mardi 23 avril 2024
AccueilActualitésSantéDocteur Hervé Haas : « L’enfant, c’est un autre monde »

Docteur Hervé Haas :
« L’enfant, c’est un autre monde »

Publié le

Orphelin d’un chef de service depuis la démission du docteur Michèle Berlioz en décembre 2019, le service de pédiatrie du centre hospitalier princesse Grace a enfin trouvé un successeur, avec le docteur Hervé Haas. L’ex-chef des urgences pédiatriques de Lenval, à Nice, a pris ses fonctions début juin 2020. Son arrivée devrait apporter un peu de sérénité à un service qui a connu quelques remous ces derniers mois. Son parcours, son choix de rejoindre Monaco, ses projets, ses recherches… Le docteur Haas s’est confié à Monaco Hebdo. Interview.

À quand remontent les contacts avec le CHPG ?

Fin 2019, la direction du centre hospitalier princesse Grace (CHPG) m’a contacté par rapport à des difficultés d’organisation. Et ce qui était juste un contact pour accompagner le CHPG dans une période un peu particulière est devenu la possibilité de discuter d’un projet de réorganisation de la pédiatrie au sein de cet établissement.

Pourquoi avoir décidé de quitter Lenval ?

J’avais le choix soit de rester là où j’étais et de continuer à me battre avec ma direction pour avoir des moyens. Soit d’essayais de construire, avec d’autres bases, quelque chose qui se rapproche plus de ce que je crois, moi, dans la prise en charge médicale.

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire qu’on n’est pas que dans la technique, on est aussi beaucoup et d’abord dans l’humain. Prendre le temps de parler avec les familles et la qualité de l’accueil sont aussi importants que la qualité technique qu’on attend de manière légitime, car on veut d’abord soigner. À Lenval, j’étais dans une course permanente. Ce système est, de mon point de vue, voué à disparaître. Les soignants eux-mêmes expriment que ce n’est plus possible.

Selon vous, Monaco est l’endroit idéal pour ce projet ?

Je pense que Monaco a les moyens. C’est un petit hôpital, il faut en être conscient, mais il a justement une dimension humaine. C’est cette dimension-là qui m’a intéressée. On a pas mal de choses à construire.

Après dix années passées à Lenval, la décision de partir n’a pas dû être facile à prendre ?

Oui, très clairement. J’avais monté beaucoup de choses. D’ailleurs, je maintiens certaines choses, puisqu’en accord avec les deux directions, celle de Lenval et celle de Monaco, je continue mes activités de recherches. J’avais monté là-bas les équipes de pédiatrie générale et des urgences pédiatriques… C’est vrai que le départ n’a pas été simple pour moi, pour tout le monde. Ça fait pratiquement 26 ans de présence au sein du CHU, sous une forme ou sous une autre. Le choix n’était pas facile.

Vous avez donc quitté Lenval à cause du manque de moyens ?

Entre autres. Quand on définit des objectifs précis, et que j’estime avoir un partenariat avec la direction, si chacun comprend, on construit. Mais s’il y en a un qui ne joue pas le jeu, c’est bancal. Mon départ a surpris beaucoup de gens, et moi le premier, parce que la première fois que je suis venu à Monaco, je n’avais pas du tout en projet de travailler ici. C’est un challenge que je me lance, mais que je lance beaucoup à la direction et à l’ensemble des partenaires (gynécologie-obstétrique, chirurgie, radiologie, urgences, biologie…) à qui j’ai exposé mon projet.

Vous avez été entendu ?

A priori, en tout cas dans les déclarations, ça semble correspondre avec leurs objectifs. On va voir comment on peut monter quelque chose. J’y crois vraiment, sinon je ne serais pas venu. Maintenant, il n’y a que les faits qui comptent. On verra ce qui sera mis en place concrètement, mais j’espère, car je pense que Monaco a les moyens, pas uniquement financiers. C’est un hôpital à dimension humaine, ce que le CHU a perdu, et on voit à quoi ça les amène.

L’hôpital public a perdu sa dimension humaine ?

Oui. Parce qu’il y a une gestion purement économique qui a été faite. Et au bout d’un moment, quand on oublie qu’il y a de l’être humain au milieu, ça ne marche plus. Et vous ne pouvez plus demander aux jeunes ce que les vieux comme moi on a fait pendant des années. La médecine n’est plus un sacerdoce.

Pourquoi avoir choisi la pédiatrie comme spécialité ?

Je n’avais pas une orientation très précise de ce que je voulais faire en médecine. Certains ne veulent faire que de la gastro-entérologie, de la pneumologie… Moi, je m’intéressais un peu à tout. Je suis venu apprendre à faire des accouchements ici [au CHPG – N.D.L.R.]. J’étais prêt à faire de la médecine générale. Il faut être honnête, l’enfant c’est un autre monde. L’univers de l’enfant, la fraîcheur, leur naïveté… c’est quelque chose qui me plaît. Après, comme je le dis souvent, au départ on choisit pédiatrie par rapport aux enfants, par rapport à la pathologie au sens large. Et on ne se rend pas bien compte qu’il y a aussi la famille qu’il faut intégrer.

© Photo Iulian Giurca – Monaco Hebdo.

« Il y a eu de la souffrance, c’est une évidence. Ce service a été en difficulté pour des tas de raisons qui ne me concernent pas »

Vous avez créé plusieurs services d’urgences pédiatriques à Nice (lire sa bio express par ailleurs) ?

Les urgences pédiatriques n’existaient pas quand j’ai commencé. Il y avait beaucoup de choses à construire : la prise en charge de la douleur, du stress… Je me suis aussi intéressé à d’autres domaines, comme l’infectiologie, la vaccinologie, la prise en charge de la maltraitance… C’est sans fin, en fait. Quand vous mettez un doigt dans la médecine, vous en avez pour toute votre vie, parce qu’on ne s’arrête jamais. Il y a toujours quelque chose de nouveau.

Quand on retrace votre parcours, on constate que la formation et la transmission sont importantes pour vous ?

Il est important de transmettre. C’est fondamental. Il faut être capable de bien soigner, mais il faut aussi être capable de transmettre votre connaissance aux plus jeunes. Ça s’appelle la formation. La formation interne est un point qu’il faudra développer au sein de cet établissement. La formation à l’extérieur aussi. Il ne faut pas oublier le grand public. Il faut expliquer les choses aux gens le plus simplement possible. Le manque de connaissance, l’ignorance génèrent de la peur. Et quand on a peur, on ne fait plus rien, on ne bouge plus. On est sidéré, et on fait des erreurs.

En rejoignant le service de pédiatrie du CHPG, n’allez-vous pas faire concurrence à votre ancien service ?

Non. Chacun a des fonctions très précises. Lenval c’est notre référent, notre grand frère parce que toutes les spécialités y sont représentées : médicales, chirurgicales, radiologiques… Il est dans une grande ville, il a une vraie fonction de drainage et de prise en charge de l’enfant. D’autant plus que les hôpitaux périphériques sont en difficulté. À Cannes, il n’y a plus de service de pédiatrie. Grasse survit. Antibes est en grande difficulté. Un des objectifs de la tarification à l’activité (T2A), c’était plus on a de l’activité, plus on fait rentrer d’argent, et plus on a de moyens. Mais en fait, ça ne marche pas. Ça ne fonctionne pas du tout comme ça. C’est un biais terrible. Lenval n’a pas vocation à avoir tous les enfants de la région, mais avoir ceux qui présentent des pathologies particulières, qui justifient de connaissances ou d’un plateau technique particuliers. Exemple : la réanimation. Tout le monde ne peut pas dire on va faire une réanimation pédiatrique à Monaco, ce n’est pas cohérent.

Quels sont les atouts du CHPG ?

À Monaco, on a les moyens de proposer de la prise en charge pédiatrique, de pédiatrie générale avec un certain nombre de spécialités, notamment en consultation, en néonatologie. Prendre en charge des prématurés nécessite techniquement un certain nombre de compétences mais pas un plateau technique hyper-élaboré. Il faut avoir un minimum de compétences et tout le monde ne les a pas. C’est un vrai métier et Monaco les a. Récupérer tous les enfants que suit Lenval pour refaire ce qui est fait à Lenval n’a aucun intérêt. Mais il faut être capable d’avoir un service d’urgences performant. Et si on est dépassé au niveau du plateau technique, ou au niveau de certaines compétences, notre référent est Lenval.

Pas de concurrence donc, mais une complémentarité ?

On a la chance d’avoir quelque chose à proximité. Si on n’avait plus Nice, le plus proche serait Gênes ou Marseille. Ça fait loin, donc on a tout intérêt à ce que Lenval perdure. Il faut travailler en bonne entente, partager un certain nombre de choses… La course à l’activité au niveau des urgences est une mauvaise chose. Pour connaître très bien ce service, je pense qu’il est arrivé au maximum de ses capacités architecturales. On ne peut pas pousser les murs. Quand on arrive à des périodes où on reçoit 300-350 enfants en 24 heures, il faut être lucide sur le fait qu’on ne peut pas faire du travail correct. Et donc, vous mettez la vie des enfants en danger. Ce n’est pas cohérent, donc il faut revoir notre système qui est pervers.

C’est-à-dire ?

La course à l’activité fait qu’on parle de parts de marché. On se bat contre les autres pour leur prendre leur travail, mais on n’a pas les moyens d’assurer tout le temps ce travail. Il y a du travail pour tout le monde. Il faut le faire en bonne entente, en remettant les choses essentielles, à savoir bien soigner, et prendre en considération qu’on a des êtres humains en face de nous. Il y a les enfants, mais il y a aussi leurs parents.

Est-ce que ça a été compliqué pour l’hôpital Lenval de libérer le docteur Haas ?

Un peu oui (rires). Mais ce n’est pas à moi de le dire, c’est à eux qu’il faut poser la question. Après, je suis un homme libre donc je fais ce que je veux. L’hôpital a beaucoup changé, les gens partent et reviennent. L’époque où on rentrait dans un hôpital et on y faisait toute sa carrière est finie. La direction de Monaco l’a bien compris. Ils savent que c’est fragile donc il faut trouver un bon compromis qui consiste à dire : on fait des choses qui peuvent attirer les professionnels pour venir travailler dans des conditions de rémunération correctes. En sachant qu’on gagne moins qu’un médecin installé en ville. Mais on y trouve un autre intérêt. C’est-à-dire travailler dans de bonnes conditions, en équipe et pouvoir avoir des projets qu’on arrive à mettre en place dans l’intérêt collectif. Après, si les gens s’épanouissent, ils restent.

Vous arrivez dans un service qui a connu une vague de démissions et d’arrêts maladie ces derniers mois. Dans quel état l’avez-vous trouvé ?

Il y a eu de la souffrance, c’est une évidence. Ce service a été en difficulté pour des tas de raisons qui ne me concernent pas. Je n’étais pas là donc ce serait mal venu de ma part de faire des commentaires. Je pense qu’il y a aussi une chose importante à comprendre, c’est que l’hôpital de Monaco a fait comme beaucoup d’hôpitaux. Il y a eu une approche du service de pédiatrie qui était en fonction de l’activité, en fonction du nombre de passages, les moyens humains qu’on y mettait par rapport à des chiffres. Ce n’est pas comme ça qu’il faut raisonner et Monaco peut se permettre de ne pas raisonner comme ça. Si on raisonne par rapport au nombre de minimum de médecins qu’il faut pour assurer une permanence de soins, pour assurer un tableau de garde, que vous ayez 10, 20 ou 30 passages par jour, il faudra toujours au minimum un médecin. S’il y en a 60 ou 80, il en faudra peut-être deux et ainsi de suite. Mais il y a un minimum.

Vous allez donc travailler sur l’organisation et le management ?

Oui. Il y a une restructuration que j’espère pouvoir faire. Cela peut paraître tellement évident et tellement bateau, mais je veux mettre l’enfant au centre de la réflexion.

Vous voulez dire que l’enfant n’était pas au centre de la réflexion auparavant ? C’est étonnant pour un service pédiatrie.

Il ne l’était plus. Parce que c’est très sournois, insidieux. Au bout d’un moment, on est dans des contraintes architecturales, des contraintes d’effectifs, des contraintes d’activité où on parle de chiffres. Et on ne parle plus de personne. Mais cela n’est pas seulement valable pour la pédiatrie, c’est valable partout et dans tous les hôpitaux. Aujourd’hui, on ne vous parle que de chiffres. C’est la mode française. La T2A, c’est la tarification à l’activité, donc ce sont des chiffres. La tentation est forte, et je pense que nos administratifs subissent ça. On dit que la santé n’a pas de prix, mais elle a un coût. Pour Monaco, si on remet l’enfant au centre de la réflexion, ça ne veut pas dire que la prise en charge va être plus coûteuse.

Cela dépend aussi des moyens mis à disposition par l’hôpital ?

Oui. Mais ça m’intéresse si vous trouvez beaucoup de médecins disponibles pour venir travailler à l’hôpital. Des médecins prêts à faire de la permanence de soins, prêts à faire des gardes et à passer une nuit debout… Ça ne se trouve pas sous les sabots d’un cheval. Quand vous avez le choix entre l’hôpital et un cabinet en ville, où vous allez travailler quatre jours par semaine, où vous avez toutes vos nuits et tous vos week-ends, où vous partez en vacances quand vous voulez, et qu’en alternative on vous propose de travailler à l’hôpital avec une à deux gardes par semaine, avec un week-end ou deux par mois, et avec une rémunération deux fois moins importante qu’en ville… ça vous donne envie de venir à l’hôpital ? C’est un peu brut, mais c’est ce qui s’est passé.

Avez-vous obtenu des garanties du CHPG en termes de moyens ?

On ne fait pas de chèque en blanc. Je suis là depuis un mois et demi. On attend de moi un projet. Il est en cours de préparation, et il a nettement progressé. Il a d’abord fallu que je fasse un état des lieux, que je comprenne l’état d’esprit de l’équipe soignante, médicale, infirmière… De voir si c’est une équipe qui a envie d’aller de l’avant, de comprendre exactement comment ça fonctionne, de discuter avec les différents chefs de services ailleurs. Est-ce que tout le monde est prêt à bouger, à changer peut-être certaines habitudes ? Et fort de mon expérience, aujourd’hui je pense que je suis en capacité de dire comment on devrait organiser ça.

La direction du CHPG partage-t-elle votre vision des choses ?

Je ne vais pas faire de confidences, des discussions sont en cours avec notre administration, mais jusqu’à présent, j’ai l’impression qu’on est sur la même longueur d’onde. Et ce, avant même que je vienne. J’avais exprimé à la direction ce que je crois être les axes qu’il fallait prendre, des erreurs qui ont pu être commises… Ce qui est grave, ce n’est pas de se tromper, c’est de savoir qu’on s’est trompé, et de continuer à le faire quand même. C’est un peu ce qui se passe en France actuellement. Il a fallu la crise du coronavirus pour investir je ne sais combien de milliards sur le « Ségur de la santé ». L’hôpital aujourd’hui n’est pas différent de ce qu’il était avant le coronavirus. J’espère et je crois que Monaco est en capacité pour faire la meilleure chose possible pour les enfants. Ils veulent qu’on soigne correctement les enfants, et ce que je vais proposer, c’est une organisation qui permettra, j’espère, de mieux prendre en charge, du nouveau-né jusqu’à 18 ans.

Dans quel état d’esprit se trouvent aujourd’hui les équipes après cette période délicate ?

Elles sont partantes, mais elles attendent de voir. C’est normal. Le changement est toujours une période d’angoisse, d’inquiétude. Et elles sortent d’une période où ça a été très difficile. Il a fallu faire appel à des médecins intérimaires, et ça ne s’est pas toujours bien passé. Il y a quand même pas mal de gens qui sont intéressés pour venir travailler ici. Les gens viennent travailler à l’hôpital, parce qu’ils ont envie de travailler au sein d’une équipe. Et donc, s’ils veulent travailler au sein d’une équipe, c’est qu’ils intègrent eux-mêmes leurs propres projets personnels. Mais un projet personnel doit s’intégrer dans un projet d’équipe, et mon rôle, c’est d’intégrer ce que chaque pédiatre en l’occurrence va pouvoir apporter à la collectivité, tout en lui permettant de s’épanouir. C’est un équilibre qui est parfois difficile.

Allez-vous renforcer les équipes ?

S’il y a une restructuration, architecturale ou géographique, de secteurs, à un moment donné, pour pouvoir fonctionner il faut des êtres humains, puisqu’on est sur de l’humain. Et il y aura certainement besoin de mettre des moyens humains supplémentaires. Après, il faudra chiffrer comment le faire… C’est celui qui a le carnet de chèques qui décide (rires). Le financeur veut savoir où il met de l’argent, et pourquoi il le fait. C’est tout à fait normal. Mais j’ai un projet qui est bâti sur le fonctionnement de ce qu’on peut apporter à l’enfant. C’est pour l’enfant de Monaco d’abord. Et si les Français frontaliers peuvent en bénéficier, tant mieux. Mais c’est quand même l’hôpital de Monaco, ce n’est pas l’hôpital de la France.

Quels sont vos projets pour le service pédiatrie du CHPG ?

Les urgences pédiatriques, c’est un axe important. Elles ont déjà l’avantage d’exister car il y a quelques années, les urgences pédiatriques n’existaient pas. Elles sont déjà bien structurées mais je pense qu’on peut faire mieux en intégrant la traumatologie de l’enfant, la prise en compte du stress… Il y a un certain nombre de points sur lesquels on doit progresser, comme les repérages des situations d’extrême urgence. Il y en a peu en pédiatrie, mais on n’a pas le droit de les rater, donc ça nécessite une vigilance très importante. Il faut aussi travailler sur l’afflux massif de victimes. Nous devons être capables de gérer 10, 12, 15, 20, ou 30 enfants qui arrivent.

Rapprocher urgences pédiatriques et urgences classiques fait aussi partie de vos projets ?

Se rapprocher des adultes, ce qui est prévu dans le futur hôpital, est une bonne chose. J’ai toujours regretté, et je l’avais exprimé dès le départ, que l’hôpital d’enfants à Lenval soit éloigné des services d’adultes. C’est une erreur grossière. Et Lenval va le payer pendant très longtemps. Ce n’est pas une menace, c’est un constat. Au CHPG, on a cette chance de pouvoir le faire dans de bonnes conditions. Ça se passe très bien avec nos collègues des urgences adultes. On ne peut pas se permettre de se battre : on a besoin d’être solidaire.

Quel est votre deuxième « chantier » ?

La néonatologie. Il y a de plus en plus de prématurés, et on doit offrir aujourd’hui ce qu’il faut pour que l’enfant puisse s’épanouir avec sa maman, mais aussi son papa. Le papa a un rôle fondamental. Quand un enfant reste 15 jours, trois semaines, un mois à l’hôpital, tisser le lien entre l’enfant et les parents est un vrai travail. Ça ne se fait pas naturellement, comme ça. On doit proposer aux parents de prématurés tout ce qu’il faut pour qu’ils puissent accompagner leur bébé avant de retourner à la maison. On a les moyens de le faire.

Quoi d’autre ?

Quand on a besoin de faire des bilans, le coronavirus nous a appris plein de choses. Si demain on doit faire un prélèvement nasal chez un enfant, cela demande des moyens humains. Il faut tenir l’enfant, le rassurer… C’est un métier. Les prises de sang chez les enfants, c’est pareil. Il faut avoir un lieu où on peut proposer de faire des prélèvements chez les petits, dans de bonnes conditions, pour qu’ils ne repartent pas avec un stress terrible.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la pédiatrie en général ?

Elle évolue à une vitesse extraordinaire, mais comme la médecine en général. Je vous ai parlé de la qualité de l’accueil, des soins, la formation interne et à l’extérieur… Le troisième axe est celui de la recherche. Faire de la recherche, ce n’est pas uniquement pour faire beau. Le fait d’avoir l’esprit tourné vers la recherche permet d’avoir toujours cet esprit de curiosité. Il faut continuer à s’intéresser à ce qu’il se passe, parce que rien n’est jamais acquis. Et quand on fait de la recherche, cela apprend à chacun à avoir une rigueur intellectuelle, une façon de raisonner, d’aborder des choses, de se donner des objectifs, de réfléchir aux moyens qu’on va mettre en place pour atteindre les objectifs. Tout ça permet d’avoir un cerveau un peu mieux rangé. La routine, il n’y a pas que dans le couple que c’est terrible, en médecine aussi. Avec cette routine qui s’installe, on finit par croire qu’on est bon, mais la médecine progresse, et on devient mauvais. Et mon angoisse, c’est de ne pas être mauvais. La recherche permet de maintenir ce pétillement, qui fait que l’on est tout le temps en éveil.

On a l’impression que la recherche en pédiatrie avance beaucoup moins vite que celle pour l’adulte : pourquoi ?

La recherche en pédiatrie avance moins vite, parce que vous avez à faire à des enfants. Les parents ne veulent pas faire de leur enfant un cobaye. Notre rôle, c’est de leur expliquer ce que c’est mais la recherche chez l’enfant est extrêmement compliquée à faire. Faire des prises de sang chez un enfant n’est pas facile, cela demande des compétences d’infirmière… Il faut convaincre les parents. Et les laboratoires y vont prudemment. Ils font d’abord l’étude chez l’adulte, ils s’aperçoivent que tout se passe bien, que c’est bien toléré et efficace. Soit ils décident de le mettre en place chez l’enfant, et cela coûte très cher car l’organisation est complexe. Soit ils attendent que le temps passe, que les médecins utilisent le médicament hors autorisation de mise sur le marché (AMM). Exemple les quinolones [utilisées dans l’infection urinaire, les infections osseuses et ORL chez l’adulte — N.D.L.R.] qu’on utilise en pédiatrie, on n’a pas d’autorisation de mise sur le marché chez l’enfant, et le laboratoire ne va pas dépenser un sou pour faire ça.

Cette recherche pédiatrique va-t-elle se développer ?

Ça se développe de plus en plus. La communauté européenne a demandé aux industriels de faciliter la recherche mais d’emblée chez l’enfant. L’autre problème, c’est que les médicaments ne sont pas bons au goût. S’il est amer, un adulte va quand même le prendre, mais un enfant non. Ce n’est pas facile. Il faut tester les goûts… c’est beaucoup plus lourd.

Vous êtes impliqué dans la recherche pédiatrique : sur quelles pistes travaillez-vous ?

Ma recherche se fait sur plusieurs axes. Aux urgences, des projets sont en cours sur un outil de triage. Comment savoir celui ou celle qu’on doit prendre tout de suite et celui ou celle qui peut attendre ? Ça s’appelle le tri. Soit vous faites par ordre d’arrivée, mais le danger c’est qu’il y en ait un qui ne soit pas bien, qui attende et qui risque d’avoir des complications. Soit vous le faites par ordre alphabétique, mais c’est aussi injuste. Soit vous faites le tri en fonction de critères médicaux, mais vous n’examinez pas quand vous êtes à l’accueil des urgences. Ça fait 20 ans qu’on travaille sur ce sujet, et on a même déposé un brevet sur un outil de triage.

De quoi s’agit -il ?

À Lenval, on était les référents pour la France pour travailler sur cet outil de triage. Un outil informatisé, qu’on voudrait non seulement informatiser, mais adosser à une intelligence artificielle, avec un logiciel. Plus on mettrait d’informations, plus il serait performant pour dire que tel ou tel enfant doit être pris en charge très vite. Cet outil va même au-delà du triage, il permettrait aussi d’indiquer dans quel hôpital l’enfant doit aller. Et si demain, vous avez une application mobile qui vous dit d’aller vers tel ou tel hôpital ou vers tel ou tel médecin… C’est mon rêve, et il fait l’objet d’un brevet. Ça va prendre du temps, c’est comme une fusée à plusieurs étages, mais un jour, ça se passera comme ça.

Quelles sont vos autres recherches ?

L’une d’elles est sur comment prélever des urines chez un enfant qui n’est pas propre. On travaille chez le tout-petit sur un mode de stimulation de la miction. Un tel système est déjà utilisé chez les personnes handicapées en fauteuil. Il y a un système neurologique végétatif qui existe chez le bébé. Et quand on l’installe d’une certaine façon, on a déjà fait plusieurs publications dessus, on arrive à déclencher une miction. Le bébé commence à uriner, le premier jet est éliminé, et on récupère le reste. On a alors des urines qui ne sont pas contaminées. Donc moins de surdiagnostics d’infections urinaires, moins de prescriptions d’antibiotiques, moins d’hospitalisations… C’est un projet de recherche sur lequel on travaille. Il a débuté il y a quelque temps, et il a fait l’objet de plusieurs publications.

D’autres projets ?

Oui. On a aussi un projet sur la bronchiolite, le traitement de la bronchiolite préventif, mais aussi curatif. Un industriel m’a contacté pour un projet qui ne se fera que l’hiver 2021-2022. Il faut commencer maintenant pour pouvoir le faire dans un an. C’est long, il faut avoir une vision lointaine. Mais peut-être que demain, on aura un médicament qu’on administre presque comme un vaccin qu’on fait au début de la saison, au mois d’octobre, et qui va protéger le bébé pendant tout l’hiver. Cela lui évitera de faire des bronchiolites sévères.

Comment gérez-vous la relation avec les enfants et l’aspect émotionnel ?

Il n’y a pas qu’une façon d’aborder l’enfant. Vous n’abordez pas un petit qui a 15 jours comme un enfant de 2-3 ans ou un pré-ado de 10 ans ou l’adolescent. Il faut s’adapter. Mais l’expérience d’être parent m’a beaucoup servi. Cela s’apprend, et ça fait partie de l’expérience. Il faut rester simple et s’adapter à l’enfant. L’intonation va être importante. Les vibrations sont importantes. C’est très animal, très instinctif, mais vous pouvez apaiser un enfant rien que par la voix. Mais si vous êtes tendu ou en stress, l’enfant va le ressentir et va lui aussi être en stress. Si on n’y prête pas attention, on peut être négatif dans notre attitude. Tout dépend de notre capacité à gérer ce stress. Moi, ce n’est pas l’enfant qui me stresse, c’est éventuellement la pathologie qu’il peut avoir, les parents qui vont envoyer de l’angoisse… La meilleure façon [de le gérer — N.D.L.R.], c’est de ne pas se sentir visé à titre personnel. Il faut se dire qu’on est là pour les accompagner, et à partir du moment où on l’a compris, ça va beaucoup mieux.

Utilisez-vous des outils particuliers pendant vos consultations ?

Oui, j’utilise un nounours dans le cas de la maltraitance. Je leur explique que même s’il a des bras, des jambes, des oreilles, des yeux comme eux, il y a une différence entre eux et le nounours. Eux, au contraire du nounours, ne sont pas des jouets. On n’a pas le droit de les taper, pas le droit de les toucher s’ils n’en ont pas envie. C’est à eux de dire « oui je veux » ou « non je ne veux pas ». L’enfant est une personne. C’est naturel que l’enfant ait peur de l’inconnu, de l’étranger. Il faut donc le rassurer. Cela demande beaucoup de travail, mais c’est normal. À partir du moment où l’on considère que l’enfant est bien au milieu, qu’il a un rôle important, ça se passe mieux.

BIO EXPRESS

Né en Algérie, le docteur Hervé Haas a fait toutes ses études de médecine à Nice, « de la première année jusqu’à l’internat compris ». Il occupera ensuite pendant 19 mois un poste d’assistant à Cannes avant de retourner à Nice, à l’hôpital de Cimiez, où il créera les urgences pédiatriques au début des années 90. Plus tard, il installera ce même service à L’Archet, avant de rejoindre Lenval en 2010, à l’occasion d’un regroupement. Là-bas, il restera durant près de 10 ans le chef de service des urgences pédiatriques, qui deviendra le quatrième plus important de France, avec 62 000 passages par an. À Lenval, le docteur Haas dirigera également le service de pédiatrie générale qui regroupe une trentaine de lits et plus de 200 personnes. « Un sacré barnum qui m’a permis d’acquérir beaucoup d’expérience », estime Hervé Haas. Il rejoindra finalement le centre hospitalier princesse Grace (CHPG) en juin 2020 pour occuper le poste de chef de service de pédiatrie, en remplacement du docteur Michèle Berlioz, démissionnaire.

Le service pédiatrie du CHPG en chiffres*

2009 : Comme l’année de création des urgences pédiatriques au centre hospitalier princesse Grace (CHPG).

10 : C’est le nombre total de pédiatres exerçant au CHPG.

32 :C’est l’effectif de soignants exerçant au sein des unités de pédiatrie (pédiatrie, néonatologie et urgences pédiatriques) :

• Puéricultrices/Infirmiers diplômés d’État (IDE) : 11.5 Équivalent Temps Plein (ETP)

• Auxiliaires Puéricultrices : 14 Équivalent Temps Plein

• Agents de services hospitaliers (ASH) : 4.5 Équivalent Temps Plein

• Une cadre et une cadre supérieure de santé

10 : Comme le nombre de lits en pédiatrie.

4 : Comme le nombre de lits en néonatologie.

5 290 : C’est le nombre de consultations (hors urgences) enregistrées par le CHPG en 2019.

8 829 : C’est le nombre de passages aux urgences pédiatriques enregistrées par le CHPG en 2019.

* Source : chiffres communiqués par le service communication du Centre hospitalier princesse Grace (CHPG).

Publié le