On dit de lui qu’il est notre deuxième cerveau et qu’il possède des super-pouvoirs…

Le microbiote intestinal suscite aujourd’hui un réel engouement et beaucoup d’espoirs.

Mais toutes les propriétés qu’on lui prête sont-elles justifiées et scientifiquement établies ? Monaco Hebdo fait le point avec le professeur Philippe Marteau, hépato-gastro-entérologue à l’hôpital Saint-Antoine à Paris, qui a donné une conférence en principauté le 28 novembre 2019 (1). Interview.

Le microbiote intestinal, qu’est-ce que c’est ?

Le microbiote intestinal ou flore intestinale, c’est l’ensemble des microbes, bactéries, levures, champignons, même de virus, donc tous les micro-organismes, qui peuplent notre intestin. Et la plupart sont bénéfiques. Il y a dix fois plus de microbes dans notre intestin que de cellules humaines dans l’organisme. Et si on regarde leurs gènes, leur potentiel d’être actifs et de faire des transformations, il y a cent fois plus de gènes microbiens dans notre corps que de gènes humains.

Comment fonctionne le microbiote intestinal ?

Chaque microbe fonctionne pour sa survie. Il a besoin de manger, de respirer et quand il a de bonnes conditions, il se multiplie. Il est capable de métaboliser des substances. Et nous sommes en symbiose avec la plupart de nos microbes. C’est-à-dire que ce qu’il produit en faisant son métabolisme est souvent utile à notre santé. Par exemple, il produit certaines vitamines utiles, les acides gras à courte chaîne qui nourrissent les cellules du côlon…

Avons-nous tous le même microbiote intestinal ?

On est tous pareils et tous différents. Et c’est la même chose pour le microbiote intestinal. Quand on compare deux êtres humains, on voit bien quelle forme ils ont : deux yeux, deux bras, deux jambes. Quand on regarde le microbiote, c’est pareil. La plupart du temps, un grand groupe domine : les firmicutes et les bacteroidetes. Mais tous les hommes sont aussi différents : certains ont des lunettes, d’autres la barbe… Pour le microbiote, c’est pareil. On peut reconnaître un microbiote à l’échelon individuel comme une empreinte digitale. On peut voir des différences entre les individus, mais aussi beaucoup de points communs.

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« Il y a dix fois plus de microbes dans notre intestin que de cellules humaines dans l’organisme »

Comment le microbiote évolue-t-il avec l’âge ?

Le microbiote intestinal met du temps à s’installer. On naît pratiquement sans microbe, on est d’abord colonisé par les microbes de la mère. Quand on est bébé, on ne boit que du lait, et ensuite, il y a une diversification alimentaire. Finalement, dans les 1 000 premiers jours de vie, le microbiote s’installe, devient de plus en plus complexe… Il évolue beaucoup plus lentement dans le reste de la vie. Et après une relative stabilité pendant l’âge adulte, les personnes âgées perdent un peu de la richesse microbienne. Certaines personnes gardent un microbiote très riche pendant très longtemps, et d’autres perdent de la richesse plus tôt dans la vie.

Comment expliquer le fait que certaines personnes gardent un microbiote très riche et d’autres non ?

Les prises répétées d’antibiotiques sont un facteur clair de perte de richesse et de biodiversité. Quand on prend un antibiotique, ou quand on a un choc sur le microbiote intestinal, un choc par un stress ou une maladie, normalement, la plupart du temps, après avoir subi ce stress, le microbiote revient comme il était avant. Mais parfois, il ne revient pas tout à fait, et avec des stress répétés, et notamment des antibiotiques, on peut perdre de la richesse et de la biodiversité. C’est la raison pour laquelle on conseille aujourd’hui de manger avec de la diversité, et de ne prendre des antibiotiques que quand cela est nécessaire. On pousse d’ailleurs les médecins à être vigilants sur les prescriptions.

Il faut donc revoir les traitements antibiotiques ?

C’est ce qu’on fait depuis longtemps, maintenant. Il est vrai que nous sommes passés par une période, il y a une trentaine d’années environ, où la prescription d’antibiotiques était nettement plus fréquente qu’aujourd’hui. Il faut faire attention de ne pas donner des antibiotiques aussi souvent qu’avant. On ne donne des antibiotiques que si on a la preuve d’une infection bactérienne.

Pourquoi dit-on souvent que l’intestin est notre deuxième cerveau ?

J’ai du mal à comprendre la formulation. Les microbes de l’intestin sont capables de produire dans l’intestin des molécules, qui sont des neurotransmetteurs, comme le cerveau sécrète des neurotransmetteurs. Finalement, le microbiote peut influencer le système nerveux présent dans l’intestin. Et même le système nerveux général. Des travaux sont actuellement menés dans le domaine de la dépression, de l’encéphalopathie hépatique, de l’autisme… Ils cherchent à savoir comment ces médiateurs pourraient être modulés et se servir de l’intestin dans le cadre de l’axe intestin-cerveau.

Le microbiote intestinal a-t-il des liens avec d’autres organes ?

Il a des liens avec tous les organes. C’est quelque chose à laquelle on ne s’attendait pas, il y a quelques années, mais maintenant on peut chercher à établir des liens entre certaines maladies et le microbiote. Les liens qui passionnent beaucoup les chercheurs sont les liens avec l’obésité, le diabète, le syndrome métabolique…

L’engouement pour le microbiote intestinal est plutôt récent ?

Il y a toujours eu des chercheurs passionnés par le sujet. Mais l’intérêt des cliniciens, des médecins prescripteurs, et des laboratoires s’est fortement développé ces quinze dernières années, parce qu’on a des outils nouveaux pour le décrire et des forts espoirs de trouver des traitements nouveaux.

On parle de « super-pouvoirs » pour le microbiote intestinal : êtes-vous d’accord ?

Il y a cent fois plus de gènes, donc cent fois plus de possibilités de transformer des molécules dans notre microbiote par rapport à nos cellules humaines. Donc ça compte beaucoup. Quand on mange quelque chose, ça va être potentiellement cent fois plus transformé dans des choses, je l’espère, bonnes pour la santé, par le microbiote. C’est en ça que l’on peut considérer qu’il s’agit d’un organe. Il est cent fois plus métaboliseur que le foie, qui est un organe très important.

Un dysfonctionnement du microbiote intestinal peut-il être à l’origine de maladies ?

Au moins une maladie humaine est extrêmement liée à la flore intestinale : il s’agit des infections à clostridium difficile [bactérie responsable de symptômes allant de la diarrhée à la colite — N.D.L.R.]. Cette maladie a explosé quand on a commencé à utiliser les antibiotiques. Quand on utilise des antibiotiques, on fragilise la flore, qui se défend moins bien contre ce microbe. Ce microbe pullule, et la maladie a tendance à rechuter. Et en faisant des transplantations de selles [on prend les selles d’une personne et on les transfère à une autre – N.D.L.R.] provenant d’un sujet sain de la famille, on pouvait traiter cette maladie. Maintenant, la transplantation de selles dans cette indication, et uniquement dans cette indication, est une prescription médicale validée, reconnue et pratiquée.

C’est la seule maladie concernée ?

Il y a aussi tout un tas de situations, où l’on se dit que le microbiote doit jouer un rôle. Parfois, quand on prend du microbiote de malade et qu’on le donne à des souris, on s’aperçoit que les souris attrapent la maladie de la personne. Les souris peuvent être plus anxio-dépressives, grossissent plus quand elles reçoivent des selles de personnes anxio-dépressives ou obèses. Il y a donc un fort espoir que dans ces autres maladies, ça permette de développer de nouveaux traitements.

Le microbiote intestinal peut donc aider à soigner certaines maladies ?

On utilise depuis longtemps des probiotiques, c’est-à-dire des micro-organismes qu’on rajoute au microbiote. Des essais et des études contre placebo [le nouveau médicament est comparé à un produit qui a la même apparence mais qui ne contient pas la molécule testée, le placebo – N.D.L.R.] montrent que dans certaines indications, certains probiotiques sont clairement efficaces. Et il y a aussi une recherche sur la transplantation de tout un microbiote fécal qui se fait dans diverses maladies, dont on ne sait pas trop quelles pourraient être les bonnes bactéries. Transplanter toutes les bactéries permet d’avoir une étape en se disant qu’on est sur la bonne voie.

Quelle influence a le microbiote sur l’obésité ?

C’était une surprise de s’apercevoir que le rendement énergétique quand on mange quelque chose ne donne pas chez tout le monde la même capacité de stocker des graisses. Et la façon de stocker des graisses peut être régulée par des protéines dans l’intestin. Et ces protéines sont influencées par le microbiote. Ce dernier module la perméabilité intestinale, c’est-à-dire la capacité qu’ont certaines molécules à passer de l’intestin vers le sang, et notamment des molécules qui donnent une micro-inflammation. On s’est aperçu que les personnes obèses ou diabétiques ont souvent cette micro-inflammation, qui pourrait en bonne partie être liée au microbiote.

Des recherches sont en cours sur ce sujet ?

Il y a des recherches chez l’animal depuis à peu près quinze ans. Il y a aussi des recherches chez l’homme, des essais « randomisés » contrôlés, où dans le cadre de protocoles, des sujets reçoivent des transplantations de selles ou des probiotiques qui apportent certaines bactéries manquantes.

Qu’appelle-t-on « transplantation fécale » ?

Le principe est simple : on prend les selles d’une personne et on les transfère à une autre. Une indication a été reconnue pour les infections récidivantes à clostridium difficile. Un certain nombre de centres en France réalisent cette transplantation pour soigner cette maladie. Et des recherches sont effectuées dans le domaine de l’obésité, du diabète, de maladies neurodégénératives, de rectocolite hémorragique, de maladie de Crohn… On ne sait pas encore ce que vont donner ces études.

Le microbiote suscite en tout cas beaucoup d’espoirs ?

Il y a un énorme espoir de la part du public de voir des maladies fréquentes mieux soignées, voire même soignées exclusivement de cette manière. Parce qu’il y a une intuition, un rêve de la part de chacun que cette approche soit mieux tolérée que d’autres médicaments. Mais il n’y a pas du tout de preuve dans ce domaine. C’est un espoir de guérison miraculeuse, et ça, les chercheurs ne l’ont pas. Des études sont en cours.

Quelle influence a notre alimentation sur le microbiote intestinal ?

La meilleure protection du microbiote intestinal, en dehors de limiter la prise d’antibiotiques, c’est de manger diversifié. L’alimentation a une forte influence. Le tabac, l’alcool, le stress… ont aussi de l’influence. L’alimentation, on peut la maîtriser. Plus on mange des sources alimentaires différentes, des fibres différentes, de la carotte, du navet, des poireaux… plus on a de chance de nourrir des êtres vivants nombreux dans notre intérieur, qui ont tous besoin de choses différentes. Mieux vaut avoir de la richesse et de la biodiversité, cela est protecteur contre les déséquilibres.

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« Le microbiote intestinal est cent fois plus métaboliseur que le foie, qui est un organe très important »

Que penser des yaourts ?

Les probiotiques sont présents soit dans des produits laitiers fermentés, soit dans des compléments alimentaires, exceptionnellement dans des médicaments, comme les ultra-levures. Il a été montré que des souches contenues dans des produits au bifidus sont efficaces sur le transit intestinal, sur l’intestin irritable… Et d’autres, à côté, n’ont pas fait l’objet d’études donc les prescripteurs, pharmaciens, médecins… doivent montrer les évidences et rappeler les recommandations sur l’utilisation de certains probiotiques dans l’intestin irritable.

Le recours aux compléments alimentaires pour rééquilibrer le microbiote intestinal est une bonne idée ?

Bien sûr. Il existe des recherches et des démonstrations sur ce sujet. Les prescripteurs et les médecins doivent lire ces études et conseiller les personnes vers les produits efficaces.

Peut-on faire examiner son microbiote ?

Oui, mais il ne faut pas le faire. Aujourd’hui, des laboratoires proposent de le faire, alors qu’en médecine, on n’a pas encore validé la qualité de leurs analyses et le fait que leurs analyses permettent de faire des prescriptions rationnelles. On ne peut pas se servir des résultats de ces laboratoires. Sur Internet, il y a de nombreuses propositions, mais c’est prématuré de se tourner vers ce genre d’examens. Dans 10 ou 20 ans, on pourra tirer de meilleures conclusions. Aujourd’hui, on ne sait pas si les microbiotes sont plus ou moins associés à des maladies.

Le microbiote a-t-il une influence sur notre humeur ?

Oui, des expériences prouvent qu’en modulant le microbiote de certains animaux, par exemple en leur transférant du microbiote de personnes déprimées, on arrive à transformer leur comportement, leur humeur et des protéines dans leur cerveau. C’est donc la démonstration que quelque chose dans le microbiote peut jouer. Inversement, quand on a des troubles de l’humeur, on ne sait pas encore si le rôle du microbiote est mineur, moyen, ou très important.

Il s’agit d’une piste pour le traitement de maladies psychiatriques, comme la dépression ?

C’est une piste majeure et des études sont en cours.

Et pour les maladies neurodégénératives, du type Alzheimer ?

Oui, aussi. On s’est aperçu que le microbiote métabolise beaucoup de choses. C’est un organe comme le foie, et pour toutes les maladies les chercheurs se sont intéressés au microbiote. Pour le moment, il n’y a pratiquement pas d’exception. Le microbiote fait partie des choses qui pourraient aider à transformer les substances actives soit vers des choses plus néfastes, soit vers des choses bénéfiques. Et voir comment s’en servir. Des personnes travaillent sur le sujet « maladies neurodégénératives-microbiote ».

Quelles sont aujourd’hui les recherches les plus avancées ?

Aucune n’est avancée au point que je puisse vous annoncer un scoop. Aujourd’hui, avec les probiotiques, on traite les infections liées aux antibiotiques, l’intestin irritable, peut-être les maladies inflammatoires de l’intestin dans certaines situations. Pour le reste, on en est encore au stade de la recherche.

Existe-t-il d’autres microbiotes que celui de l’intestin ?

On parle de microbiote intestinal pour simplifier. Mais le microbiote du côlon est différent de celui de l’intestin grêle… On a plein de microbiotes. On en a aussi dans la peau, dans les bronches, dans les cavités gynécologiques, dans les poumons… Il y a des microbes sur toutes les surfaces du corps. Et les microbes qui peuvent moduler le degré d’inflammation intéressent les spécialistes de tous les organes.

1) Le docteur Philippe Marteau était invité par l’association monégasque de médecine anti-âge et l’association des amis du centre scientifique de Monaco.