vendredi 19 avril 2024
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« La fécondité assistée fait des progrès de folie »

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« Il ne faut pas se voiler la face: les femmes n'ont que 10 km à parcourir pour trouver un hôpital qui pratiqueront l'IVG. »?© Photo Monaco Hebdo.

Israël Nisand a participé au congrès GYN 2011 de Monaco. Rencontre avec ce gynécologue
obstétricien français au CHU de Strasbourg, qui doit remettre au gouvernement français son rapport sur la contraception et l’avortement des jeunes filles. L’occasion d’évoquer l’IVG mais aussi les problèmes liés au dépistage natal et à la fécondation assistée.

Propos recueillis par Céline Galbrun.

Monaco Hebdo?: En France, malgré les nombreux moyens de contraception, le nombre d’avortements n’a pas baissé, bien au contraire. Comment l’expliquez-vous??
Israël Nisand?: On appelle ce problème le « paradoxe français ». En France, on a 227?000 IVG par an. Résultat, une grossesse sur quatre se termine en avortement. Actuellement, une femme sur deux aura une fois dans sa vie une grossesse non désirée. Et une fois sur deux, cette grossesse non souhaitée se finit par une IVG. À mes yeux, trois paramètres principaux expliquent ce phénomène.

M.H.?: Lesquels??
I.N.?: Premièrement, les contraceptions orales ont été surestimées. Bien qu’elles soient, en théorie, fiables à 100 %, ce n’est pas le cas en pratique. Elles conviennent aux femmes régulières et méticuleuses, ce qui n’est pas le cas de toutes. Aujourd’hui, des contraceptions plus adaptées, comme le stérilet ou l’implant, conviendraient parfaitement aux plus têtes en l’air.

M.H.?: Mais encore??
I.N.?: Deuxièmement, l’information à la sexualité dans les écoles, prévue par une loi de 2001, n’a jamais été mise en application. Pourquoi?? Parce que les fédérations religieuses de parents d’élèves se sont tout de suite opposées à la loi. Résultat, les jeunes sont mal informés et ont des a priori non fondés. Ils apprennent la sexualité d’une manière lamentable par des vidéos où la femme est complètement réduite en objet.

M.H.?: Quelle est la dernière raison selon vous??
I.N.?: Troisièmement, la confidentialité de la sexualité des jeunes n’existe pas. Ils sont obligés d’en parler à leurs parents ou à une autorité supérieure pour obtenir une contraception. Mais à l’adolescence, personne ne souhaite exposer sa vie sexuelle. Il faudrait rendre les moyens contraceptifs gratuits pour les moins de 17 ans. Je trouve ça incroyable que ce ne soit pas déjà le cas dans un pays qui a rendu l’IVG et la pilule du lendemain anonyme et gratuite. À croire qu’ils poussent les jeunes à l’imprudence. J’avais parlé de cette idée aux présidents de la République successifs français qui approuvaient mes dires. Mais les hommes politiques ont politisé cette question. Ils ont peur de perdre quelques voix dans l’électorat conservateur.

M.H.?: Mais la religion prône l’abstinence afin d’éviter ce type d’incident??
I.N.?: On est sur un constat d’échec de cette recommandation. Les catholiques devraient être les premiers à dire « faisons de l’éducation à la sentimentalité, à la sexualité ». Les jeunes s’affranchissent mieux de l’appel au sexe permanent dans nos sociétés quand ils ont les informations que lorsqu’ils ne les ont pas. Les autres pays sont là pour nous le prouver. En Hollande et au Québec, il y a trois fois moins d’IVG chez les mineurs qu’en France. Et en Suisse quatre fois moins. Parce que dans ces pays, ils informent les jeunes, ils leur parlent.

M.H.?: Reste que la plupart des religions et beaucoup d’associations sont contre l’Interruption volontaire de grossesse (IVG) et la mise en place de la fécondation assistée…
I.N.?: Laisser aux femmes la maîtrise de leur fécondité, c’est leur donner la liberté qu’elles méritent. Au final, il n’y a que les hommes qui contestent réellement ce droit-là. Pourtant, personne n’est à même de les juger. C’est à elles de faire leur choix puisqu’elles sont les premières concernées. Pour ce qui est de l’intervention de la religion sur l’IVG, je dirais comme Jules Breton?: « Je respecte beaucoup les gens qui questionnent Dieu, en revanche, j’ai très peur de ceux qui entendent les réponses ». Ce qui m’effraie, c’est que certaines personnes ont l’intime conviction que la religion doit avoir un certain pouvoir sur la politique du pays. Mais la religiosité est une affaire privée. Lorsque l’organisation politique d’un État est maîtrisée par les religieux, j’appelle ça de l’intégrisme. Que ceux qui sont croyants écoutent les interprètes de Dieu s’ils le souhaitent, mais ces derniers n’ont pas à imposer leurs valeurs au reste de la population. Cependant, il est clair que les dirigeants des pays ont l’importante responsabilité de faire la part des choses entre la loi du pays et celle des religions.

M.H.?: Dans certains pays comme Monaco, l’interruption volontaire de grossesse est interdite. Comment analysez-vous ce choix?
I.N.?: À mes yeux, c’est un choix hypocrite. Il ne faut pas se voiler la face?: les femmes n’ont que 10 km à parcourir pour trouver un hôpital qui pratiqueront l’IVG. Si les Monégasques n’avaient pas la chance de pouvoir avorter ailleurs, la situation serait sans doute différente. Avant 1975, j’ai vu en trois mois d’internat deux jeunes femmes de 15 ans et 16 ans mourir en 24h dans des douleurs atroces après s’être injecté de l’eau savonneuse dans l’utérus pour avorter. Je me souviens de leurs prénoms et je me souviens de leurs cris. Depuis le 23 janvier 1975, plus aucune femme n’est morte de ça en France. À l’époque, il en mourrait une par jour, soit 300 dans l’année. Cela fait plus de 105?000 vies épargnées en 35 ans.

M.H.?: Aujourd’hui une femme peut avorter au bout de 12 semaines de grossesses (14 semaines d’aménorrhée). Pourquoi ce délai??
I.N.?: Au bout de 12 semaines, l’embryon est ossifié et son extraction est plus difficile. Il faut fragmenter le fœtus utéro et le retirer morceau par morceau. Bien sûr, il y a des médecins pas très regardants qui le font aux Pays-Bas. Leurs clientes sont d’ailleurs majoritairement des Françaises. Mais il existe l’IMG (Interruption médicale de grossesse) lorsque l’enfant souffre d’une malformation ou d’une pathologie maternelle grave. On peut alors interrompre la grossesse à tout moment.

M.H.?: Le dépistage prénatal de la trisomie 21 permet d’empêcher la naissance de 1?600 de malades. Est-ce vraiment un réel progrès?? Certains parlent d’eugénisme.
I.N.?: Je suis plutôt réservé sur cette question. Bien entendu, c’est une invention formidable. Entre 1975 et aujourd’hui, on compte le même nombre de naissances de trisomie 21, soit 300?000. Cependant, comme vous l’avez dit précédemment, 1?600 sont avortées chaque année. Le nombre de malades a donc augmenté. Pourquoi?? Car l’âge de la première grossesse s’est décalé de 5 ans vers, on est passé de 25 à 30 ans. Il faut savoir qu’à 20 ans, le risque que notre enfant souffre de la trisomie 21 est de 1 pour 2?000 naissances, à 30 ans d’1 pour 1000, à 40 ans d’1 pour 100 et à 46 ans d’1 pour 12. Je ne suis pas contre le fait qu’une femme ait ses enfants tard, mais en sachant que l’espérance de vie d’un trisomique est de 75 ans aujourd’hui, ce dépistage est nécessaire sans quoi, le budget de la nation serait insuffisant. Et c’est d’ailleurs des intérêts économiques qui ont prévalu le financement du dépistage. Il faut savoir que le prix du dépistage coûte 150?000 euros, soit le prix de son entretien pendant deux ans. C’est cette partie-là que je trouve dérangeante. Au final, c’est l’aspect économique qui motive l’État à agir plus que l’aspect éthique.
Ce qui me déplait également, c’est qu’on informe mal les femmes qui se font dépister. Au final, sur 830?000 naissances par an en France, 700?000 femmes se font dépister, mais seulement 100?000 comprennent ce qu’on leur fait. Et là, je dis qu’il y a un souci.

M.H.?: Y a-t-il des nouveautés au niveau contraceptif??
I.N.?: Le monde de la contraception est un monde qui a évolué très vite. D’ailleurs, un laboratoire monégasque va mettre en vente, dans le mois ou les deux mois qui viennent, une pilule totalement révolutionnaire, avec des produits beaucoup plus légers et naturels. Ce sont des pilules à l’œstrogène naturel. On n’en avait qu’une pour l’instant, mais elle n’était pas terrible. De plus, il y a une offre contraceptive qui est devenue véritablement importante.

M.H.?: Et au niveau de la fécondation assistée??
I.N.?: Au niveau de la fécondité assistée, on est en train de faire des progrès de folie. Entre 1980 et aujourd’hui est née une discipline scientifique de la médecine de la reproduction très évoluée. À mes débuts, il m’arrivait souvent de dire à mes patients qu’ils n’avaient aucune chance d’avoir un enfant. De nos jours, ce n’est plus le cas, ce qui est exceptionnel?!