vendredi 29 mars 2024
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Noushin Mossadegh-Keller : « Dès le départ, nous ne sommes pas égaux face à la maladie »

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Alors que la pandémie de Covid-19 a débuté en mars 2020, pourquoi certaines personnes n’ont jamais été contaminées ? Noushin Mossadegh-Keller, ingénieure de recherche au CNRS et vice-présidente de la société française d’immunologie, a répondu à Monaco Hebdo. Interview.

Comment expliquer que, depuis le début de la pandémie en mars 2020, certaines personnes n’aient jamais été contaminées par le virus du Covid-19 ?

Le problème, c’est de poser cette question aujourd’hui. Car aujourd’hui [cette interview a été réalisée le 2 février 2022 — NDLR], en France, quasiment 80 % de la population est vaccinée [71 % de la population était vaccinée à Monaco au 30 janvier 2022 — NDLR] avec toutes les doses requises. Du coup, la réponse est biaisée, parce que nous sommes donc protégés des formes graves. Mais une piste intéressante a été publiée dans Nature Immunology, qui est une revue scientifique britannique, spécialisée dans tous les aspects qui concernent la recherche en immunologie. Une équipe de recherche s’est rendu compte qu’au sein d’une famille qui vivait sous le même toit, certains avaient été contaminés par le Covid-19, et d’autres pas. L’une des explications repose sur les réponses immunitaires croisées.

De quoi s’agit-il ?

Lorsqu’une personne a un rhume, il peut s’agir d’un virus de la famille des coronavirus, mais pas forcément le SARS-CoV-2, qui donne le Covid-19. Notre système immunitaire va alors reconnaître ce virus, le combattre, et le garder en mémoire. Le jour où cette même personne est contaminée par le SARS-CoV-2, son système immunitaire sera tout de même capable de reconnaître des familles de protéines, et une identité qui est partagée avec la famille des coronavirus. Du coup, le système immunitaire ayant déjà été entraîné, il pourra éliminer ce virus. C’est ce que l’on appelle les réponses immunitaires croisées.

On évoque aussi le rôle des cellules T pour limiter les contaminations au Covid-19 ?

Les cellules T, ou lymphocytes T, sont l’une des familles du système immunitaire. Dans le cas d’un rhume lié à la famille des coronavirus, les personnes qui ont un grand nombre de cellules T sont mieux protégées.

« Une équipe de recherche s’est rendu compte qu’au sein d’une famille qui vivait sous le même toit, certains avaient été contaminés par le Covid-19, et d’autres pas. L’une des explications repose sur les réponses immunitaires croisées »

Des prédispositions génétiques peuvent aussi expliquer que certaines personnes ne contractent pas le Covid-19 ?

Dès le départ, nous ne sommes pas égaux face à la maladie. Il y a des prédispositions génétiques, mais elles restent très rares. Dans le cas du Covid-19, on évoque une mutation naturelle qu’une personne aurait dans son génome. Du coup, la cellule ne laisserait pas entrer le virus. Donc, même en présence du coronavirus, cette personne ne pourrait pas être infectée.

Être confronté régulièrement à des maladies peut aussi être un atout ?

C’est ce que l’on appelle la théorie de l’hygiène. Les premières années de nos vies sont très importantes au niveau immunitaire. Parce qu’au départ, toute une famille de cellules immunitaires, dont les lymphocytes T, sont considérés comme « naïfs », car ils n’ont jamais vu de pathogènes. Ils ne seront efficaces que s’ils sont exposés à des pathogènes. Plus ils sont exposés à des pathogènes, plus ils vont les reconnaître, et les garder en mémoire. C’est comme ça que se construit notre répertoire immunitaire. C’est ce que l’on appelle une « immunité adaptative ». Elle est acquise lors des trois ou quatre premières années de vie. Les enfants qui sont placés dans des crèches ou en collectivité sont souvent malades les trois premières années, parce qu’ils sont confrontés à beaucoup de virus et de pathogènes. Vivre dans un monde stérile, ce n’est pas forcément bien pour notre immunité.

Un adulte qui est souvent malade, qui a régulièrement des rhumes, ça aide à être mieux protégé du Covid-19 ?

Cela dépend. En cas de rhume, il faudrait pouvoir détecter par quel type de virus on a été contaminé. Donc on ne peut pas dire qu’à chaque fois que l’on a un rhume cela nous protège.

« Au départ, toute une famille de cellules immunitaires, dont les lymphocytes T, sont considérés comme « naïfs », car ils n’ont jamais vu de pathogènes. Ils ne seront efficaces que s’ils sont exposés à des pathogènes. Plus ils sont exposés à des pathogènes, plus ils vont les reconnaître, et les garder en mémoire. C’est comme ça que se construit notre répertoire immunitaire »

La pratique régulière d’un sport et l’hygiène de vie jouent aussi ?

D’une manière générale, l’hygiène de vie, le sport, et une bonne alimentation ont toujours un impact sur notre système immunitaire. À partir du moment où on est davantage fatigué et où l’on traverse une période un peu compliquée dans nos vies, on est plus sensible. Et on est alors davantage susceptible d’attraper certaines maladies.

L’état de fatigue peut avoir un impact ?

L’état de fatigue peut impacter le cycle circadien, le rythme jour-nuit. Mal dormir peut avoir un impact sur notre système immunitaire, qui sera peut-être moins performant. Mais de là à dire que les personnes qui ont une hygiène de vie saine sont davantage protégées contre le Covid-19, je ne m’avancerai pas autant. Je pense que la protection contre le Covid-19 est liée à une combinaison de beaucoup d’éléments : les prédispositions génétiques, les réponses immunitaires croisées, le vaccin et son timing… Tout cela peut jouer.

Le groupe sanguin pèse également concernant la vulnérabilité au Covid-19 ?

Une étude sur ce sujet a été publiée dans un journal scientifique reconnu. Le groupe sanguin pourrait participer à la protection contre le Covid-19, mais il faut consolider ces données, et voir à plus grande échelle. Il ne faut pas oublier que nous n’avons pas encore assez de recul. Deux ans, post-pandémie, ce n’est rien.

Depuis le début de la pandémie de Covid-19, en mars 2020, les publicités pour des “boosters”, supposés doper notre immunité face au coronavirus, se multiplient : est-ce vraiment efficace ?

Je suis une scientifique, donc je suis quelqu’un de pragmatique. Pour juger, j’ai besoin d’avoir des données, des statistiques, des expériences, des contrôles… Je crois plus à la théorie de l’hygiène qui, elle, est scientifiquement démontrée, qu’à ces produits-là.

Se protéger du Covid-19 est beaucoup plus compliqué pour les personnes immunodéprimées ?

Pour les personnes immunodéprimées, il est effectivement plus difficile de se protéger du Covid-19. Ceux qui peuvent se faire vacciner, c’est une chance, même s’ils vont peut-être répondre moins efficacement qu’une personne qui n’est pas immunodéprimée. Avec le vaccin Pfizer, on est à 95 % d’efficacité chez une personne saine. Cela peut devenir 70 % chez une personne immunodéprimée. Il faut savoir que chez quelqu’un d’immunodéprimé, un simple rhume peut devenir une pneumonie. La seule solution, c’est que la population se vaccine massivement pour protéger les plus faibles, et notamment les personnes immunodéprimées pour qui le vaccin n’est pas une protection suffisante. Les gestes barrières et le vaccin sont la clé de la sortie de cette pandémie.