samedi 20 avril 2024
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Addict au Coca,
son coeur dit stop

Publié le

Une habitante de Beausoleil, qui buvait exclusivement des sodas à base de cola depuis seize ans, a été traitée au CHPG en octobre 2012 pour des troubles cardiaques. Son cas a été présenté récemment lors d’un congrès de l’European Heart Rythm Association (EHRA). Le professeur Nadir Saoudi et le docteur Naïma Zarqane, respectivement chef et praticienne hospitalier du service cardiologie, le décryptent.

Monaco Hebdo : Pouvez-vous nous décrire le cas de cette femme addict aux sodas à base de cola qui a été traitée au CHPG ?
Dr Naïma Zarqane : Il s’agit d’une patiente de 31 ans, résidente beausoleilloise, qui ne buvait que des sodas à base de cola depuis l’âge de 15 ans. Pendant ma garde, en octobre 2012, elle a été admise aux urgences puis dans le service de cardiologie du Centre Hospitalier Princesse Grace pour syncope traumatique avec plaie crânienne. Nous avons constaté que son électro-cardiogramme était anormal, avec ce que l’on appelle un espace QT très allongé. Cette anomalie peut favoriser de graves troubles du rythme cardiaque voire exceptionnellement le décès.

M.H. : Qu’est-ce que l’espace QT concrètement ?
Pr Nadir Saoudi : L’électro-cardiogramme, c’est une succession d’accidents électro-cardiographiques qui sont désignés par les lettres PQRST. P, c’est l’activité électrique des oreillettes du coeur. QRS, c’est l’activité électrique de l’activation des ventricules et T correspond au temps que vont mettre les ventricules à être à nouveau excitables par une impulsion électrique. L’espace QT, c’est donc le temps qui s’écoule entre le début de l’activation des ventricules et le retour à leur état antérieur d’excitabilité normale.

M.H. : Comment s’est passée la prise en charge ?
N.Z. : Nous avons réalisé une prise de sang en urgence qui a mis en évidence une hypokaliémie sévère c’est-à-dire un taux de potassium anormalement très bas (2,4 au lieu de 3,5 millimole par litre). Cela expliquait les troubles sur son électro-cardiogramme. Nous l’avons supplémentée en potassium par voie intra-veineuse pour éviter tout risque de trouble du rythme mortel. En collaboration avec l’équipe de néphrologie, nous avons également réalisé un bilan clinique, sanguin et urinaire pour comprendre les causes de cette hypokaliémie sévère. Nous lui avons aussi posé des questions sur ses habitudes alimentaires potentiellement en lien avec l’hypokaliémie comme la réglisse et le thé. L’addiction aux sodas à base de cola ne fait pas partie du diagnostic classique.
N.S. : Elle était vraiment en danger de mort avec un taux de potassium aussi bas.

M.H. : Elle ne vous a pas tout de suite indiqué son addiction ?
N.Z. : Non. En discutant avec elle le deuxième jour, elle nous a spontanément dit qu’elle buvait exclusivement des sodas à base de cola depuis l’âge de 16 ans. Nous avons consulté la littérature médicale et avons constaté qu’il existait, dans le monde, six cas isolés d’hypokaliémie liés à une prise excessive de boissons à base de cola sur des périodes courtes (en général plus de trois litres par jour). Les deux premiers cas rapportés remontaient à 1994 et 2001 et concernaient des femmes enceintes. La seule complication cardiologique publiée, liée à cette hypokaliémie favorisée par une surconsommation de sodas à base de cola, est une bradycardie (rythme cardiaque très lent) ; les autres complications décrites sont essentiellement des atteintes musculaires, avec fatigue voire paralysie.

M.H. : Combien de temps a-t-elle été hospitalisée ?
N.Z. : L’hospitalisation a duré quatre jours, cela a suffi pour corriger son taux de potassium et normaliser son électrocardiogramme (l’hypokaliémie et l’allongement du QT étant liés). Des prises de sang de contrôle ont été réalisées à une semaine et à un mois après la sortie de l’hôpital. En arrêtant le cola, et sans traitement médicamenteux, son taux de potassium s’est normalisé à 4.1 mmole/litre (la normale est entre 3,5 et 5,1 mmole/litre).

M.H. : Peut-on faire un lien direct entre la consommation excessive de sodas à base de cola et les troubles cardiaques ?
N.Z. : Il n’y a eu que des cas isolés publiés. Aucune étude épidémiologique n’a été faite sur une large population. Il est trop tôt pour affirmer qu’il existe un lien direct mais nous observons des coïncidences qui doivent alerter la vigilance des médecins.

M.H. : Les fabricants devraient se pencher sur ces cas, non ?
N.S. : Cela leur a déjà été rapporté. Il y a eu récemment une suspicion sur un décès en Nouvelle-Zélande, qui serait lié à la consommation excessive de sodas à base de cola. Coca-Cola a officiellement statué qu’il ne fallait pas en boire trop.

M.H. : Quelle dose de sodas peut-on ingérer au quotidien sans connaître de troubles cardiaques ?
N.S. : Pour répondre à une telle question, il faudrait qu’elle ait été étudiée. Or, ce n’est pas le cas pour l’instant. La coïncidence est trop lourde dans les cas recensés pour que cela soit fortuit. Il y a une autre façon d’y répondre. Les boissons à base de cola, c’est du sucre et donc facteur d’obésité.
N.Z. : Les autres effets secondaires reconnus sont l’atteinte de l’émail dentaire et la déminéralisation osseuse, le diabète et le syndrome métabolique, qui constitue un état pré-diabètique.

M.H. : Quelle conclusion doit-on tirer de ce cas clinique ?
N.Z. : Les parents devraient être vigilants à la consommation de sodas de leurs enfants, en particulier les adolescents. Il faut être prudent avant d’affirmer quoi que ce soit car il s’agit un cas exceptionnel. Nous émettons des hypothèses. En médecine, il est impossible d’affirmer le lien de cause à effet sur un cas isolé.
N.S. : Avec un petit bémol, cela concerne plusieurs cas maintenant. La méthodologie lors d’essais cliniques est stricte. Pour évaluer l’impact d’une molécule chimique sur l’organisme, il faut répéter plusieurs fois les conditions soupçonnées d’avoir entraîné une pathologie. Stricto sensu, il aurait fallu lui redemander de boire beaucoup de boissons à base de cola et de lui redonner du potassium ensuite, afin de constater que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Ce ne serait pas éthique de le faire. Ça mettrait sa vie en danger. C’est moins fort comme preuve d’accumuler des cas mais c’est quand même mieux que d’avoir des cas isolés. Les cas accumulés forment désormais un fait d’observation. C’est suffisamment vrai pour que Coca-Cola ait réagi en disant de ne pas être excessif, sans être précis.