mardi 23 avril 2024
AccueilActualitésJudiciaireUne entreprise de shipping menée en bateau

Une entreprise de shipping menée en bateau

Publié le

Supertanker
© Photo D.R.

Une importante affaire d’escroquerie a été jugée le 11 octobre dernier. Elle impliquait huit prévenus italiens issus du milieu du shipping dont d’anciens employés de la société monégasque Scorpio Ship Management.

Près de cinq heures d’audience. C’est le temps qu’ont duré les débats judiciaires de l’affaire Scorpio, instruite depuis neuf ans, devant le tribunal correctionnel le 11 octobre dernier. La procédure lancée en Italie pour le même dossier a été annulée pour prescription. Cités à comparaître, huit prévenus de nationalité italienne. Sept évoluant dans le milieu du shipping et la dernière dans un établissement de gestion financière. Si à la barre, ils n’étaient que trois, costumes sombres et visages tendus, on dénombrait neuf parties civiles?: la société monégasque de shipping Scorpio Ship Management, au centre de l’affaire, et huit sociétés maltaises dont la Scorpio gère les bateaux. Les faits reprochés aux différents prévenus (faux en écritures privées de commerce ou de banques et usage, escroqueries, recel d’escroqueries) visaient une période comprise entre avril 1999 et septembre 2002.
L’histoire commence donc en 2002. Au moment où elle se penche sur la renégociation d’un contrat, la Scorpio découvre qu’elle est victime d’une vaste escroquerie montée par une partie de ses salariés. Le préjudice exact étant impossible à chiffrer, un montant d’au moins 978?000 dollars est toutefois déterminé par la Scorpio. Les infractions ont été commises au niveau de la gestion des bunkers (soit les stocks de pétrole). La Scorpio achetait depuis plusieurs années du carburant qui lui appartenait déjà. Il lui était vendu par des sociétés fictives basées à Jersey et créées au début des années 90 par Barbara C., femme d’un des deux cerveaux présumés de l’affaire, Antonio C. Ce dernier dirigeait le secteur bunkers de la Scorpio, assisté par Margherita A., citée parmi les prévenus.

L’argent en Suisse et au Luxembourg

Pour faire payer son propre pétrole à leur employeur, les salariés fraudeurs ont monté un système de fausses factures et de faux récapitulatifs de voyages envoyés par les sociétés offshore fictives. Les noms de celles-ci se rapprochaient, à une ou deux lettres près, de célèbres compagnies pétrolières comme Shell. Les factures n’attiraient ainsi pas particulièrement l’attention. Pour la réalisation des faux, Antonio C. a sollicité l’aide d’Alessandro P., gérant de la société, aujourd’hui disparue, A.P. Maritime, dont la Scorpio était le client principal.
L’autre cerveau présumé de l’affaire, Carlo G., dirigeait les négociations de contrats avec les affréteurs à la Scorpio. Une troisième société entrait dans l’affaire?: Italia Chartering, un broker exclusif de la Scorpio. Un employé et le dirigeant de l’entreprise gênoise étaient soupçonnés d’avoir établi des surfacturations, pour le compte de la Scorpio, à l’intention d’autres affréteurs. Les paiements étaient fractionnés et une partie était détournée sur divers comptes bancaires enregistrés notamment au Luxembourg et en Suisse. Les différents acteurs du système, quelque soit l’entreprise, touchaient des commissions, cédées depuis ces comptes, pour leur travail occulte. Une fausse facture était ensuite créée pour masquer l’argent manquant.
Les avocats des prévenus ont tous plaidé la relaxe. « Italia Chartering a été escroqué par Carlo G. Il a falsifié les vraies factures établies par mes clients. Quant à Alessandro P., il a reconnu les faits mais a toujours pensé que cette fraude ne causait pas préjudice aux dirigeants de la Scorpio », a relevé Me Michel. Selon Me Zabaldano, qui défendait les cerveaux de l’affaire et leurs épouses, « il y avait un esprit de fraude généralisé à la Scorpio. Notamment concernant le pétrole des bateaux dont elle avait la gestion. La direction était d’accord sur les fraudes réalisées ». Enfin, pour Me Lavagna, avocate de Margherita A., « sa cliente, spectatrice des faits, a eu un rôle mineur ».

Prison ferme requise pour sept prévenus

Me Mullot, défenseur des parties civiles, a demandé 5 millions d’euros en réparation du préjudice subi. « Cette affaire d’entreprise dans l’entreprise a été extrêmement lucrative. Il y a beaucoup de lâcheté derrière ce qui a été fait. Les cerveaux jouissent de sommes colossales en Italie à la barbe et au nez des Monégasques », a-t-il plaidé. « Pour la Scorpio, l’ennemi est venu de l’intérieur et de l’extérieur. C’est un dossier bien monté, à la limite de l’association de malfaiteurs », a souligné le substitut du procureur Michaël Bonnet. Trois ans de prison ferme et 50?000 euros d’amende ont été requis à l’encontre des deux cerveaux de l’escroquerie, Antonio C. et Carlo G. Deux ans de prison ferme et une amende de 2000 euros ont été requis à l’encontre du dirigeant et de l’employé de Italia Chartering. Le parquet a demandé un an de prison ferme à l’encontre de l’ancien gérant d’AP Maritime, l’ex-secrétaire de la Scorpio et de la créatrice des sociétés fictives. Enfin, six mois de prison avec sursis ont été requis pour la dernière prévenue, femme du deuxième cerveau de l’affaire. Décision le 22 novembre.