samedi 20 avril 2024
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Commotions cérébrales : « Encore aujourd’hui, on n’enseigne pas comment la traiter »

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Monaco se penche sur la recherche en matière de commotion cérébrale, un mal discret et pas toujours pris au sérieux, mais dont les conséquences peuvent s’avérer désastreuses, quand elles ne sont pas prises en charge. En octobre 2022, la fondation princesse Charlène de Monaco a réuni tout un panel d’experts pour en parler. Monaco Hebdo revient sur leurs interventions.

C’est un mal encore méconnu, qui laisse pourtant des blessures désastreuses sur des patients qui ne sont pas toujours pris au sérieux. Les commotions cérébrales inquiètent suffisamment Monaco pour que la recherche se penche davantage sur le sujet, et une conférence a réuni plusieurs experts de haut rang, en octobre 2022, pour tirer la sonnette d’alarme. Organisé à l’initiative de la fondation princesse Charlène de Monaco à l’hôtel Méridien, ce rendez-vous avait pour but d’alerter l’opinion publique sur ce que le corps médical présente de plus en plus comme un problème de santé publique : « Aux États-Unis, les études épidémiologiques révèlent que plus de 2 millions de personnes subissent chaque année une commotion cérébrale, qui entraîne un coût indéniable ensuite sur le système de santé », explique le docteur Nicolas Capet, neurologue au centre hospitalier princesse Grace (CHPG), invité comme intervenant lors de cette conférence. En France, les données ne semblent quant à elles pas assez fiables pour donner une moyenne comparable, car les diagnostics sont rarement établis en cas de choc. En apparence, un épisode de commotion n’est en effet pas toujours visible au moment où il survient.

« Aux États-Unis, les études épidémiologiques révèlent que plus de 2 millions de personnes subissent chaque année une commotion cérébrale, qui entraîne un coût indéniable ensuite sur le système de santé »

Docteur Nicolas Capet. Neurologue au centre hospitalier princesse Grace (CHPG)

Discrète, mais sérieuse

« Concernant les commotions cérébrales, il n’est pas simple de faire la part des choses en ce qui concerne les symptômes, mais il demeure une constante. Elles sont provoquées par un impact, une force externe sur le crâne, qui va faire balloter le cerveau », résume le docteur Yann-Erick Claessens, médecin et chef de service des urgences au CHPG, également intervenant à l’occasion de cette conférence. « Les accidents bénins sont très nombreux et les conséquences immédiates sont quasi nulles, car les commotions n’engendrent pas de saignements, contrairement à un traumatisme crânien. Aux urgences, le problème se situe chez les patients intermédiaires, pour lesquels le choc ne semble ni grave, ni pas grave. Par sécurité, il faut réaliser un examen clinique, avec un scanner dans les meilleurs délais, donc pas au-delà de huit heures après le choc. Mais cette solution implique une irradiation qui n’est pas forcément utile. Il reste alors la solution biologique. Mais les outils sont encore assez peu disponibles sur le territoire pour des questions de remboursement et d’assurances. Il manque encore de pédagogie autour du problème des commotions, qui passe au second plan, alors qu’il s’agit du troisième problème en termes d’impact médico-social dans le monde, avant le déficit de technologie et de traitement. » Il est en effet facile d’endommager le cerveau, dont la texture est « gélatineuse ». Lors d’un choc, les neurones subissent des lésions, ce qui peut provoquer des pertes de contrôle et de conscience. À long terme, en cas de chocs répétitifs, les conséquences peuvent dévier vers d’éventuelles pathologies neuro dégénératives. La pratique du rugby et de sports de contacts sont donc plus à risques que d’autres, mais c’est aussi le cas du football. Si bien que, depuis 2020, les fédérations de football anglaise, écossaise, et irlandaise interdisent le jeu de tête pour les entraînements des moins de 12 ans, tout comme les États-Unis, qui l’encadrent strictement jusqu’à 18 ans. En France, les enfants s’entraînent avec des ballons en mousse, plutôt qu’en cuir, pour limiter les dégâts.

Commotions cérébrales conférence
De gauche à droite : Yann-Erick Claessens, Nicolas Capet, Pierre Frémont, Renaud David, Gareth Wittstock et Pascal Granero, réunis après la conférence d’octobre 2022, au Grimaldi Forum. © Photo Eric Mathon / Palais Princier.

Depuis 2020, les fédérations de football anglaise, écossaise, et irlandaise interdisent le jeu de tête pour les entraînements des moins de 12 ans, tout comme les États-Unis, qui l’encadrent strictement jusqu’à 18 ans. En France, les enfants s’entraînent avec des ballons en mousse, plutôt qu’en cuir, pour limiter les dégâts

Mal étudiée

Pour faire progresser la recherche médicale, encore faut-il qu’il y ait de la matière scientifique pour avancer. Le docteur Renaud David, psychiatre au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice, et expert auprès de la Fédération Française de Football (FFF), de la Ligue Nationale de Rugby (LNR), et de la Fédération de Sports de Combat et Arts Martiaux (FSCAM), autre intervenant de la conférence organisée par la fondation princesse Charlène de Monaco, regrette qu’en France, l’enseignement médical ne soit pas encore adapté à cette problématique : « Le traitement des commotions n’est pas enseigné de manière académique. Il n’y a pas encore de modules qui s’y consacrent, et on ne le trouve pas dans les livres de médecine. C’est en rencontrant des patients, comme des sportifs professionnels, que l’on doit trouver le meilleur moyen pour les prendre en charge. On doit alors se tourner vers les études menées au Québec, qui a plus d’avance sur la France, et qui propose des formations en ligne. » C’est d’ailleurs du Québec que venait le dernier intervenant de cette conférence. Il s’agissait du professeur Pierre Frémont, du département de réadaptation de la faculté de médecine de l’université Laval, de Québec. En tant que clinicien et chercheur, il a développé une vaste expertise des problèmes de mise en œuvre liés à la prévention, au dépistage et à la gestion des commotions cérébrales dans des environnements allant du sport de développement pour les jeunes, à la compétition internationale : « Nous pouvons faire un parallèle avec le tabagisme. Dans les années 1960, nous n’avions pas les informations nécessaires pour dire aux gens qu’il était dangereux de fumer. En 2022, à propos des commotions, plus personne ne pourra dire qu’on ne savait pas quoi faire pour bien les gérer. Les tribunaux pourront tracer une ligne sur la responsabilité de bien faire. » Aux États-Unis, des lois imposent en effet une stratégie de gestion des commotions. La Rowan’s law [la loi Rowan — NDLR], par exemple, a été promulguée après le décès de la jeune Rowan Stringer, 17 ans, qui était la capitaine de son équipe de rugby d’Ottawa, au Canada. Cette jeune fille avait subi trois commotions cérébrales en quelques jours, en 2013. La dernière lui a coûté la vie. La loi qui porte le nom de cette jeune fille oblige ainsi les responsables sportifs à retirer un athlète du jeu s’il est soupçonné d’avoir subi une commotion cérébrale. Selon le professeur Frémont, c’est à force de prévention qu’une telle législation pourrait voir le jour en Europe, où un gros travail reste à faire. Pour rappel, à travers son programme « sport & éducation », la fondation princesse Charlène de Monaco soutient des initiatives liées aux commotions cérébrales, notamment avec l’association britannique Love of the Game, qui finance la recherche et le développement de solutions pour aider à la prévention, au diagnostic, et au traitement des commotions et des problèmes connexes.