samedi 20 avril 2024
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Benoîte de Sevelinges :
« Une livraison du nouvel hôpital
en 2032 me paraît crédible »

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Benoîte de Sevelinges dirige le centre hospitalier princesse Grace (CHPG) depuis juillet 2018.

Un peu plus de 18 mois après sa prise de fonction, le moment était bien choisi pour dresser un premier bilan de son action, tout en évoquant les principaux dossiers de l’année 2020. Interview.

Vous dirigez le centre hospitalier princesse Grace (CHPG) depuis le 1er juillet 2018 : en un peu plus de 18 mois, quels sont les principaux sujets sur lesquels vous avez pu avancer ?

Ça a été intense. Comme j’étais déjà en poste au CHPG depuis quelques années, je connaissais très bien mes dossiers. Mais quand on prend ce type de fonction, tout le monde veut avoir un rendez-vous pour exposer son projet et ses actions. Il y a donc eu beaucoup d’échanges très chronophages, mais très intéressants aussi, car cela m’a permis d’avoir une vision très différente de sujets, que je connaissais par ailleurs. Comme la vie d’un hôpital est, par nature, imprévisible on accumule les sujets.

Comme quoi, par exemple ?

En 2018, nous avons été confrontés à une grève administrative des médecins. Cela s’est fait de manière très intelligente pendant tout l’hiver, pour prendre fin en juin 2018. Il n’y a eu aucune répercussion pour les patients, puisque cette grève était donc purement administrative. En revanche, pour les équipes administratives, cela a été beaucoup de travail, beaucoup de réunions annulées au dernier moment, beaucoup de temps perdu… Il a fallu aussi gérer une ambiance pas très positive, pour essayer de garder la motivation de tout le monde. Il a été également nécessaire de travailler pour garder les équipes unies. En effet, cette grève était corporatiste, puisqu’elle ne concernait que les médecins.

Et finalement, les médecins ont obtenu quoi ?

Les médecins souhaitaient une revalorisation générale de leur rémunération, indiciaire et gardes, qu’ils ont obtenue. En parallèle, il y a eu une clarification des règles d’exercice de l’activité libérale. Beaucoup de rumeurs circulaient à ce sujet, très souvent pas fondées, et un effort de transparence avait déjà débuté, en amont.

Entre juillet 2018 et février 2020, qu’est-ce qui a changé au CHPG ?

Nous avons rénové notre service d’ORL. Nous avons introduit de nouveaux équipements qui permettent des explorations complémentaires. Désormais, notre plateau ORL est vraiment très complet. Entre notre offre et celle qui existe par ailleurs dans Monaco, on couvre à peu près toutes les explorations.

Quoi d’autre ?

Nous avons changé notre salle vasculaire. Cette salle est très importante, car elle permet, par exemple, en cas d’urgence, de contenir une hémorragie. On pourra aussi assurer de nouvelles prises en charge, comme l’embolisation de la prostate. Ce qui viendra compléter l’activité du docteur Hervé Quintens. On souhaite d’ailleurs restructurer notre filière et créer un « prostate cancer center » dans le courant de l’année 2020.

L’objectif de ce « prostate cancer center » ?

Fluidifier le parcours du patient. Car aujourd’hui, la prévalence du cancer de la prostate chez les hommes est extrêmement importante. Mais c’est un cancer qui se soigne très bien, et sur lequel on a une très bonne expertise avec Hervé Quintens et le docteur Jean-Michel Cucchi, qui est un expert en IRM sur ce sujet-là. Il y aura aussi un traitement en médecine nucléaire, qui sera dévoilé en avril 2020. Avec notre scanner interventionnel, et notre scanner diagnostic, nous aurons un plateau d’imagerie extrêmement moderne. Cela représente des millions d’euros d’investissement, mais nous avons la chance d’avoir un gouvernement qui nous suit et nous soutient.

Concernant le chantier du nouvel hôpital, la majorité Priorité Monaco (Primo !) du Conseil national a évoqué des surcoûts, avec un budget estimé à 668 millions en 2013, contre 795,7 millions au programme triennal d’équipement public, entre 2019 et 2021 ?

Une quatrième tour a été ajoutée. L’intégration dans ce chantier de la psychiatrie représente un surcoût majeur. Ce surcoût est assumé, car sinon, il aurait fallu créer un autre bâtiment. L’autre source importante de surcoût, c’est le retard. Les équipes restent mobilisées plus longtemps, donc, automatiquement, cela débouche sur un surcoût. Enfin, on a complètement changé la méthode de chantier. Au lieu d’être livré en 4 phases, ce chantier se fera en 3 phases. Chaque phase est une source d’inquiétude et de risques. Là encore, ça génère un surcoût, mais ça a permis de stabiliser le planning, et surtout, de pouvoir exploiter l’hôpital dans de meilleures conditions.

Il est vraiment logique que ce chantier soit en perpétuelle évolution ?

Le programme de ce projet a été rédigé en 2010. Or, en 2010, il n’existait pas de robots chirurgicaux et les salles hybrides commençaient à peine. Si on ne fait pas évoluer ce projet, on livrera en 2026 l’hôpital de 2010. Quel est l’intérêt ? Donc, non seulement les modifications de programmes sont indispensables et nécessaires, mais surtout je refuse de livrer à la fin de ce chantier, probablement en 2032, l’hôpital conçu en 2010. Même si ce décalage génère un surcoût, il est absolument indispensable de s’adapter à l’évolution de la médecine. Sans quoi, on livrera un hôpital passéiste, inutile et inutilisable.

© Photo Iulian Giurca – Monaco Hebdo.

« Si on ne fait pas évoluer ce projet, on livrera en 2026 l’hôpital de 2010. Quel est l’intérêt ? »

Vous parlez avec les élus de la majorité du Conseil national ?

Bien sûr. Deux élus de la majorité sont d’ailleurs impliqués dans ce projet de nouvel hôpital : Christophe Robino, avec lequel on a dessiné ses futurs services, et Marie-Noëlle Gibelli, qui fait partie de l’équipe de direction. De plus, j’ai des échanges réguliers avec le président du Conseil national, Stéphane Valeri.

Ce nouvel hôpital sera donc livré en 2032 ?

Une livraison du nouvel hôpital en 2032, c’est l’hypothèse sur laquelle on travaille. C’est quelque chose qui me paraît crédible. De son côté, la direction des travaux publics travaille pour essayer d’améliorer ce planning de livraison.

Depuis février 2019, vous avez peu à peu changé notre système d’information, sur le plan médical, administratif : où en est le projet de e-CHPG ?

Actuellement, au CHPG chacun a des outils pour gérer la prise en charge du patient. On a un système administratif qui est indépendant, on a le dossier médical qui est informatisé et on a un dossier de soins qui est au format « papier ». Demain, on aura un système d’information central sur lequel l’ensemble des métiers travailleront. Bien sûr, chacun aura des autorisations de lecture et d’écriture différentes, selon les besoins, en fonction des métiers.

L’avantage de ce système d’information centralisé ?

Cela permettra une rapidité, une fluidité et une sécurisation du flux d’informations. Demain, l’infirmière aura les résultats d’analyses en même temps que les médecins directement sur son smartphone. La réactivité sera augmentée, car, même si le médecin est dans un autre service, il pourra répondre en direct à l’infirmière.

Et pour le patient ?

Le patient aura accès à un portail, sur lequel il ira récupérer toutes ses informations. Son bilan biologique, son compte-rendu d’hospitalisation, les conseils de la diététicienne… Il pourra aussi discuter avec l’équipe qui le prend en charge. Une fois à l’hôpital, le patient pourra se géolocaliser grâce à sa tablette ou à celle du CHPG.

© Photo Iulian Giurca – Monaco Hebdo.

« Sur des secteurs d’activité qui sont en grave pénurie, comme la pédiatrie, l’anesthésie, l’imagerie, et la gynécologie, on a plus de mal à recruter qu’il y a quelques années »

Et pour les médecins de ville ?

Ils auront, eux aussi, accès à ce portail, mais de façon privilégiée, car ce sont des professionnels de santé. Ils pourront discuter avec les médecins du CHPG pour évoquer un patient commun.

Face à la numérisation, le métier de secrétaire médicale est bouleversé ?

Depuis 2018, on travaille sur ce sujet. On les a recentrées sur leur métier. Elles font de l’accueil, elles préparent une hospitalisation, elles font des comptes-rendus, elles répondent au téléphone… Jusqu’à présent, la secrétaire médicale, c’était un peu Shiva. Elle accueillait le patient, elle préparait le dossier de la consultation d’après, tout en répondant aux appels téléphoniques, sans oublier la rédaction de comptes-rendus médicaux. Avec le numérique, beaucoup des tâches de la secrétaire médicale disparaissent.

A quoi va ressembler le métier de secrétaire médicale, désormais ?

Elles vont davantage s’orienter vers un rôle relationnel, de conseil. Elle peut avoir, par exemple, un rôle de coordination du parcours du patient lorsqu’il faut annoncer la présence d’un cancer. La secrétaire coordonnera le parcours du patient entre le médecin, l’infirmière et le radiothérapeute.

Comment jugez-vous l’état du climat social au CHPG, alors que certains parlent parfois de « malaise social » ?

Aujourd’hui, le climat social n’est pas du tout délétère. J’ai présenté mes vœux le 16 janvier 2020. L’ensemble des syndicats est venu me remercier de mon discours et me féliciter de mon action. Nous sommes donc dans un climat qui est extrêmement constructif, avec des partenaires sociaux qui le sont également.

Quels sont les chantiers en cours avec ces partenaires sociaux ?

Il y a la signature d’un protocole d’accord sur l’activité syndicale. L’objectif, c’est de se mettre d’accord sur les règles qui prévalent au sein du CHPG. On réfléchit aussi sur le statut du personnel de service qui date de 1982. Ces chantiers sont justement envisagés parce que le climat avec les partenaires sociaux est constructif. Par ailleurs, on a bien avancé sur le sujet des horaires coupés, qui représente un gain réel et important dans les conditions de travail.

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Il n’y a vraiment aucune ombre au tableau ?

Les séances de janvier 2020 avec le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) et le Comité technique d’établissement (CTE) se sont extrêmement bien passées. On a d’ailleurs eu des votes à l’unanimité sur l’ensemble des dossiers qui ont été présentés.

Le 17 décembre 2019, l’élu Horizon Monaco (HM), Jacques Rit a regretté que le schéma d’orientation sanitaire n’évoque pas l’état du climat social au sein du CHPG : cela est-il nécessaire ?

Le schéma d’orientation sanitaire est un document qui met en perspective la stratégie du gouvernement en termes de santé à moyen et long terme. Je ne vois donc pas ce que des éléments sur l’état du climat social actuel auraient à voir dans ce dossier-là. Ensuite, je n’ai été interrogée par aucun élu du Conseil national sur le climat social au CHPG.

Mais pourtant, Jacques Rit s’est dit préoccupé par les services d’urologie et de pédiatrie, alors qu’il avait déjà tiré la sonnette d’alarme sur le même sujet en 2017 : quelle est la situation dans ces deux services ?

L’urologie est un service extrêmement performant, que ce soit sur la satisfaction des patients, de chiffres d’activité ou de turnovers dans le service. Donc je ne sais pas ce que Jacques Rit veut dire concernant ce service.

Et pour le service pédiatrie ?

Il y a eu des démissions. Dont celle de la cheffe de service.

Pourquoi la responsable du service de pédiatrie a démissionné, en décembre 2019 ?

Il y avait une mésentente médicale. Deux médecins ont démissionné. Et cela s’est poursuivi, avec la démission de la cheffe de service. Il s’agissait de désaccords de personnes. Aujourd’hui, nous avons des pédiatres qui sont très soudés et qui font face à une charge importante pour les soins. Car on a, en plus, deux autres pédiatres qui sont en congé maternité. Le personnel paramédical se serre les coudes également. Ce qui est le signe que nous avons là des gens qui sont très attachés à notre hôpital.

Fin janvier 2020, le conseiller-ministre pour les affaires sociales et la santé, Didier Gamerdinger, a reconnu en conférence de presse « une situation délicate » dans le service pédiatrie, avec un fonctionnement du service « perfectible » : où en est le recrutement du nouveau chef de service ?

Le concours a eu lieu le 6 février 2020. Je ne peux pas en dévoiler le résultat, tant qu’il n’a pas été approuvé. Or, le conseil d’administration du CHPG se déroulera fin février, puis il faudra passer par le conseil de gouvernement, et enfin, il faut que la personne choisie se libère de ses fonctions. Donc ce poste sera pourvu dans les mois qui viennent.

Aujourd’hui, lorsqu’il s’agit d’embaucher, le CHPG est-il encore suffisamment attractif par rapport aux hôpitaux français et italiens ?

C’est un établissement qui reste attractif sur deux critères : la rémunération et les conditions de travail. Le CHPG dispose en effet d’effectifs paramédicaux qui sont plus nombreux, mais aussi de matériel et d’équipements qui sont plus modernes et plus riches. En revanche, comme tous les employeurs de la principauté, on souffre de l’accessibilité à Monaco et du coût de l’immobilier. Les infirmières sont souvent en horaires décalés, donc elles subissent un peu moins les embouteillages. En revanche, ce n’est pas forcément le cas pour les médecins. Et puis, sur des secteurs d’activité qui sont en grave pénurie, comme la pédiatrie, l’anesthésie, l’imagerie, et la gynécologie, on a plus de mal à recruter qu’il y a quelques années.

Quelle est la situation ?

Pour l’instant, en gynécologie, en imagerie et en anesthésie, on s’en sort. Sur les services anesthésie et gynécologie, la réputation des chefs de services nous aide énormément. Le professeur Isabelle Rouquette-Vincenti pour l’anesthésie, et le professeur Bruno Carbonne pour la gynécologie, parviennent, grâce à leur nom, à attirer des gens. Mais il faut que l’on reste attentif à cette problématique.

Un audit a été mené aux urgences en 2019 : qu’en est-il ressorti ?

On a créé un circuit court dans lequel on essaie de sortir du flux les cas les moins graves. Ensuite, on aimerait modifier les temps d’attente. De plus, on communique auprès des patients pour leur expliquer comment fonctionnent les urgences. Par exemple, il faut savoir que pour avoir les résultats d’une prise de sang, c’est au moins 2 heures. De plus, on a installé un WiFi avec une plus grosse capacité, on a ajouté des chargeurs pour les téléphones et les tablettes pour que les gens puissent recharger leurs smartphones et bénéficient d’un temps d’attente plus confortable. Et on va ajouter des livres, également. Mais, dans ce service, on est déjà à plus de 90 % de satisfaction chez les patients.

Pour relever le défi du troisième et du quatrième âge, l’objectif des pouvoirs publics, c’est de pousser les patients à vivre le plus longtemps possible chez eux : et après, on fait quoi ?

Je suis persuadée qu’il faut effectivement commencer par la prévention et par le maintien à domicile. Il faut équiper un quota d’appartements domaniaux aux normes handicapées pour les personnes vieillissantes. Il faut en tout cas que la salle de bain soit transformable en salle de bain pour les personnes à mobilité réduite.

Vous avez alerté le gouvernement sur ce sujet ?

J’ai indiqué au gouvernement qu’il serait bien, dans le cadre du plan national de logement, de prévoir en quantités importantes des appartements qui pourront être adaptés par la suite à des personnes âgées vieillissantes. Il ne faut pas comptabiliser que les personnes à mobilité réduite, il faut aussi penser aux seniors et à ceux qui vont vieillir.

A ce jour, la filière gérontologique est organisée comment à Monaco ?

Il y a le centre de coordination gérontologique de Monaco, qui est géré par la Direction des affaires sociales et de la santé (Dasa), sous la supervision du chef du département de la filière gérontologique. On a ouvert le centre Rainier III en 2013, avec une offre complète, avec des séjours courts, des soins de suite et de réadaptation après une opération par exemple, et avec des unités de soins de longue durée. Cette offre est complétée par la maison de retraite A Qietüdine, qui peut accueillir 70 résidents, et le Cap Fleuri. On ouvrira d’ailleurs le Cap Fleuri 2 en 2021 avec 80 chambres, ce qui permettra de lancer les travaux au Cap Fleuri 1. En parallèle, les travaux pour la construction d’une troisième maison de retraite vont débuter en ville. Nous avons aussi un partenaire, la fondation Hector Otto, qui s’agrandit également.

Il y a malgré tout des inquiétudes sur les capacités d’accueil ?

Il y aura des tensions temporaires. Aujourd’hui, on a des listes d’attente, ce qui signifie que, numériquement, notre offre est insuffisante. C’est aussi pour cela que les conditions d’accès à cette filière gérontologique ont changé : on est passé de 5 ans d’ancienneté de résidence à Monaco, à 30 ans d’ancienneté. Mais, même avec 30 ans d’ancienneté, on a une liste d’attente. Ces tensions conjoncturelles peuvent être contenues par un maintien à domicile efficace et structuré.

Pour évoquer les marchés liés aux plus de 60  ans, certains parlent de “silver economy” : le terme vous choque ou vous estimez que c’est un business comme un autre, finalement ?

C’est un business comme un autre en ce qui concerne le volet technologique, car c’est un peu l’avenir de la e-santé. Sur ce sujet, la principauté a des atouts, avec des lieux d’expérimentation qui s’y prêtent. En revanche, je pense qu’il faut faire très attention à la protection des seniors en principauté. Le troisième et le quatrième âge nécessitent à Monaco un encadrement juridique extrêmement fort, notamment pour faire face aux abus de faiblesse.

Le service de conciergerie de luxe pour hôpitaux Happytal, qui est parfois controversé en France (1), pourrait débarquer à Monaco ?

Happytal vend des chambres particulières, ils s’occupent du linge, des livraisons de fleurs, de journaux… Happytal nous a démarchés, mais on a refusé de travailler avec eux, car nous faisons déjà gratuitement ce que eux proposent de manière payante.

© Photo Iulian Giurca – Monaco Hebdo.

«[Pour le service de bilans de santé pour VIP] ma déontologie n’est absolument pas touchée. Mais je ne proposerais pas une offre de médecine privée dans tous les services du CHPG »

Depuis 2016, le CHPG propose des bilans de santé pour VIP installés dans trois suites de 70 m2 : avec quels résultats ?

Dans le nouvel hôpital, il y aura 5 suites de ce type. Le bilan est exceptionnel, avec un bilan de satisfaction qui est de 100 %. Par rapport à l’année dernière, l’augmentation d’activité est de 20 % avec seulement trois suites. A l’origine, cette unité de bilans de santé a été proposée par le Conseil stratégique pour l’attractivité (CSA). Nous enregistrons régulièrement l’arrivée de nouveaux patients, qui restent souvent la semaine à Monaco. On voit également beaucoup de gens revenir après un premier bilan. Nous avons la meilleure offre en Europe.

Combien ça coûte ?

De 3 000 à 6 000 euros pour une journée, de 8h30 à 16h30. Pour un homme de 50 ans, la journée type c’est une prise de sang, une coloscopie, une pause déjeuner, puis il va voir le cardiologue, l’urologue, l’ORL, l’ophtalmo, on contrôle ses poumons, il fait les radios nécessaires… Ensuite, en fonction des résultats obtenus dans la journée, des rendez-vous sont pris, si nécessaire.

C’est vraiment le rôle d’un hôpital public de proposer ce genre de service qui peut s’apparenter à une privatisation de la médecine ?

Je ne suis pas du tout gênée, parce que j’ai un hôpital qui est en déficit. Or, ce déficit est financé par le gouvernement. Donc, lorsque le gouvernement princier me demande de participer à l’une des stratégies qui est mise en œuvre, il me paraît plus que normal de le faire, et de le faire avec enthousiasme.

Mais est-ce que cela pose des questions d’ordre éthique pour un hôpital public ?

Je peux entendre cette remarque, sauf que dans la pratique, celui qui gère ce service de bilan, Gilles Chironi, est spécialisé depuis des années, et bien avant qu’il n’arrive à Monaco, dans la prévention des maladies cardio-vasculaires. Gilles Chironi a fait de cette unité de “check-up” un service de prévention. Sans cette offre, il y a un certain nombre de personnes à Monaco qui ne se feraient pas soigner, ne seraient pas dans une démarche de prévention pour leur santé. Donc ma déontologie n’est absolument pas touchée. Mais je ne proposerais pas une offre de médecine privée dans tous les services du CHPG.

Pourtant, de leur côté, certains services manquent de lits, comme l’a indiqué récemment en conférence de presse le docteur Jean-François Ciais pour le service de soins palliatifs qui ne dispose que de 4 lits ?

Nous avons prévu d’avoir 10 lits pour le service de soins palliatifs dans le futur hôpital. Cependant, il faut savoir que les soins palliatifs sont aussi prodigués par une unité mobile, qui passe dans les services. Mais ce métier c’est aussi celui de la filière gérontologique, qui est le lieu où on fait le plus de soins palliatifs. On en fait aussi en médecine interne, en hépato-gastro-entérologie… Donc on a des soins palliatifs un peu partout au CHPG. Il existe chez nous une vraie culture palliative, qui est liée à cette équipe mobile qui existe depuis très longtemps. Cette unité palliative remplit son rôle. Elle est remplie à 98 %.

Fallait-il encadrer la fin de vie par une loi, comme s’apprête à le faire le gouvernement ?

Oui, sûrement. Je n’ai pas encore lu le texte. Mais, ce qui est sûr, c’est que ce texte ne sera pas parfait. Parce que cette situation ne peut pas être appréhendée de manière claire. C’est quelque chose de très personnel, où on est forcément dans l’émotionnel. Cependant, il faut savoir qu’il existe des directives anticipées que les gens peuvent remplir.

Faut-il développer les soins palliatifs à domicile ?

Est-il vraiment nécessaire d’avoir des patients qui viennent mourir à l’hôpital ? Tout dépend des situations, mais l’un des défis, c’est de savoir comment offrir, de manière plus large, des soins palliatifs à domicile, en toute sécurité pour le patient et ses accompagnants. Car il faut aussi penser à la prise en charge des proches, qui est très importante.

Est-ce qu’un cas semblable à celui de Vincent Humbert, qui a relancé en France le débat sur la fin de vie, pourrait se dérouler à Monaco ?

Au CHPG, nous n’avons pas de service où on maintient les gens en état de mort cérébrale. Mais à l’hôpital, le sujet est davantage tourné sur la question de l’arrêt des traitements. Dans 99,9 % du temps, les médecins gèrent ce genre de situation, car ils ont souvent un rapport assez privilégié avec le patient, et avec sa famille. Souvent, le médecin suit les patients depuis des années. Il y a donc un peu plus de confiance de ce point de vue là.

Quels sont les principaux dossiers pour votre hôpital en 2020 ?

Il y a d’abord la transition numérique qui va nous occuper au quotidien. En avril, on inaugurera notre nouveau service de médecine nucléaire. On double nos capacités, ce qui va faire de nous, qui avons déjà une filière d’excellence sur la cancérologie, un vaisseau amiral sur le sujet. Nous aurons des nouveaux modes de traitement que l’on ne trouve quasiment nulle-part ailleurs en Europe. Nous allons réunir tous les professionnels de l’oncologie du CHPG pour élaborer une stratégie à moyen et long terme autour de la question de la cancérologie à Monaco.

Il y aura d’autres gros dossiers ?

Nous allons faire un gros travail sur la cardiologie. Notre nouveau chef de service est arrivé. Le centre cardio-thoracique de Monaco a également renouvelé une partie de ses effectifs. Nous allons donc travailler en synergie avec eux, afin d’améliorer encore notre offre de santé.

Quoi d’autre ?

Nous travaillons sur une campagne interne sur la gestion des conflits. L’objectif est de donner à nos agents les bons outils pour gérer cela. Aujourd’hui, nous avons un nombre de patients agressifs vis-à-vis de nos agents qui est de plus en plus important. Même si c’est quelque chose que l’on sait gérer dans le cadre de la douleur, par exemple.

Mais là, c’est vraiment devenu ingérable ?

Ce sont des situations inacceptables, qui sont effectivement devenues ingérables depuis 2016 environ. Les gens se font agresser parce que l’attente a été jugée trop longue, parce qu’on trouve que la chambre est trop chère ou parce que le riz était froid, ou que le téléphone ne fonctionne pas devant un panneau « téléphones interdits »… Dans cette campagne, il y aura donc un volet tourné vers les patients, afin de les sensibiliser sur cette thématique. Il faut que les choses changent.

1) Lancée en 2013 par deux anciens du cabinet de conseil McKinsey, Happytal propose un service de conciergerie de luxe dans une centaine d’hôpitaux en France et quelques établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Début janvier 2020, le député Olivier Falorni a dénoncé ce business à l’Assemblée nationale, en évoquant le cas de l’hôpital de La Rochelle : « Depuis trois mois, l’hôpital de La Rochelle a fait entrer le loup dans la bergerie. Ce n’est hélas pas le seul hôpital à ce jour. Ce loup, c’est celui de la marchandisation au sein de l’hôpital public. Un accord a en effet été signé entre le directeur et une société de services privée qui s’appelle Happytal. Mais derrière la vente de prestations de bien-être, de produits alimentaires, se cache un business beaucoup plus lucratif et pour le moins contestable sur le plan éthique. » De son côté, Happytal a répondu, en rappelant qu’une « charte éthique interne interdit à leurs salariés tout démarchage commercial abusif, qu’ils n’ont accès aux chambres qu’avec l’accord d’un chef de service et qu’ils opèrent dans un cadre légal très strict ».

Vidéo : Notre interview de Benoite de Sevelinges, directrice du CHPG Monaco

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