vendredi 26 avril 2024
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Antoine Flahault : « Chaque pic de pollution est suivi d’une flambée de Covid-19 et d’hospitalisations »

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Existe-t-il un lien entre les contaminations au Covid-19 et la pollution ? Selon un article  (1) publié par le médecin et épidémiologiste, professeur de santé publique et directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève Antoine Flahault (2), et un groupe de scientifiques suisses, la réponse serait oui.

La pollution pourrait aussi peser sur le degré de gravité du Covid-19. Explications.

Vous avez publié un article en novembre 2020 dans la revue Earth Systems and Environment, et, avec vos collègues de l’université de Genève, vous établissez un lien entre pics de pollution et hausse brutale des contaminations au Covid-19 ?

Depuis longtemps, des travaux sont publiés sur les liens entre les maladies respiratoires virales et les pics de pollution. Le fait que la grippe, par exemple, soit associée à des pics de pollution est connu. De façon générale, les maladies respiratoires sont sensibles aux pics de pollution. Les patients qui ont de l’asthme voient leur état de santé se détériorer lorsqu’ils vivent dans des villes très polluées ou qu’un pic de pollution survient. Nous avons donc décidé de nous intéresser à ce sujet de façon scientifique. Mais d’autres ont aussi évoqué ce lien entre Covid-19 et pollution.

Avec qui et comment avez-vous travaillé ?

J’ai travaillé avec des climatologues de l’université de Genève. Nous avons travaillé sur le Tessin Suisse, qui est un canton italophone situé à proximité de la Lombardie, et qui a été le plus touché par la première vague de Covid-19. Nous avons aussi étudié la région parisienne et le grand Londres. Mais aussi Tenerife, qui est la plus grande île de l’archipel espagnol des Canaries, car il y a eu là-bas des vents de sable du désert, et nous voulions aussi étudier les effets des pollutions aux particules fines d’origine naturelle.

« La pollution atmosphérique en milieu extérieur vient irriter ou abraser le système respiratoire et rend les cellules plus perméables au virus. Notamment les cellules plus profondes que sont les cellules de l’arbre respiratoire profond, avec les poumons qui sont plus enclins à développer une forme de Covid plus grave »

Vos conclusions ?

Dans ces quatre cas, on voit de façon très claire que chaque pic de pollution est suivi d’un pic de Covid-19 et d’hospitalisations, donc de formes graves de la maladie. Il semble donc que la transmission du virus soit facilitée par la pollution atmosphérique, mais il semble aussi que la gravité de la maladie soit augmentée par les pics de pollution.

Les mesures barrières, notamment le port du masque et l’hygiène qui a été largement revue à la hausse, ne freinent pas ces contaminations ?

Nous n’avons pas regardé cette donnée, car nous étions dans la première vague, pendant laquelle, malheureusement, le port du masque n’était pas préconisé. Mais nous pensons que le fait de pousser la population à porter un masque dans les espaces extérieurs, lors des pics de pollution, fait sens. Les contaminations au Covid-19 relèvent quasi-exclusivement du domaine des espaces intérieurs.

Donc les contaminations au Covid-19 en extérieur restent très rares ?

La pollution atmosphérique en milieu extérieur vient irriter ou abraser le système respiratoire et rend les cellules plus perméables au virus. Notamment les cellules plus profondes que sont les cellules de l’arbre respiratoire profond, avec les poumons qui sont plus enclins à développer une forme de Covid plus grave. Du coup, le port du masque permet essentiellement de lutter contre la pollution par les fines particules. Les masques en tissu, les masques chirurgicaux ou les masques FFP2 sont capables d’arrêter les particules fines.

Quel est le lien que vous avez pu établir entre la contamination au Covid-19 et les différents épisodes de pollution ?

En épidémiologie, il est toujours très difficile de faire des démonstrations de liens de cause à effet. Mais il nous paraîtrait étonnant que sur quatre zones différentes, on arrive aux mêmes conclusions. On pourrait aussi estimer que la pollution n’est qu’un marqueur de densité urbaine, et qu’elle n’a pas d’effet causal. Avec une forte densité de population, il y a plus de risques que la pollution de l’air soit plus élevée qu’en milieu rural. Mais nous pensons que cela va au-delà de cela, et qu’il y a bien un lien causal probable de la pollution atmosphérique sur le Covid-19.

Antoine Flahault. Médecin et épidémiologiste, professeur de santé publique et directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève. © Photo DR

« Le « patient zéro » italien s’entraînait en pleine période de pic de pollution atmosphérique, ce qui a probablement fragilisé son arbre respiratoire. Avec un tel profil, avec une telle condition physique, son Covid aurait pu être très banal, comme chez la plupart des jeunes. Pourtant, son Covid s’est transformé en une redoutable maladie »

Vous expliquez aussi par votre hypothèse le cas du « patient zéro » italien, Mattia Maestri, 38 ans, un sportif en bonne santé qui vit au sud de Milan, à Codogno, et qui a été intubé pendant 18 jours, en février 2020 ?

Aujourd’hui, on en sait davantage sur le mode de progression du Covid-19. On sait que ce patient, que l’on appelle « patient zéro », a laissé perplexe les médecins qui l’ont accueilli. Comment un homme en pleine santé, très sportif, marathonien, coureur de fond, a pu tomber malade ? Alors qu’on ne parlait pas encore de pandémie de Covid-19, on sait que cet Italien s’entraînait en pleine période de pic de pollution atmosphérique, ce qui a probablement fragilisé son arbre respiratoire. Avec un tel profil, avec une telle condition physique, son Covid aurait pu être très banal, comme chez la plupart des jeunes. Pourtant, son Covid s’est transformé en une redoutable maladie.

« Chez certaines personnes, ces particules fines que nous respirons vont causer une abrasion, comme peuvent le faire les sables du désert ou les particules fines issues d’activités humaines. Quand on a un poumon qui réagit mal à ces particules fines, il existe un risque subséquent de pneumonie sévère »

Pourquoi la pollution provoquerait des cas de Covid plus graves ?

La gravité du Covid-19 est souvent liée à des syndromes de détresse respiratoire aiguë. Il existe d’autres formes de gravité, en particulier vasculaire, dont je ne parlerai pas. Mais le syndrome de détresse respiratoire aiguë est une pneumopathie, c’est-à-dire une très grave infection des poumons. Alors que les Covid très légers sont plutôt une infection de l’arbre respiratoire supérieur, où la composante de pneumonie est très faible. Mais si on a des poumons irrités ou endommagés par la pollution atmosphérique, ou par d’autres pollutions, comme le tabac par exemple, alors il y a des risques que le virus puisse plus facilement entrer dans les cellules de l’arbre respiratoire profond, et puisse entraîner des dommages plus irréversibles, plus graves du poumon. Et donc déboucher sur une pneumonie. Et éventuellement un syndrome de détresse respiratoire aiguë. C’est ainsi que l’on voit la cascade des événements. Chez certaines personnes, ces particules fines que nous respirons vont causer une abrasion, comme peuvent le faire les sables du désert ou les particules fines issues d’activités humaines. Quand on a un poumon qui réagit mal à ces particules fines, il existe un risque subséquent de pneumonie sévère.

« Nous mettons en cause des particules fines, de 2,5 microns. Ce sont des particules qui sont notamment liées à la combustion des énergies fossiles, et que l’on retrouve dans nos villes »

Quels sont les types de pollution que vous visez particulièrement ?

Nous mettons en cause des particules fines, de 2,5 microns. Ce sont des particules qui sont notamment liées à la combustion des énergies fossiles, et que l’on retrouve dans nos villes. Mais un article vient de paraître récemment, et il évoque des pollutions un peu moins fines, que sont les pollens. Ces pollutions auraient aussi une association statistique avec le Covid-19. Je parle ici un peu plus au conditionnel, car je n’ai pas conduit ces études, et les équipes qui ont travaillé sur ce sujet n’ont pas tenu compte du facteur « pollution » dans leurs analyses statistiques. On sait que les pollens sont irritants chez les asthmatiques et chez les personnes allergiques. Il est donc possible qu’ils endommagent aussi l’appareil respiratoire. Il s’agirait d’un autre type de mécanisme qu’il ne faut pas totalement exclure.

« L’OMS a dit que la pollution atmosphérique, qu’elle soit à l’extérieur ou à l’intérieur des bâtiments, était responsable de plus de décès que le tabagisme. L’OMS n’a donc jamais minimisé l’effet de la pollution sur la santé. » Antoine Flahault. Médecin et épidémiologiste, professeur de santé publique et directeur de l’Institut de santé globale à l’université de Genève.

Que transportent les particules de sable ?

Les sables du désert qui sont transportés dans l’atmosphère ressemblent au sable que l’on trouve sur les plages. Chaque année, des millions de tonnes de sable s’envolent du Sahara et de tous les déserts. Ces sables partent soit, avec les alizés, au-dessus de l’océan Atlantique et vers les Antilles, soit vers les États-Unis ou vers la forêt amazonienne. Ces particules sont chargées de grains de sable, mais aussi de particules organiques. Dans le sable, il y a un certain nombre de bactéries et de champignons. Tout ce qui est bactéries et virus ne résistent pas très longtemps dans l’atmosphère. Le coronavirus est très rapidement tué par les rayons du soleil et aussi par la sécheresse de l’air. En aérosol, le coronavirus se trouve dans de petites gouttelettes de postillons qui l’abritent. Mais au bout de quelques heures, il meurt. De la même façon, les bactéries ou les virus ne résistent généralement pas très longtemps dans l’atmosphère.

Vraiment ?

Des observations ont montré que des champignons, sous forme de spores qui les protègent, peuvent être associés à ces particules de sable et peuvent être transportés. Ils peuvent ainsi causer éventuellement des infections. La plupart de ces bactéries ou champignons sont plutôt pathogènes pour les plantes ou enrichissants en termes de biodiversité. Ce n’est donc pas quelque chose de négatif. Mais, de temps en temps, il peut arriver que des pathogènes puissent être transportés de cette façon-là.

« À ce jour, je n’ai jamais vu l’OMS prendre une position contre le lien entre le Covid et la pollution. Il faut laisser le temps à d’autres articles de venir corroborer les premiers travaux que nous avons pu faire. Mais il est possible que, vis-à-vis du Covid, la pollution soit un déterminant plus important qu’on ne le croyait jusqu’à présent »

Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) reste prudente sur le lien entre particules fines et propagation du virus ?

Le département de la santé publique, de l’environnement et des déterminants sociaux de la santé à l’OMS, qui est dirigé à Genève par Maria Neira, s’intéresse à la pollution de l’air et aux facteurs environnementaux. Depuis très longtemps, l’OMS sonne l’alarme sur ce sujet. L’OMS a d’ailleurs dit que la pollution atmosphérique, qu’elle soit à l’extérieur ou à l’intérieur des bâtiments, était responsable de plus de décès que le tabagisme  (3). L’OMS n’a donc jamais minimisé l’effet de la pollution sur la santé. L’OMS valide des travaux de recherche souvent après avoir consulté des commissions et des groupes d’experts. Ce n’est donc pas sur une seule publication, ou sur un seul travail, que l’OMS change sa stratégie ou sa doctrine. Mais, à ce jour, je n’ai jamais vu l’OMS prendre une position contre le lien entre le Covid et la pollution. Il faut laisser le temps à d’autres articles de venir corroborer les premiers travaux que nous avons pu faire. Mais il est possible que, vis-à-vis du Covid, la pollution soit un déterminant plus important qu’on ne le croyait jusqu’à présent.

Le variant anglais 64 % plus mortel que le Covid “classique”

Une étude anglaise publiée le 10 mars 2021, confirme que le variant anglais est plus contagieux, et qu’il est aussi 64 % plus mortel que le coronavirus « classique ». Dans ce travail publié dans le British Medical Journal (BMJ), sur 1 000 cas, le variant anglais provoquerait 4,1 décès, contre 2,5 pour le virus « classique ». Cette étude vient donc confirmer ce qui avait déjà été pointé en janvier 2021 par le Nervtag, les experts qui conseillent le gouvernement britannique. Ils estimaient alors qu’avec le variant anglais, la mortalité pouvait être 30 à 40 % plus grande. Pour construire leur étude, ces chercheurs des universités de Bristol et d’Exeter ont suivi pendant 28 jours 110 000 patients diagnostiqués positifs entre octobre 2020 et janvier 2021. Ces malades n’ont pas été hospitalisés. Une moitié des cas était touchée par le virus « classique » et l’autre moitié par le variant anglais. Le groupe concerné par le variant anglais a enregistré 227 morts, contre 141 pour l’autre groupe. Ces chercheurs ont alors compilé ces données et ont abouti à la conclusion que le variant anglais est donc 64 % plus mortel. Face à ce constat, les experts scientifiques estiment que, plus que jamais, la vaccination sera nécessaire pour surmonter cette pandémie mondiale. Le 11 mars 2021, un quatrième vaccin a été autorisé par l’Agence européenne du médicament. Il s’agit de Janssen, un vaccin développé par l’entreprise américaine Johnson & Johnson.

  1. Peaks of Fine Particulate Matter May Modulate the Spreading and Virulence of Covid-19, de Mario Rohrer, Antoine Flahault et Markus Stoffel (21 novembre 2020). A lire en accès libre sur Internet : https://link.springer.com/article/10.1007/s41748-020-00184-4.
  2. Covid, le bal masqué, d’Antoine Flahault (Dunod), 240 pages, 13,90 euros (eBook), 18,90 euros (livre physique).
  3. Selon une étude publiée le 12 mars 2019 dans la revue médicale de la société européenne de cardiologie, l’European Heart Journal, la pollution de l’air causerait 800 000 morts prématurées en Europe chaque année, et près de 9 millions dans le monde.