mercredi 24 avril 2024
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Docteur Stéphane Bermon : « Le muscle est le compagnon de voyage d’une vie saine et d’un vieillissement réussi »

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Médecin du sport, physiologiste de l’exercice à l’Institut monégasque de médecine et de chirurgie du sport (IM2S), et directeur du département médical et scientifique de World Athletics, le docteur Stéphane Bermon interviendra sur le thème « le muscle entraîné et en conditions extrêmes » lors des Assises du muscle qui se dérouleront, jeudi 1er juin 2023, à Paris. Ce spécialiste explique à Monaco Hebdo pourquoi cet organe représente un enjeu de santé publique majeur.

Pourquoi le muscle a-t-il longtemps été injustement renvoyé à un second rôle ?

Les découvertes médicales et scientifiques au cours des dix ou quinze dernières années ont permis de modifier notre regard sur le muscle. Un autre organe a été victime du même ostracisme. Il s’agit du tube digestif qui a, pendant de très nombreuses années, été considéré comme un effecteur de second rang. Or, aujourd’hui, les recherches montrent que la flore bactérienne intestinale ou microbiote intestinal est notre deuxième cerveau. Il s’est passé un peu la même chose avec le muscle, c’est-à-dire que pendant longtemps nous avons pensé qu’il était juste un effecteur. Or, le muscle produit ce qu’on appelle des myokines, c’est-à-dire des cytokines d’origine musculaire, qui vont avoir des effets sur l’immunité, l’inflammation, le vieillissement cérébral, la plasticité cérébrale, les adaptations, l’équilibre glycémique, la prévention du diabète… L’ensemble des données scientifiques collectées au cours de ces dix dernières années ont donc permis de dire que le muscle était bien plus qu’un simple effecteur pour se lever de sa chaise, courir un marathon, ou travailler sur un chantier.

Stéphane Bermon muscle
« L’ensemble des données scientifiques collectées au cours de ces dix dernières années ont donc permis de dire que le muscle était bien plus qu’un simple effecteur pour se lever de sa chaise, courir un marathon, ou travailler sur un chantier. » Docteur Stéphane Bermon. Médecin du sport, physiologiste de l’exercice à l’Institut monégasque de médecine et de chirurgie du sport (IM2S), et directeur du département médical et scientifique de World Athletics. © Photo DR

Quelles sont les maladies liées aux muscles et combien de personnes sont concernées ?

Je ne peux pas donner de chiffres, car je ne suis pas un spécialiste des maladies du muscle. Le terme « myopathie » fait peur. Les maladies dégénératives neuromusculaires touchent des enfants, des adultes jeunes ou des adultes d’âge moyen, à des niveaux de gravité et de pronostics plus ou moins graves. Certaines sont redoutables, car elles ne donnent une espérance de vie que de quelques années. D’autres, moins graves, permettent de vivre une vie presque normale jusqu’à 30-40-50-60 ans. Ces maladies génétiques sont généralement liées à des déficits de production de certaines protéines ou de certaines enzymes dans le muscle.

« Le muscle strié squelettique est un organe, qui reste plastique et adaptable jusqu’à très tard dans la vie. On peut donc tout à fait réentraîner des sujets âgés et leur faire prendre de la masse musculaire à 70 ou 80 ans. Le muscle squelettique conserve cette capacité à s’adapter et à se développer »

Pourquoi le vieillissement musculaire représente-t-il un réel enjeu de santé publique ?

Le muscle strié squelettique est un organe, qui reste plastique et adaptable jusqu’à très tard dans la vie. On peut donc tout à fait réentraîner des sujets âgés et leur faire prendre de la masse musculaire à 70 ou 80 ans. Le muscle squelettique conserve cette capacité à s’adapter et à se développer. Certes, pas autant que quand on a 20 ans, mais c’est très important. Car le maintien de cette masse musculaire, dont vous faites l’acquisition plus jeune, est l’un des critères d’un vieillissement réussi. Il vous protège de la sarcopénie, c’est-à-dire de la perte de masse musculaire liée au vieillissement, qui peut générer des chutes ou une perte d’autonomie. Compte tenu du vieillissement des populations, cela peut avoir un impact social, mais aussi économique, très important.

Quels facteurs agissent sur le muscle et leur bon fonctionnement ?

Le principal facteur reste la sédentarité. La sédentarité provoque une diminution de la masse musculaire, qui peut être liée aux effets conjoints de l’âge, avec le muscle qui se transforme en tissu gras. Un muscle est fait pour être utilisé régulièrement, un peu comme le moteur d’une voiture. Il ne faut pas oublier, non plus, que le cœur est aussi un muscle important. La souffrance du muscle cardiaque liée à des maladies cardiovasculaires ou coronariennes… ou le déconditionnement du muscle cardiaque, peuvent avoir des répercussions importantes sur l’autonomie, notamment lorsqu’ils vieillissent ou sont soumis à des stress importants. Pendant l’épidémie de Covid-19, des études ont par exemple montré que les taux de survie étaient meilleurs chez les personnes préalablement physiquement actives, parce que leur santé musculaire et cardiaque était meilleure. Faire la promotion d’un muscle sain est donc primordial.

« La sédentarité provoque une diminution de la masse musculaire, qui peut être liée aux effets conjoints de l’âge, avec le muscle qui se transforme en tissu gras. Un muscle est fait pour être utilisé régulièrement, un peu comme le moteur d’une voiture »

Certains muscles sont-ils plus importants que d’autres ?

Chez le sujet âgé, les muscles érecteurs, c’est-à-dire ceux qui permettent de tenir notre colonne vertébrale droite et de nous relever après une position assise, sont très importants. Chez les sujets plus jeunes, tout dépend de la profession exercée. Par exemple, les muscles de la motricité fine sont fondamentaux chez les musiciens, les horlogers, ou les chirurgiens, qui réalisent des tâches de précision.

Et pour les sportifs de haut niveau ?

Tout dépend du sport pratiqué. Un cycliste va développer davantage son muscle cardiaque, un peu ses muscles respiratoires, et beaucoup ses muscles des membres inférieurs. Alors qu’un joueur de tennis aura un développement beaucoup plus orienté sur les muscles autour des épaules, de la ceinture scapulaire… donc des spécialisations très particulières.

Y a-t-il une part génétique dans la capacité de nos muscles ?

Oui, absolument. Cet aspect a beaucoup été étudié chez les sportifs, car ça a un côté prédictif de la performance. La génomique du sport s’est développée depuis une quinzaine d’années. Et nous savons, par exemple, maintenant qu’un quadriceps ou un mollet de sprinteurs n’a pas la même typologie musculaire qu’un quadriceps ou un mollet de marathonien. Un mollet de sprinteur ou d’un haltérophile est fait essentiellement de fibres de type II, des fibres à contraction rapide, qui sont capables de générer des forces de tension très importantes sur des temps très courts. À l’inverse, un mollet de marathonien est composé majoritairement de fibres de type I dites « oxydatives ». Elles utilisent les sucres et les graisses comme substrat énergétique, et elles ont besoin d’oxygène pour fabriquer cette énergie à base de sucre et de graisse. Ces fibres de type I sont capables de produire des forces de tension plus faibles, mais sur des durées plus longues. Ce qui permet de courir plusieurs heures.

Peut-on modifier ces typologies musculaires ?

Bien sûr, ces typologies musculaires sont modifiables par le biais de l’entraînement. Il est tout à fait possible de convertir certaines fibres rapides en fibres II, et vice versa. Malgré tout, ces typologies musculaires sont à 70 % génétiquement déterminées. Une personne née avec une typologie de sprinteur pourra courir un marathon, mais elle ne sera jamais un champion de marathon, c’est impossible. Et vice versa. On ne peut pas complètement, par le biais de l’entraînement donc par des facteurs environnementaux, modifier le poids de la génétique.

« Le maintien de cette masse musculaire, dont vous faites l’acquisition plus jeune, est l’un des critères d’un vieillissement réussi. Il vous protège de la sarcopénie, c’est-à-dire de la perte de masse musculaire liée au vieillissement, qui peut générer des chutes ou une perte d’autonomie »

Comment entretenir sa masse musculaire au quotidien ?

Il est d’autant plus facile de continuer à faire de l’exercice physique de façon régulière, donc d’entraîner ses muscles, si on a été actif lorsqu’on était enfant et adolescent. Parce que les habitudes que vous prenez à cette période, vous êtes susceptible de les garder tout au long de votre vie. Faire de l’activité physique et sportive quand vous êtes enfant ou adolescent permet aussi de développer le schéma moteur. Le muscle est commandé par le cerveau, donc la coordination des mouvements musculaires se fait au niveau cérébral. Si vous apprenez cette gestuelle quand vous êtes enfant et adolescent, vous allez garder ces schémas moteurs dans votre esprit. Et toute votre vie, vous garderez une aptitude à pratiquer différents sports. Il faut donc prendre l’habitude de faire de l’exercice physique dès le plus jeune âge.

Et si on a raté le coche ?

Si vous avez raté ce coche, le système reste plastique à tout âge, donc vous pouvez commencer à faire du sport n’importe quand. Il faudra simplement faire attention, car le système musculosquelettique [ce qui englobe le muscle, le tendon et le squelette – NDLR] met un peu de temps à s’adapter. Il faudra donc y aller de manière très progressive et adaptée. Sinon, vous risqueriez d’avoir des blessures : tendinites, déchirures musculaires, fractures de fatigue… Cette règle de progressivité doit absolument être respectée, surtout lorsque l’individu n’a pas été préparé ou n’a pas d’expérience. C’est tout l’intérêt de la prescription de l’activité physique, sur le fait de pratiquer dans un club avec un coach… qui va guider vos premiers pas, et concocter un programme d’entraînement sur mesure.

Quel impact a l’alimentation sur nos muscles ?

Il y a un impact. Nous savons, par exemple, que les muscles sont faits en grande partie de protéines contractiles et de protéines de structure. Un apport protéique minimal est donc nécessaire pour avoir un développement musculaire correct. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recommande un apport protéique minimal d’environ 0,8 gramme par kilo de poids corporel et par jour. Pour les sportifs d’endurance (cycliste, coureur à pied…), on conseille un apport de 1,2 gramme de protéines par kilo de poids corporel et par jour. Enfin, pour les sportifs qui ont besoin de puissance, de vitesse et de force (haltérophile, sprinteur…), on recommande un apport jusqu’à 2,2 grammes par kilo de poids et par jour parce que leur programme d’entraînement vise au développement de la masse musculaire, donc à ce que l’on appelle l’hypertrophie musculaire. Et pour alimenter cette hypertrophie, il faut avoir des apports protéiques suffisants.

Les suppléments protéiques peuvent-ils y contribuer ?

Il y a un gros marché des suppléments protéiques. A priori, ils ne présentent pas d’intérêt. C’est juste du business, sauf si vous prenez des stéroïdes anabolisants, auquel cas vous aurez peut-être besoin d’un peu plus d’apport. Mais au-delà de 2,2-2,5 grammes, il n’existe pas de preuve scientifique qui montre qu’augmenter les apports protéiques favorise un développement musculaire supplémentaire.

Quels aliments privilégier pour atteindre ces apports protéiques conseillés ?

Les sources de protéines sont nombreuses. Il y a des protéines d’origine végétale, laitière et animale. Mais tous les aliments n’ont pas la même richesse en protéines. Par exemple, la crevette et le steak de bœuf sont probablement les aliments les plus riches en protéines facilement assimilables pour les sportifs. Pour autant, certains sportifs de haut niveau, végétariens ou flexitariens, arrivent à subvenir à leurs besoins protéiques en mangeant des poissons, des protéines d’origine laitière ou végétale. Attention tout de même avec les régimes très exclusifs, car on peut arriver à des carences.

Le muscle a-t-il aujourd’hui livré tous ses secrets ?

Non, je ne pense pas. Dans le domaine des maladies neuromusculaires, on a encore beaucoup de choses à découvrir car, malheureusement, des personnes meurent toujours de myopathies. Certaines maladies restent assez mystérieuses. Je pense à la fibromyalgie, par exemple, qui touche beaucoup de personnes, et dont on pense qu’il existe une composante musculaire. Mais nous n’arrivons pas bien à la définir. Dans le domaine du sportif de haut niveau et de l’adaptation extrême, il y a aussi certainement des choses à découvrir. Le muscle produit vraisemblablement des médiateurs, des cytokines, des hormones qui restent à identifier, et qui ont probablement des effets non seulement sur le muscle, mais aussi sur les tissus avoisinants. Beaucoup de choses sont encore à découvrir.

Si vous aviez un message à faire passer, ce serait lequel ?

En tant que médecin du sport, j’encourage vivement la pratique d’une activité physique régulière dès le plus jeune âge, et tout au long de la vie, pour entretenir ses muscles. Le muscle est le compagnon de voyage d’une vie saine et d’un vieillissement réussi.