vincenti : « Dans un service de réanimation, on perd complètement la notion du temps »

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Depuis mars 2020 et le début de la pandémie de Covid-19, plus de 600 personnes victimes du Covid-19 sont passées par le centre hospitalier princesse Grace (CHPG). Certaines ont été admises en réanimation, mettant peu à peu ce service sous tension. Isabelle Rouquette-Vincenti, cheffe de service anesthésie-réanimation, et Sophie Albertini, cadre supérieure de santé au CHPG, racontent à Monaco Hebdo comment il a été possible de faire face. Et détaillent ce qui fait la spécificité de ces unités pas comme les autres.

Comment définir un service de réanimation ?

Isabelle Rouquette : Un service de réanimation peut avoir plusieurs définitions. Dès que l’on arrive en réanimation, on parle de défaillance vitale. Quand il y a une seule défaillance vitale, cela concerne une unité de soins continus. Lorsqu’il s’agit de faire face à plusieurs défaillances vitales, par exemple neurologiques, cardiaques et respiratoires, on parle alors de service de réanimation.

Il existe plusieurs types de services de réanimation ?

I.R. : Effectivement. Il y a d’abord les services de réanimation médicale, où on ne fait que de la médecine, pour traiter les pneumopathies, par exemple. Ensuite, il y a les services de réanimation chirurgicale, qui concernent ce qui relève du post-opératoire. On peut aussi citer les services de réanimation polyvalents. Au centre hospitalier princesse Grace (CHPG), nous sommes un service de réanimation médico-chirurgical. Il existe aussi des services de réanimation hyper spécialisés, très pointus, qui font, par exemple, de la réanimation post-opératoire de greffe ou respiratoire.

En service de soins continus et en réanimation, le taux d’encadrement moyen est de combien ?

I.R. : Des textes fixent précisément le ratio de soignants nécessaires. Pour les soins continus, il faut une infirmière pour quatre patients, et une aide-soignante pour six patients. En réanimation, il faut une infirmière pour deux patients et demi, et une aide-soignante pour quatre patients.

© Photo CHPG

« Dans 90 % des cas, un patient Covid est admis en réanimation lorsqu’il n’a plus assez d’oxygène dans le sang pour alimenter tous les tissus et les organes de son corps. Il est alors en détresse respiratoire »

Quel type de matériel suppose un service de réanimation ?

I.R. : Un lit de réanimation est un lit particulier, un peu plus grand que les lits médicaux habituels. Un patient qui est en réanimation, ou en soins intensifs, est “monitoré” 24 heures sur 24. Pour cela, nous utilisons un électrocardioscope, appelé « scope ». C’est un moniteur qui « résume » l’état du patient : il donne la tension, l’électrocardiogramme, la saturation et tous les autres critères que l’on souhaite. Nous disposons aussi d’une batterie de pousse-seringues pour programmer l’administration d’un médicament dans le temps. L’objectif est de pouvoir faire face à toutes les défaillances, il faut donc aussi un respirateur. Alors que pour les défaillances rénales, il faut pouvoir dialyser. Bref, pour chaque défaillance, nous devons être capables de mettre en place un matériel capable de remplacer l’organe qui ne fonctionne pas.

Il y a combien de lits de réanimation au CHPG ?

I.R. : Au CHPG, en temps normal, nous avons huit lits de réanimation équipés. Avec la pandémie de Covid-19, depuis octobre 2021, nous disposons de huit lits de réanimation et de quatre lits de soins continus. Chaque chambre est individuelle. Ensuite, nous sommes montés en puissance. Nous avons ouvert huit lits de soins continus Covid. Et nous avons ouvert une réanimation pour les autres malades de l’hôpital qui est de cinq lits. Pour cela, nous avons transformé le bloc orthopédique en réanimation.

Du coup, vous avez dû recruter du personnel de réanimation ?

Sophie Albertini : Nous avons mixé les équipes. Au CHPG, nous avons des suppléants qui nous aident en cas d’absentéisme. Parmi ce pool de suppléants, nous avons fait appel à des infirmiers que nous avons formés. De plus, nous avons utilisé une ressource que nous avons en interne, qui sont les infirmières-anesthésistes, et qui sont normalement dédiées au bloc opératoire. Mais comme nous avons fermé le bloc orthopédique pour y faire de la réanimation, nous avons fait appel à ce personnel qui dispose d’énormes compétences en réanimation.

« Nous ne pouvons pas ouvrir davantage de lits de réanimation. Ce n’est pas un problème de lits, mais de personnel. Nous sommes au maximum. Car cela nécessite du personnel compétent »

Au CHPG, combien de personnes travaillent en réanimation ?

S.A. : Actuellement, avec le Covid-19, pour le personnel paramédical, il y a sept personnes, avec quatre infirmiers et trois aides-soignants pour huit lits, de jour comme de nuit. Et en unité de soins continus, nous avons deux infirmiers et un ou deux aides-soignants. Et même plus, selon l’état de santé des patients. Globalement, chaque jour, il y a environ 30 personnes qui travaillent au CHPG sur la réanimation, les soins critiques et la réanimation classique.

I.R. : Comme on assure aussi la réanimation polyvalente, il y a donc une autre équipe installée dans le bloc d’orthopédie. Dans un service de réanimation, il faut prévoir un médecin pour quatre malades. Depuis plusieurs mois, dans notre unité de réanimation, nous avons deux médecins de garde chaque nuit. On ressent une nette amélioration actuellement, donc on espère pouvoir alléger ce dispositif. Mais il faut rester prudent, et ne pas baisser notre vigilance trop tôt.

D’autres lits de réanimation existent à Monaco ?

I.R. : Le centre cardio-thoracique de Monaco dispose de sept à huit lits de réanimation cardiaque.

Dans quel cas un patient Covid est admis en réanimation ?

I.R. : Dans 90 % des cas, un patient Covid est admis en réanimation lorsqu’il n’a plus assez d’oxygène dans le sang pour alimenter tous les tissus et les organes de son corps. Il est alors en détresse respiratoire. Il ne parvient plus à compenser, et à avoir suffisamment d’oxygène dans le sang et dans les cellules. Lorsque la saturation, c’est-à-dire l’évaluation de l’oxygénation du sang, est trop basse, le patient a alors besoin de grosses doses d’oxygène. Une personne saine et au repos, qui respire normalement, a besoin de trois à sept litres d’air par minute. Les grands sportifs peuvent même aller jusqu’à neuf litres. Dans l’air, il n’y a que 21 % d’oxygène. Or, certains de nos patients vont avoir besoin de 100 % d’oxygène pour arriver à avoir une saturation suffisante.

Comment les réanimateurs gèrent les afflux de patients graves ?

I.R. : Nous n’avons pas manqué de lits de réanimation, parce que nous avons su réagir à temps. Nous avions normalement huit lits de réanimation et quatre lits dans notre unité de soins continus. Ensuite, nous avons donc ajouté quatre lits supplémentaires en soins continus. Et après, nous avons ouvert notre deuxième unité de réanimation. Le personnel s’est mobilisé, et ils ont réussi à équiper quatre lits de soins intensifs en quelques heures seulement. Du coup, lorsque l’afflux de patients Covid est arrivé, nous avons toujours pu faire face.

Vous avez dû déprogrammer d’autres activités, notamment des opérations chirurgicales, pour créer davantage de lits consacrés à la réanimation de patients victimes du Covid-19 ?

I.R. : Pour faire face au Covid-19, nous avons en effet dû déprogrammer certaines activités. Nous avons stoppé le bloc opératoire d’orthopédie. Toutes les interventions non urgentes ont été décalées, comme la chirurgie bariatrique ou esthétique, par exemple. En revanche, tout ce qui était oncologique a été maintenu. Il a fallu tout repenser et tout réorganiser, avec les chirurgiens et la direction.

© Photo CHPG

« Pour faire face au Covid-19, nous avons dû déprogrammer certaines activités. Nous avons stoppé le bloc opératoire d’orthopédie. Toutes les interventions non urgentes ont été décalées,  comme la chirurgie bariatrique ou esthétique, par exemple. En revanche, tout ce qui était oncologique a été maintenu »

Vous avez donc déployé des “scopes” et des respirateurs dans autant de chambres que vous le pouviez, afin d’augmenter vos capacités ?

I.R. : C’est exactement ce que nous avons fait. J’ai, par exemple, pris huit lits sur la chirurgie. Le service biomédical a été très réactif, car ils nous ont mis des « scopes » à disposition.

Vous avez la capacité d’ouvrir encore combien de lits supplémentaires de réanimation au CHPG ?

I.R. : Nous ne pouvons pas ouvrir davantage de lits de réanimation. Ce n’est pas un problème de lits, mais de personnel. Nous sommes au maximum. Car cela nécessite du personnel compétent. Même si, comme partout ailleurs, nous avons fait des formations Covid rapides pour apprendre aux gens à tourner les patients ou à gérer un respirateur, on est arrivé au bout de ce qu’on peut faire. En réanimation, nous avons atteint plus de deux fois et demi de notre capacité. Peu ont réussi à faire ça.

Quand le nombre de patients Covid explose et dépasse les capacités du service, les médecins-réanimateurs doivent faire des choix très difficiles, en privilégiant les patients les plus susceptibles de s’en sortir : des réunions éthiques sont organisées à ce sujet ?

I.R. : En avril 2020, dès la fin de la première vague de Covid-19, nous avons anticipé, en créant une cellule de crise de soins palliatifs. Il est difficile de faire entrer en réanimation un patient à 95 ans, qui a, par exemple, des problèmes de démence, et d’autres facteurs de comorbidité, et ainsi, ne plus avoir de place pour un malade de 40 ans, qui arrive juste derrière. Il faut donc réfléchir, anticiper, et travailler de façon vraiment éthique. Pour tous les patients, même ceux qui sont encore en pneumologie, avant qu’ils ne rejoignent la réanimation, on fait une réunion multidisciplinaire.

Qui participe à ces réunions « éthiques » ?

I.R. : Cette réunion regroupe les gériatres, les soins palliatifs, le réanimateur et le pneumologue. On discute alors de chaque patient. Même si nous n’avons jamais été saturés, cela aurait pu nous arriver. Or, j’insiste : il faut rester éthique. Il ne faut pas que des choix soient faits dans la nuit, par quelqu’un qui ne connaît pas bien le malade. Voilà pourquoi nous avons créé une cellule d’aide à la décision, qui se réunit dès que besoin. Les membres de cette cellule sont disponibles 24 heures sur 24.

Faire ce genre de choix, et devoir « trier » les patients, c’est quelque chose d’extrêmement difficile, et même de douloureux ?

I.R. : Je suis médecin militaire, donc je connais bien cette question du « tri ». Parce que, lorsqu’on est en mission extérieure, qu’il y a un afflux de blessés, et qu’il n’y a qu’un médecin et un chirurgien, il est impossible d’opérer tout le monde. Du coup, ce genre de situation, c’est quelque chose que j’avais pratiquement dans les gènes. Comme ce genre de cas se pose souvent pour des personnes âgées, il est important d’écouter l’unité de gériatrie, mais aussi l’unité de soins palliatifs. Parce qu’il y a aussi des personnes de 90 ans qui vont très bien, qui vivent chez elles, et à qui il faut donner toutes les chances.

Quels soins reçoivent les malades atteints du Covid-19 ?

I.R. : Il n’existe pas de traitement spécifique pour un patient atteint du Covid-19. Nous traitons donc les symptômes et les complications liés à cette maladie. En premier lieu, nous leur administrons de l’oxygène, car ils sont hypoxiques : ils manquent d’oxygène dans les cellules. S’ils ont besoin de deux ou trois litres d’oxygène, ils sont traités en pneumologie. Mais dès qu’ils ont besoin de sept ou huit litres d’oxygène, ils sont admis en réanimation.

© Photo CHPG

« Nous avons parfois des refus d’intubation de certains patients, parce qu’ils ont peur. Or, si un patient est trop fatigué, et qu’il n’arrive plus à compenser, on peut être amené à l’intuber. Mais intuber un patient ne signifie pas qu’il va mourir »

Et pour les cas de thromboses ?

I.R. : Les thromboses, c’est-à-dire un caillot sanguin qui peut se former dans une artère ou une veine, sont un risque. Du coup, pour éviter l’embolie pulmonaire, tous les patients touchés par le Covid-19 bénéficient d’un traitement anticoagulant.

Le Covid nécessite aussi de traiter l’inflammation ?

I.R. : Le Covid est une maladie qui entraîne une réaction inflammatoire majeure. En fait, c’est comme si nous avions une espèce d’emballement de l’organisme, qui n’arrive plus à s’arrêter. Donc il faut casser cette inflammation. Pour cela, nous faisons appel à des corticoïdes. Si cela ne suffit pas, nous utilisons des anti-interleukines, l’interleukine étant une molécule de l’inflammation.

Qu’est-ce qui a changé dans le traitement des patients Covid entre mars 2020 et mai 2021 ?

I.R. : Au départ, en mars 2020, on intubait les patients. Et puis, au fil du temps, on a innové, grâce à un appareil non invasif qui s’appelle le haut débit nasal. Cet équipement permet d’amener de l’oxygène à très haut débit, un oxygène qui est réchauffé et humidifié. Il faut savoir que l’oxygène est très sec et très froid, ce qui pose des problèmes de respiration, car la paroi nasale devient sèche. Ce nouvel appareil nous a permis de mettre jusqu’à 60 litres de volume et de l’oxygène de 40 à 100 %, et cela pendant plusieurs jours. Cela nous a permis de passer des caps que nous n’aurions pas pu passer autrefois, quand on intubait directement.

Mais l’intubation fait peur, parfois ?

I.R. : Pour la ventilation des patients, l’oxygénothérapie, il existe la ventilation non invasive et la ventilation invasive. La ventilation non invasive se pratique avec un masque, ou avec le haut débit nasal. Lorsqu’on met en place une ventilation invasive, c’est un appareil qui prend en main la respiration. Et effectivement, nous avons parfois des refus d’intubation de certains patients, parce qu’ils ont peur. Or, si un patient est trop fatigué, et qu’il n’arrive plus à compenser, on peut être amené à l’intuber. Mais intuber un patient ne signifie pas qu’il va mourir.

Un patient intubé est forcément placé sous anesthésie générale ?

I.R. : Un patient intubé est forcément placé sous anesthésie générale, parce que c’est quelque chose qui est difficile à supporter.

Au début de la pandémie, en mars 2020, la part des patients Covid intubés était importante : pourquoi est-ce beaucoup moins le cas, un peu plus d’un an après ?

I.R. : Pendant la première vague de Covid, en mars 2020, nous avons essayé de ne pas intuber les malades, parce que j’avais l’impression que dès qu’on leur mettait le tube, leur état de santé s’aggravait. Aujourd’hui, nous privilégions la ventilation non invasive. Cette solution est recommandée par les études, et c’est aussi la solution que nous voyons fonctionner chez nous. Mais, bien sûr, en cas de besoin, pour franchir un cap, il ne faut pas hésiter à opter pour une intubation, avec une ventilation contrôlée. Pour le reste, on traite les symptômes, c’est-à-dire les problèmes provoqués par le Covid, notamment avec des antibiotiques, par exemple.

« Dans un service de réanimation, il y a 30 % de décès en moyenne. Mais depuis que la pandémie de Covid-19 a commencé, nous sommes actuellement entre 12 et 15 % de décès [cette interview a été réalisée le 16 avril 2021 — NDLR]. Pour les patients atteints de Covid-19 admis en réanimation, le taux de décès est de 10 à 13 % »

Cette stratégie a eu un effet sur la durée moyenne de séjour en réanimation ?

I.R. : Nous sommes passés à une durée moyenne en réanimation qui est à peu près de dix jours. Ce qui est beaucoup moins que lors de la première vague.

La réanimation est encore souvent associée à la mort ?

I.R. : Dans un service de réanimation, il y a 30 % de décès en moyenne. Mais depuis que la pandémie de Covid-19 a commencé, nous sommes actuellement entre 12 et 15 % de décès [cette interview a été réalisée le 16 avril 2021 — NDLR]. Pour les patients atteints de Covid-19 admis en réanimation, le taux de décès est de 10 à 13 %. Donc, sur dix malades qui rentrent chez nous, un décède. C’est toujours trop, évidemment.

Comment éviter les escarres ?

I.R. : Nous faisons très attention à ce que l’on appelle en anglais le “proning”, c’est-à-dire le positionnement du patient. Il faut savoir que lorsqu’on reste sur le dos, les sécrétions tombent derrière. Du coup, le poumon qui est dessus ventile bien, et le poumon qui est dessous est plein de liquides et de sécrétions. Voilà pourquoi on positionne les patients sur le ventre pendant environ seize heures : on parle de décubitus ventral. Cela permet d’améliorer la respiration. Même lorsqu’un patient est conscient, il est mis sur le ventre. Cela ne concerne donc pas que les patients intubés. On peut aussi les mettre sur le côté, s’ils ne supportent pas d’être sur le ventre. Dès que c’est possible, on les met en position assise, afin d’avoir de la rectitude. Tout cela demande un travail fou, car les patients sont extrêmement fatigués.

Quelles autres méthodes utilisez-vous ?

I.R. : Pour éviter les escarres, toutes les six heures, les patients sont massés. Ensuite, s’ils doivent rester longtemps assis, on met des protections sur les talons. Car les zones à risques pour les escarres sont les talons, les bas des fesses, etc.

Comment les patients en réanimation sont-ils nourris et hydratés ?

I.R. : Nous mettons aux patients un cathéter artériel pour faire les prélèvements nécessaires. Ce qui permet de ne pas avoir à repiquer le patient pendant son séjour. Pour l’hydratation, nous mettons ce que l’on appelle une voie veineuse centrale. Il s’agit d’un cathéter qui est placé dans une veine de gros calibre. Si le patient n’arrive pas à manger, on peut lui amener par ce biais une alimentation parentérale, c’est-à-dire une alimentation par les veines.

Quelles sont les principales conséquences d’une intubation ?

I.R. : En réanimation, les patients ne bougent pas, donc il y a une forte perte de masse musculaire. C’est systématique. Cette perte musculaire est compensée par de l’eau. Il y a des troubles métaboliques, qui font que des œdèmes peuvent survenir. De plus, chez les patients touchés par le Covid, il y a un problème d’ordre psychologique qui est très important. Car ces patients ne peuvent pas avoir de visites, et ils ne voient que du personnel soignant casqué et masqué, ce qui est anxiogène. Ils se sentent un peu comme des parias. De plus, tout ce qui est dit dans les médias les angoisse encore plus.

Quelles sont les autres conséquences possibles de la réanimation ?

I.R. : Si la maladie évolue et que le poumon est très abîmé, cela peut déboucher sur des conséquences tardives. Le poumon devient moins élastique, donc il peut y avoir une insuffisance respiratoire qui perdure longtemps après. En 2020, un jeune patient a été greffé après un Covid long. Mais, dans l’ensemble, on constate une récupération qui est bonne.

Est-il exact, qu’en moyenne, les patients Covid mettent six à douze mois pour se remettre d’un séjour en réanimation ?

I.R. : Je n’ai pas fait de statistiques, mais, selon les cas, cela peut nécessiter quelques mois. La rééducation est très importante. Notamment la rééducation respiratoire, la rééducation olfactive pour ceux qui ont perdu l’odorat, la rééducation musculaire… Plus un patient reste longtemps en réanimation, et plus il aura des risques de complications par la suite. C’est pareil avec la réanimation « classique », si ce n’est qu’avec la réanimation Covid les patients sont beaucoup plus fatigués au niveau respiratoire. Les patients Covid sont très asthéniques.

Quand un patient sort de réanimation, il doit réapprendre à déglutir, à respirer, à mobiliser ses muscles, et même à manger ?

I.R. : Non. Si un patient n’est pas intubé, même très fatigué, il va continuer à manger. En fait, on essaie de mettre les malades le plus près possible de la vie « normale ». Ceux qui sont intubés peuvent faire du vélo dans leur lit, afin de conserver leurs muscles. Nous avons des appareils spéciaux qui permettent de rééduquer dès la réanimation. La kinésithérapie est fondamentale dans cette pathologie. Notamment la kiné respiratoire, mais aussi, tout simplement, le fait de continuer à bouger ses bras et ses jambes, malgré la fatigue.

« Le poumon devient moins élastique, donc il peut y avoir une insuffisance respiratoire qui perdure longtemps après. En 2020, un jeune patient a été greffé après un Covid long. Mais, dans l’ensemble, on constate une récupération qui est bonne »

À quoi ressemble une journée type dans un service de réanimation ?

I.R. : Le matin, la journée commence par la relève de la garde. L’équipe de nuit fait sa transmission à l’équipe de jour. On fait le tour de tous les malades, et on fait le point. Ce qui permet de donner la priorité dans les soins, pour savoir notamment par qui on va commencer. Comme l’unité de pneumologie se trouve en bas par rapport à la réanimation Covid, je descends faire la transmission de tous les malades de pneumologie. Si certains ne sont pas bien, je vois s’ils doivent rejoindre le service de réanimation.

Et ensuite ?

I.R. : Dans le service de réanimation, le médecin va récupérer tous les examens complémentaires, examiner le patient, et faire ses prescriptions. Comme il y a huit patients, il faut organiser à quel moment on va bouger chaque patient, car il est impossible de les bouger tous en même temps. En effet, pour tourner un patient, quatre à cinq personnes sont nécessaires. Même si on a la chance de pouvoir mettre deux infirmières par patient et un aide-soignant, à trois, ils ne peuvent donc pas retourner un malade. Il faut vraiment être cinq. Cela nécessite une grosse entraide des équipes, notamment entre le personnel paramédical et le personnel médical.

S.A. : Cela demande beaucoup de coordination. Car il est en effet impossible de tourner tous les patients en même temps. Il faut donc se mettre d’accord et s’organiser. Pendant la première vague de Covid-19, les patients étaient souvent obèses, et cela arrive encore aujourd’hui. De plus, il y a beaucoup de tuyaux qu’il ne faut évidemment pas arracher. Ensuite, lors de l’installation sur le ventre, il faut être très précautionneux sur les points d’appuis, afin d’éviter au maximum les escarres ou les effets secondaires.

Comment se déroule l’après-midi dans un service de réanimation ?

I.R. : L’après-midi on refait un point, avec médecin et infirmiers. Puis, la transmission pour la garde est organisée pour l’équipe de nuit qui va prendre le relais. Un service de réanimation fonctionne 24 heures sur 24, 365 jours par an. Ça ne s’arrête jamais. Du coup, jour et nuit, les équipes se succèdent.

Et quand un patient arrive en réanimation ?

I.R. : Lorsqu’un malade est admis en réanimation, une équipe, avec un infirmier, un aide-soignant et un médecin, l’accueille. Cela prend environ une heure.

« Les lits de réanimation permettent de faire face à des défaillances multiples. Les lits de soins continus sont centrés sur une seule défaillance. » Isabelle Rouquette-Vincenti. Cheffe de service anesthésie-réanimation. © Photo CHPG

« Normalement, les visites des patients Covid sont interdites. Mais pour un patient qui est resté très longtemps, un patient qui est en fin de vie, un patient qui voit son état s’aggraver, je prends sur moi, et j’autorise les visites. Parce que c’est vraiment trop difficile pour les familles »

Comment gérez-vous les relations avec les familles, sachant que la parole donnée n’est valable qu’au moment où elle est prononcée, car la situation peut évoluer plus ou moins rapidement ?

I.R. : Chaque médecin responsable d’un patient appelle tous les jours la famille. On leur donne un créneau horaire pendant lequel on leur téléphone. S’il y a un incident, on les appelle une fois supplémentaire pour les informer. Les familles ont donc un contact direct, ce qui leur permet de bien connaître le médecin qui s’occupe de leur proche.

Et pour les visites ?

I.R. : Normalement, les visites des patients Covid sont interdites. Mais pour un patient qui est resté très longtemps, un patient qui est en fin de vie, un patient qui voit son état s’aggraver, je prends sur moi, et j’autorise les visites. Parce que c’est vraiment trop difficile pour les familles. Par contre, les familles sont équipées de protections comme les soignants, des pieds à la tête. Ils ne touchent pas le patient, mais c’est très important pour eux de voir leur proche. Souvent les malades rentrent à l’hôpital sur leurs deux jambes, et s’ils décèdent, il est très difficile de faire le deuil s’il n’a pas été possible de les revoir. Nous avons aussi mis en place un système avec des iPad, afin que les patients puissent communiquer avec leurs familles. Le téléphone est aussi autorisé dans leurs chambres.

« Nous avons installé dans les chambres des pendules avec la date, l’heure et le jour. Parce qu’en réanimation, on est complètement déphasé : il y a autant d’activité médicale et paramédicale le jour, que la nuit »

Finalement, dans un service de réanimation, le temps n’existe plus vraiment : vous dormez et vous mangez quand vous pouvez ?

S.A. : C’est une très bonne analyse. Dans un service de réanimation, les patients, eux-mêmes, perdent le sens du temps. Du coup, nous avons installé dans les chambres des pendules avec la date, l’heure et le jour. Parce qu’en réanimation, on est complètement déphasé : il y a autant d’activité médicale et paramédicale le jour, que la nuit. D’ailleurs, les patients sortent souvent de réanimation fatigués, parce qu’ils n’ont pas pu dormir. Dans un service de réanimation, on perd complètement la notion du temps. Les soignants ne voient pas le temps passer. Par contre, pour les patients, le temps est long.

Cela fait plus d’un an que la pandémie de Covid-19 a mis les hôpitaux, et en particulier les services de réanimation, sous tension : avec la fatigue accumulée, comment va le moral des personnels concernés ?

I.R. : Nous avons senti que le personnel était très fatigué. Surtout en mars 2021, où il y a eu un pic, avec beaucoup d’entrées et de sorties. Alors, pour aider les soignants, on a mis en place plusieurs outils. Notamment une salle de relaxation, qui est différente de la salle de repos. La personne peut s’isoler pendant 15-20 minutes, et utiliser un masque de réalité virtuelle pour couper un peu, et se ressourcer. Ce qui est particulièrement utile si le soignant doit faire face à un patient qui va vraiment très mal. Car, à force de voir les malades au quotidien, forcément, on s’attache à eux. Nous avons aussi mis en place de la méditation, avec des psychiatres qui viennent tous les jours faire des séances de moins de 30 minutes. Enfin, une infirmière propose également de l’aromathérapie dans les salles de soins, pour certains patients. Selon ce que l’on utilise, l’aromathérapie peut avoir un effet déstressant. Après, je ne dis pas que nos personnels ne sont pas fatigués, parce qu’ils le sont vraiment. Mais je suis contente de voir qu’ils sont tous présents. Nous n’avons en effet presque pas eu d’absentéisme. Ce qui est assez extraordinaire, vu ce contexte de crise sanitaire qui dure depuis mars 2020.

75 décès du Covid-19 au CHPG, entre mars 2020 et mai 2021

DonnéesNombre
Nombre de personnes résidentes à Monaco décédées du Covid depuis le début de la pandémie28
Nombre de personnes extérieures à Monaco décédées du Covid depuis le début de la pandémie47
Nombre de patients Covid résidents à Monaco en réanimation et dans les autres services253
Nombre de patients Covid extérieurs à Monaco en réanimation et dans les autres services376
Note : inclus tous les services de court séjour (réanimation, services hospitalisation complète sans soins critiques dédiés Covid, autres services de médecine chirurgie obstétrique non dédiés Covid). Source : centre hospitalier princesse Grace (CHPG).