jeudi 25 avril 2024
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Yann-Erick Claessens : « Le vrai traitement, c’est l’hydratation »

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Les fortes chaleurs estivales soumettent nos organismes à rude épreuve. Et certaines populations sont particulièrement vulnérables. Alors, pour éviter déshydratation, hyperthermie et autres coups de chaud, quelques précautions s’imposent. Monaco Hebdo a fait le point avec le professeur Yann-Erick Claessens, chef du service des urgences au centre hospitalier princesse Grace (CHPG).

Quel est l’impact des fortes chaleurs sur l’organisme ?

Il faut tout d’abord définir ce qu’est une forte chaleur, en sachant que la définition ne sera pas la même à Paris, à Marseille, ou au Texas. La canicule se définit par de très fortes chaleurs, de jour comme de nuit, durant au moins trois jours consécutifs. Quand les températures baissent pendant la nuit, on ne parle pas de canicule. En 2003, nous avions constaté que la canicule n’avait pas eu le même effet dans le nord que dans le sud. Le gradient de mortalités était beaucoup plus bas dans le sud parce que les gens étaient habitués aux fortes chaleurs, mieux équipés et avaient une adaptation physiologique à la chaleur.

Pouvons-nous aujourd’hui parler de canicule ?

Actuellement, nous ne sommes pas dans cette définition de la canicule mais il fait chaud [cette interview a eu lieu vendredi 29 juillet 2022 — NDLR]. Autant les températures peuvent baisser la nuit, autant il est vrai que certains logements ne sont pas adaptés. Notamment ceux des personnes les plus âgées et des plus précaires. Ces personnes ont plus de difficultés pour se rafraîchir la nuit parce qu’elles habitent dans des logements anciens, dans des logements qui ne sont pas aux normes ou qui ne disposent pas de climatisation. Dans ces logements, nous pouvons avoir des problèmes qui se rapprochent de ceux de la canicule. Mais aujourd’hui, nous n’avons pas eu de vrais coups de chaleur comme nous en avons eus en 2003 ou en 2006.

La canicule de 2003 avait été particulièrement meurtrière. Sommes-nous prêts, désormais, à faire face aux canicules ?

Les gens ont maintenant pris en compte cette dimension. Les services sociaux, aussi, sont attentifs aux plus fragiles. Du coup, même si les températures restent élevées, nous n’avons pas de vrais coups de chaleur comme nous en avons connus dans le passé. Cela dit, les gens se déshydratent et un certain nombre de patients viennent [aux urgences – NDLR] avec une déshydratation liée soit à la chaleur elle-même, soit à leur activité. C’est le cas notamment des travailleurs du bâtiment et des personnes qui font du sport en plein air. Nous ne sommes pas dans le cas d’un coup de chaleur tel que nous avons l’habitude de le voir quand il y a des chaleurs très élevées, mais plutôt dans des cas de déshydratation accentuée par la chaleur.

« À partir du moment où vous êtes déshydraté, vous ne pouvez plus transpirer. Et quand vous ne pouvez plus transpirer, vous accumulez de l’énergie thermique. C’est à ce moment-là que les problèmes arrivent »

Comment ces chaleurs impactent-elles l’organisme ?

Tout passe par la déshydratation. La chaleur, c’est de l’énergie. Nous captons cette énergie thermique, essentiellement par radiation. Le soleil nous irradie et nous, nous emmagasinons cette chaleur que nous devons restituer par la transpiration. Et c’est en perdant de l’eau que nous perdons de l’énergie thermique. À chaque fois que vous perdez 1,7 millilitre d’eau par transpiration, vous perdez une kilocalorie de chaleur. À partir du moment où vous êtes déshydraté, vous ne pouvez plus transpirer. Et quand vous ne pouvez plus transpirer, vous accumulez de l’énergie thermique. C’est à ce moment-là que les problèmes arrivent.

C’est-à-dire ?

Vous mettez votre organisme en danger parce qu’il est en « surchauffe ». Vous n’arrivez plus à vous débarrasser de cette énergie thermique et votre température corporelle augmente. Peuvent alors apparaître des problèmes neurologiques, cardiovasculaires qui sont l’apanage du coup de chaleur.

Quelles sont les populations les plus vulnérables ?

Les personnes à risque sont celles qui ont du mal à percevoir la sensation de soif. Il s’agit des personnes âgées, mais aussi des patients en psychiatrie. Car les médicaments neuroleptiques diminuent la sensation de soif. Ces personnes risquent d’être exposées à la déshydratation parce qu’elles ne vont pas forcément percevoir la sensation de soif, et donc le besoin de s’hydrater.

« Dans l’immense majorité des cas, il n’y a pas à consulter. Le traitement, c’est l’hydratation. Et rien ne vaut l’hydratation par la bouche »

On entend souvent parler d’hyperthermie et de coup de chaleur. De quoi s’agit-il ?

Il s’agit essentiellement d’une définition clinique. On parle de fièvre à partir du moment où les gens ont plus de 38 °C, ou au-dessus de 40 °C quand il s’agit de pathologies liées à la chaleur. Il y a ensuite le coup de chaleur quand vous êtes dans le coma et que vous avez des dysfonctions d’organes avec une tension qui chute, les reins qui ne fonctionnent plus… Mais il existe aussi un état intermédiaire qui s’appelle l’épuisement lié à la chaleur. Vous ressentez alors une grande fatigue, un essoufflement, une sensation de confusion, de vertige ou de soif intense. Cette étape survient avant le coup de chaleur, qui lui reste très rare mais particulièrement grave et mortel dans 40 % des cas. Même avec un traitement.

Comment traiter une déshydratation ?

Le traitement, c’est l’hydratation et s’extraire de la chaleur. Refroidir l’organisme est une solution extrême quand les patients ont des températures très très élevées. Avant, il faut bien s’hydrater pour pouvoir de nouveau transpirer et ainsi éliminer la chaleur. Mais il faut préalablement arrêter le processus. Et, pour arrêter le processus, il faut s’extraire de la chaleur, se mettre à l’ombre dans un endroit ventilé pour mieux éliminer la température avec des flux d’air. C’est ce qu’on appelle la convection.

Est-il conseillé de prendre des douches ou des bains froids en cas de fortes chaleurs ?

Le vrai traitement, c’est l’hydratation. Les douches froides peuvent aider, mais se tremper dans un bain de glaçons n’est pas la solution. Parce que toute la chaleur s’élimine par la peau, et quand vous vous mettez dans de l’eau trop froide, il y a une vasoconstriction c’est-à-dire que les vaisseaux de la peau vont se serrer. Or, c’est par là que s’évacue la chaleur. Il faut donc que la température de la peau ne soit pas trop froide pour continuer à pouvoir échanger avec l’extérieur. Si vous mettez quelque chose de trop froid au contact, cela va fermer les petits capillaires qui ne vont plus pouvoir transporter la chaleur jusque vers l’extérieur.

Quels sont les signes de déshydratation chez les bébés ?

Chez les bébés, c’est d’abord une espèce d’atonie. C’est-à-dire qu’ils deviennent moins réactifs, ils s’endorment, ils arrêtent de pleurer. Ce sont des signaux d’alerte différents de l’adulte qu’il faut connaître. Mais les parents sont toujours très attentifs et s’inquiètent quand les bébés ne pleurent plus. Ils savent qu’un bébé qui ne pleure plus est un bébé qui ne va pas bien. Les pleurs sont un signe que le bébé réagit. Quand il n’est plus capable de réagir, quand il ne pleure plus, il faut s’alerter.

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Existe-t-il des traitements contre la déshydratation ?

Non, le meilleur traitement c’est la bonne hydratation. Et dans le cas des personnes qui ont déjà des traitements comme les patients insuffisants cardiaques, il faut savoir adapter certains traitements. Cela se fait individuellement à l’échelle de chaque patient, et pas de façon systématique. Il faut vérifier la balance entre le bénéfice du traitement et le risque qu’il fait encourir au patient. Il ne faut jamais modifier son traitement sans l’avis de son médecin.

Combien de litres faut-il boire en cas de fortes chaleurs ?

La règle pour l’hydratation, c’est d’écouter son organisme et de boire quand on a la sensation de soif. En général, pendant les périodes de fortes chaleurs, on consomme entre 2 et 3 litres d’eau en fonction de l’activité et de l’exposition solaire que l’on a. Cela peut être très différent pour un patient âgé. Notamment s’il est sous traitement diurétique et si cette personne est à l’abri du soleil en permanence parce qu’il est dans une institution pour personnes âgées par exemple. Il n’y a donc pas de règle absolue. Tout dépend de l’activité et de l’exposition à la chaleur.

Et chez les populations à risque, qui n’ont pas la perception de soif ?

Chez les populations à risque qui n’ont pas la perception de soif, cela nécessite un petit peu de suivi et d’attention de la part des médecins et de l’entourage, qui doit être alerté si les personnes changent de comportement notamment. Mais la règle, c’est d’écouter son organisme et de boire à sa soif. Et quand on fait un effort, d’anticiper la sensation de soif.

« Chez les bébés, c’est d’abord une espèce d’atonie. C’est-à-dire qu’ils deviennent moins réactifs, ils s’endorment, ils arrêtent de pleurer. Ce sont des signaux d’alerte différents de l’adulte qu’il faut connaître »

Et pour les enfants ?

Les enfants sont ce qu’il y a de plus solide dans la vie. Il faut leur proposer, et s’ils ont soif ils vont boire. Y compris aux enfants qui ne sont pas en âge de s’exprimer. Boire est un réflexe physiologique et il n’y a rien de plus physiologique qu’un enfant. Donc il faut lui proposer et lui laisser le choix de boire. Il ne faut pas forcément faire boire les gens contre leur gré.

Quand faut-il consulter et se rendre aux urgences ?

Dans l’immense majorité des cas, il n’y a pas à consulter. Le traitement, c’est l’hydratation. Et rien ne vaut l’hydratation par la bouche. Le tube digestif est fait pour ça. Il se comporte très bien et va permettre effectivement de pouvoir prendre la ration d’eau dont on a besoin. Le problème, c’est quand on n’est plus en mesure de le faire. C’est-à-dire quand on n’a plus la capacité d’avaler. Quand on est très déshydraté, de temps en temps on vomit. Et on n’est plus capable de s’hydrater par voie orale. Dans ce cas, il faut se rendre à l’hôpital pour être hydraté par les veines.

Et pour les bébés ?

Il faut appeler son pédiatre ou son médecin quand l’enfant commence à avoir une certaine apathie. Dans ce cas, il convient de consulter pour évaluer son degré de déshydratation. Chez les tout-petits, il existe des signes cliniques mais il est très difficile de les repérer quand on n’est pas habitué. L’alerte, c’est l’enfant qui change de comportement.

Ces derniers temps, avez-vous eu beaucoup de consultations aux urgences de Monaco en raison des fortes chaleurs ?

Nous avons eu un certain nombre de patients déshydratés. Essentiellement des patients qui étaient soit des actifs du bâtiment ou alors des personnes qui faisaient du sport, qui se sont mal hydratées et ont mal anticipé leur hydratation. Nous avons eu aussi quelques personnes âgées très fragiles. Mais nous n’avons pas eu comme en 2003 ou en 2006 un afflux de patients, qui atteignait 20 à 25 % de notre activité habituelle. Nous ne sommes pas du tout dans ces proportions aujourd’hui. Soit parce que les consignes ont été bien intégrées par la population, soit parce que les chaleurs ne sont pas celles qu’elles étaient à l’époque. Mais c’est certainement une combinaison des deux. Aujourd’hui, la population est sensibilisée aux effets de la chaleur.

Faut-il éviter les sorties à la plage pendant les fortes chaleurs ?

Oui, bien sûr, il faut éviter l’exposition solaire indue. L’exposition solaire aggrave la déshydratation. Il faut vraiment proposer aux enfants des biberons d’eau de façon régulière, et les laisser prendre leur ration d’eau spontanément.

La pratique sportive est-elle déconseillée ?

Il faut en effet éviter pendant la période de fortes chaleurs. Si on a vraiment envie de faire du sport, il faut le faire moins longtemps et de manière moins intensive de ce qu’on a l’habitude de faire. Il faut également éviter les heures de fort ensoleillement, c’est-à-dire privilégier les matinées ou les soirées. Et puis, il existe d’autres alternatives à la course à pied. En ce moment, la natation est une activité parfaitement adaptée.

Quels conseils donneriez-vous pour se protéger la nuit ?

La convection est très importante. Un ventilateur et une bonne hydratation vous permettent de mieux évacuer la chaleur. Si on n’a pas la chance d’avoir une climatisation, il faut créer un courant d’air. Cela n’est pas toujours évident, car il n’y a pas beaucoup de vent en ce moment, mais il faut créer un courant d’air qui passe sur le corps. Cela va aider, par le phénomène de convection, à éliminer plus facilement la chaleur qui, elle-même, sera éliminée par une bonne hydratation. C’est-à-dire la capacité de transpirer. Il faut donc bien s’hydrater, et créer un courant d’air.

Si vous aviez un message à faire passer, ce serait lequel ?

Les proches des personnes fragiles doivent être particulièrement attentifs et anticiper en se rapprochant du médecin traitant pour essayer d’adapter ou d’anticiper l’adaptation aux fortes chaleurs. Notamment chez les patients qui ont des médicaments pour l’insuffisance cardiaque ou des médicaments à visée psychotrope. Personnes âgées et insuffisants cardiaques signifie conseil auprès du médecin traitant, pour anticiper la vague de chaleur.