Le centre hospitalier princesse Grace (CHPG) s’est équipé de quatre boîtiers qui stimulent les sens des nouveau-nés hospitalisés. Baptisés CaliNange, ils ont été offerts par l’association Monaco Liver Disorder. Ils permettent de maintenir le lien entre les parents et l’enfant, lorsqu’il est compromis.
Il a la forme d’un cœur, et il est d’aspect léger, comme pour adoucir un épisode de vie pas toujours évident à traverser. Le CaliNange, c’est son nom, ressemblerait à s’y méprendre à un petit cadeau de naissance, comparable à une veilleuse ou une peluche. C’est pourtant un outil médical, qui a convaincu le service pédiatrie du Centre hospitalier princesse Grace (CHPG) de Monaco. L’établissement en équipe quatre de ses six lits depuis lundi 13 juin 2022, après bientôt trois mois d’expérimentation. C’est l’association Monaco Liver Disorder (MLD) qui les a financés.
Maintenir le lien
Tout est parti d’une aventure humaine. À l’origine de ce boîtier, il faut se tourner vers Aurore Saintigny et son entreprise Calinescence, créée en 2019, après plusieurs mois passés dans un service de néonatalité de l’hôpital Cochin-Port Royal, lors de sa grossesse. L’idée était de créer quelque chose qui puisse tenter de soulager les enfants nés prématurément, mais aussi leurs parents, et les soignants qui les accompagnent : « Je voulais créer un appareil qui permette de maintenir son enfant près de soi, en stimulant ses zones sensorielles. Je voulais le créer pour renforcer la réponse de ses liens familiers, car c’est ce dont il a particulièrement besoin », explique Aurore Saintigny. Le CaliNange a en effet la particularité de stimuler les cinq sens du nourrisson que les parents ne peuvent malheureusement pas accompagner, notamment à cause d’une naissance prématurée ou d’une maladie. Et, surtout, il maintient le lien entre les parents et l’enfant. D’abord à travers la voix, en restituant celle du parent, enregistrée via l’appareil. Celle-ci ressort, comme par le biais d’un dictaphone, à la différence qu’elle est épurée des fréquences dites « stressantes » : « Si l’enfant ne va pas bien, vous non plus. Or, sans le vouloir, vous lui transmettez ce stress, et cela va l’amener vers plus d’angoisse et d’instabilité. Ce boîtier ne va donc restituer qu’une diffusion de la voix avec des fréquences de marqueurs sans stress, pour lui inspirer davantage de sérénité », ajoute sa créatrice. Ce boîtier est également capable de reproduire les sons des battements cardiaques, dont le nourrisson est privé lorsqu’il est en couveuse. Sur le plan olfactif, le CaliNange est lové dans un tissu lavable, sur lequel le parfum du parent peut être diffusé. Et, sur le plan visuel, il diffuse de petites lumières pour stimuler le contact visuel de l’enfant et ses capacités cognitives. Enfin, pour stimuler le toucher, l’appareil est équipé de tiges en plastique chirurgical doux, que l’enfant peut attraper et manipuler. Le tout en respectant les protocoles sanitaires qui permettent à ces appareils d’être déposés dans une couveuse. Un point qui a convaincu le docteur Hervé Haas, chef du service pédiatrie au CHPG.
« Je voulais créer un appareil qui permette de maintenir son enfant près de soi, en stimulant ses zones sensorielles »
Aurore Saintigny. Fondatrice de Calinescence
Formation du personnel du CHPG
« C’est un cœur, au départ. Le cœur a des vertus certes symboliques, et on comprend ce que cela veut dire. Mais il a des tas de fonctions derrière. Ce cœur-là, il a des fonctions multiples d’enregistrement du rythme cardiaque du père ou de la mère, d’enregistrement de paroles, qu’on peut enregistrer à souhait, et qu’on peut reproduire quand on met ce cœur près de l’enfant, explique le docteur Haas. L’objectif principal n’est pas de remplacer les parents, car on ne remplacera jamais un papa ou une maman. Mais, quand ils ne sont pas présents, il faut que le bébé puisse sentir, par plein de sens différents, la présence encore de son père ou de sa mère. » Pendant la phase d’expérimentation au CHPG, le personnel du service pédiatrie a été formé à l’utilisation du boîtier, tant sur le point sanitaire que sur la manière d’optimiser son utilisation : « C’est un outil, pas un jouet, qui permet de travailler entre personnel soignant et parents, pour rester le plus longtemps possible ensemble, jusqu’à la sortie. Ce boîtier permet un meilleur développement neuro sensoriel. Il améliore la qualité du retour à domicile, et il permet de bien travailler dès le départ sur le lien parents-enfant. Il ne s’adresse pas qu’aux enfants prématurés. Des nouveau-nés à terme sont parfois vulnérables à cause d’une infection », ajoute le docteur Haas. Car l’objectif est de garantir au mieux le développement de l’enfant.
« C’est un outil, pas un jouet, qui permet de travailler entre personnel soignant et parents, pour rester le plus longtemps possible ensemble, jusqu’à la sortie »
Docteur Hervé Haas. Chef du service pédiatrie au CHPG
Développement de l’enfant
« Ne pas perdre le lien avec les parents, c’est fondamental dans la prévention du développement de l’enfant. On a démontré que, lorsque les parents sont en contact avec leur enfant, cela permet d’améliorer la qualité des soins, de réduire la durée des hospitalisations, et de travailler sur le lien à domicile, en prévention de la mort subite et de la maltraitance », souligne le docteur Haas. « Un bébé, ce n’est pas seulement un être humain qui mange et qui dort. Il y a beaucoup d’autres choses en jeu. Depuis une quinzaine d’années, c’est pris en considération. Mais, quand j’ai débuté mon internat, ce n’était pas du tout pris en compte. À tel point qu’on pensait que les prématurés ne souffraient pas. Ce qui est une erreur terrible, car ce sont même eux qui souffrent le plus au contraire, puisqu’ils n’ont pas la possibilité de contrôler cette douleur. » En ce sens, le docteur André Rousset, chef adjoint du service pédiatrie, confirme la complémentarité de cette technologie au travail du personnel soignant : « Ce boîtier va permettre de recréer le mieux possible le lien que l’enfant avait tissé in utero. Je parle vraiment du nouveau né et du nouveau né prématuré, qui vit dans un environnement qui est protecteur, à l’abri de la lumière, des sons et des sons nocifs, des odeurs et de toutes ces stimulations, qui vont malheureusement apparaître à la naissance, lorsque l’enfant passe d’un environnement protecteur à un environnement hostile, explique le docteur Rousset. Face aux bruits, au froid, aux odeurs, aux infections, et aux stimulations cutanées, ce type d’appareil permet à l’enfant de retrouver l’environnement proche de l’utérus, car son développement psycho moteur en sera moins perturbé. » Parce que les parents aussi sont vulnérables après la grossesse, selon le docteur : « Les parents sont confrontés à un stress post-traumatique, et ce stress est durable. Il va durer plusieurs semaines, voire plusieurs années. Donc, tout ce qui va contribuer à limiter ce stress est important, car c’est également au bénéfice du nouveau-né. »
Caritatif
L’association Monaco Liver Disorder (MLD), qui œuvre pour un meilleur traitement des maladies du foie de l’enfant et de leurs pathologies rares, a permis au CHPG de tester, puis de s’équiper, de cette technologie. C’est cette association qui a financé l’achat, sur ses fonds propres. À l’hôpital de décider ensuite d’acheter des boîtiers supplémentaires, s’il le juge nécessaire : « C’est la première fois que nous intervenons au CHPG. Nous travaillons surtout avec l’Archet II de Nice, pour qui nous rénovons les trois services de néonatalité qui couvrent la région PACA, Monaco, et la Corse. Mais, si on peut apporter notre pierre à l’édifice du CHPG, nous sommes partants, notamment pour le confort des parents, soignants, des médecins, et bien sûr des enfants. Car c’est toute une chaîne. Nous avons de bons médecins à Monaco, et il faut les soutenir », conclut la présidente fondatrice de l’association, Carla Fadoul Shechter.
