mardi 19 mars 2024
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Sylvie Petit-Leclair : « Je reste toujours indépendante »

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Depuis le 1er juin 2022, Sylvie Petit-Leclair est directrice des services judiciaires de Monaco. Un peu plus de quatre mois après sa nomination, elle a accepté de dresser un premier bilan pour Monaco Hebdo, tout en se projetant sur la fin de l’année 2022 et sur 2023. Interview.

En remplacement de Robert Gelli, vous avez été nommée directrice des services judiciaires le 1er juin 2022 par le prince Albert II : comment avez-vous vécu ce moment ?

J’ai été très honorée que le prince Albert II m’ait fait cette grande confiance de me confier ce poste, dont je connaissais globalement les contours. En effet, depuis septembre 2018 j’étais procureur général à Monaco. Du coup, dès le 1er juin 2022, et alors que j’ai pris ma retraite de magistrat le 26 mai 2022, j’ai pu entrer directement dans ce bureau, et prendre les premiers dossiers qui s’offraient à moi. J’espère que cette prise de fonction, et les quelques mois qui se sont passés jusqu’à présent [cette interview a été réalisée le 5 octobre 2022 — NDLR] , me permettront d’améliorer l’image de la justice de Monaco, et de participer à son rayonnement. Car il est nécessaire que la justice monégasque, comme les autres justices d’ailleurs, soit mieux comprise. Cela passe par un effort pédagogique qui doit être mis en place.

© Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

Lors de vos quatre premiers mois d’exercice, quelles ont été vos priorités et vos premières décisions ?

En partant, j’ai libéré le poste de procureur général, qui est un poste important. Mes premiers instants ont été consacrés à la recherche de candidats potentiels pour exercer cette fonction. Cela passe par la publication d’un appel à candidatures pour qu’un nouveau procureur général puisse être nommé à Monaco. Un autre poste important est vacant : il s’agit de celui de premier président de la cour d’appel. Un appel à candidatures a aussi été publié. Enfin, le 31 août 2022, Olivier Zamphiroff, qui était mon adjoint et qui occupait le poste de procureur général adjoint, a aussi quitté ses fonctions. C’est donc un autre poste important à pourvoir.

Vous avez un calendrier précis pour ces trois nominations ?

Concernant le poste de procureur général, j’ai rédigé un nouveau profil de poste qui a été envoyé à Paris, fin juillet 2022. La France ne l’a pas publié, donc j’attends. Pour le poste de premier président de la cour d’appel, la situation est identique. Concernant le poste de procureur général adjoint, je suis également dans l’attente.

« J’espère que cette prise de fonction, et les quelques mois qui se sont passés jusqu’à présent [cette interview a été réalisée le 5 octobre 2022 — NDLR], me permettront d’améliorer l’image de la justice de Monaco, et de participer à son rayonnement »

Que devient Olivier Zamphiroff ?

Olivier Zamphiroff a démissionné de la justice française. Il a été nommé conseiller du directeur des services judiciaires. Il travaille donc à mes côtés.

Depuis plusieurs années, la justice monégasque est remise en cause par une série d’affaires : que faire pour enfin parvenir à sortir de ce contexte ?

La justice monégasque est parfois mise en cause par des personnes qui ne connaissent pas véritablement ce qu’il se passe à Monaco. En effet, la justice est très souvent critiquée, par des personnes qui ne connaissent pas les dossiers, ni la procédure. Il faut aussi expliquer aux populations ce qu’est une procédure, comment on la fait évoluer, mais aussi les délais, parce qu’ils sont souvent longs. Or, un délai long, c’est aussi un gage pour que la justice soit rendue correctement. Ensuite, des non-dits se sont installés. Ils ont renforcé ce sentiment très critique de la population.

Un exemple ?

Par exemple, cela a consisté à dire que le départ de Monaco du juge d’instruction Edouard Levrault est fondé sur le fait qu’il gérait un dossier [l’affaire Rybolovlev - Bouvier — NDLR], dont on ne voulait plus entendre parler.

Ce n’est pas le cas ?

Ce dossier existe toujours. Dans la presse nationale française, et notamment dans les articles publiés à l’occasion de son passage mi-septembre 2022 devant le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), il est indiqué qu’à cause de l’instruction de ce dossier, le juge Edouard Levrault gênait, ce qui a entraîné son départ.Mais on ne parle pas du dossier qui a été repris en main par deux juges d’instruction installés en principauté, il y a trois ans.

Que s’est-il passé depuis le départ du juge Edouard Levrault ?

Suite au départ du juge Levrault, il n’y a eu que quelques mois de vacances de poste, ce qui est très peu par rapport à la France. En plus de le remplacer, nous avons créé un troisième poste de juge d’instruction. De plus, nous avons mis en place un véritable pôle d’instruction, avec la possibilité de faire des co-saisines. C’est d’ailleurs ce qu’il s’est passé dans cette affaire, puisque les juges Ludovic Leclerc et Franck Vouaux ont été tous les deux désignés pour prendre en charge ce dossier. Ils sont arrivés à Monaco le 1er novembre 2019, et leur détachement à Monaco va être renouvelé.

« Suite au départ du juge Levrault, il n’y a eu que quelques mois de vacances de poste, ce qui est très peu par rapport à la France. En plus de le remplacer, nous avons créé un troisième poste de juge d’instruction »

Qu’ont fait ces deux juges ?

Ces deux juges ont repris l’intégralité de ce dossier de A à Z, et il est désormais susceptible de “sortir” rapidement de leur cabinet. Donc ce dossier existe toujours, et il va être transmis au procureur général, qui va rédiger un réquisitoire définitif. Ensuite, les juges d’instruction rendront une ordonnance. Tout le travail du juge Levrault est consigné dans ce dossier. Son travail n’a pas été mis à la poubelle, comme on a bien voulu le laisser entendre. Les personnes qui ont été inculpées, sont toujours inculpées.

Ce dossier Rybolovlev-Bouvier pourrait sortir d’ici combien de temps ?

Le parquet m’a indiqué que les juges d’instruction avaient encore quelques actes à faire, mais très peu. Quand ils estimeront que le dossier est terminé, et que toutes les investigations qui devaient être faites l’ont été, ils préviendront les différentes parties concernées par cette affaire, qui peuvent ensuite faire des demandes d’actes. Donc il est difficile de donner une date précise, parce que je ne sais pas ce que feront les avocats. Mais, en tout cas, tout le travail de fond, qui a été énorme, a été fait.

Sylvie Petit-Leclair
« Concernant l’exécution des peines, le travail d’intérêt général a été créé. Nous travaillons encore sur ce sujet, puisqu’il faut désormais signer des conventions avec les pouvoirs publics, ou avec des entreprises privées, pour pouvoir mettre en place le travail d’intérêt général. Tout comme le régime de semi-liberté, pour lequel des travaux ont été réalisés à la prison de Monaco. » Sylvie Petit-Leclair. Directrice des services judiciaires de Monaco. © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

Depuis 2018, vous étiez jusqu’alors procureur général : quel bilan faites-vous de ces presque quatre années ?

Les dossiers auxquels je faisais allusion en 2018 étaient les dossiers les plus emblématiques, c’est-à-dire l’affaire, qui vient d’être évoquée, ainsi qu’une affaire de corruption présumée au sein de la police monégasque. Ces dossiers ne sont pas encore sur le point d’être jugés. Concernant le second dossier, un recours est pendant devant la chambre du conseil de la cour d’appel. Quatre ans après mon arrivée à Monaco, je suis donc un peu frustrée.

« Tout le travail du juge Levrault est consigné dans ce dossier. Son travail n’a pas été mis à la poubelle, comme on a bien voulu le laisser entendre. Les personnes qui ont été inculpées, sont toujours inculpées »

Pour quelles raisons ?

Quand je suis arrivée, en 2018, j’étais le premier magistrat à avoir déjà exercé les fonctions de procureur général. Je souhaitais donc faire bénéficier Monaco de cette expérience. Par exemple, j’ai entrepris des démarches pour signer une convention avec le centre hospitalier princesse Grace (CHPG). En France, chaque procureur général signe des conventions avec l’Agence régionale de santé (ARS). Cela permet notamment de mettre en place ce que l’on appelle des « fiches réflexes ».

Un exemple ?

Par exemple, les médecins doivent, bien sûr, soigner une personne portant des traces de coups de couteau. Mais il y a aussi des choses à faire du point de vue de la police et de la justice. J’avais récupéré les fiches applicables à Monaco dans la convention que j’avais préparé lorsque j’étais procureur général à la cour d’appel à Caen, en 2014. Depuis mon départ, cette convention a été signée par la directrice de l’ARS et par mon successeur. Malheureusement, la pandémie de Covid-19 a éclaté en mars 2020, et nous avons dû stopper ce dossier.  En outre, lors de mes 24 premiers mois à Monaco, nous avons été en sous-effectifs, à seulement quatre pendant 18 mois. Je suis donc devenue substitut du procureur. Je n’étais plus procureur général. Aimant le travail bien fait, j’estime que je n’ai pas pu accomplir la tâche que je m’étais assignée, et qui me semblait normale au regard de ce que la principauté mérite.

Sylvie Petit-Leclair
« Dans la décision du CSM, un syndicat a repris cette phrase : « Il n’y a pas mieux qu’un magistrat qui a exercé à Monaco pour critiquer la justice monégasque. » Il me semble que tous les magistrats sont soumis à une obligation de réserve. Elle s’exerce donc à l’égard de la justice française et à l’égard de la justice monégasque, quand on a exercé à Monaco. » Sylvie Petit-Leclair. Directrice des services judiciaires de Monaco. © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

Dans le cadre de l’évaluation de Monaco, une équipe d’évaluateurs du Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Moneyval) du Conseil de l’Europe était en principauté du 21 février au 4 mars 2022 : qu’attendent ces experts de la justice monégasque ?

Moneyval va prendre une décision, certainement fin 2023, et l’enjeu, c’est que Monaco pourrait se retrouver sur la liste grise des paradis fiscaux dressée par les ministres des finances de l’Union européenne (UE). Moneyval ne concerne pas que la justice. Cela concerne aussi les banques, les casinos, les agents immobiliers… Moneyval évalue les pays du Conseil de l’Europe dans leur lutte contre le blanchiment. Monaco est une place financière, donc on travaille sur ce sujet depuis des mois. Mais nous avons encore un certain nombre de choses à démontrer. Il nous reste quelques mois pour le faire. Mais cela passera par des textes de loi, qu’il faudra modifier.

« Moneyval va prendre une décision, certainement fin 2023, et l’enjeu, c’est que Monaco pourrait se retrouver sur la liste grise des paradis fiscaux dressée par les ministres des finances de l’Union européenne »

Que faudrait-il modifier dans la loi monégasque ?

Il faudrait modifier ou améliorer la loi monégasque, à certains égards. Par exemple, nous attendons depuis longtemps une réforme de la procédure pénale. Ce texte est sur le bureau du Conseil national, mais cette loi n’a pas encore été votée. Il est aussi nécessaire, et pas seulement pour Moneyval, mais parce que nous transposons des directives, d’améliorer notre dispositif législatif concernant les saisies et confiscations. Avec la création éventuelle d’un service particulier, car une directive prévoit que des mesures prises pour le recouvrement et la gestion des avoirs criminels. En France, c’est l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) qui occupe cette fonction. À Monaco, ça n’existe pas. C’est donc le procureur qui, pour l’heure, gère les biens saisis.

Quoi d’autre ?

Il faudrait aussi envisager de créer des assistants spécialisés qui viendraient aider les magistrats du parquet et les magistrats de l’instruction. Notamment pour exploiter les comptes bancaires, sans être contraint de faire appel à des experts, car les magistrats n’ont pas le temps de faire cela. Cela était déjà envisagé par mon prédécesseur, Robert Gelli.

Sylvie Petit-Leclair
« La justice monégasque est parfois mise en cause par des personnes qui ne connaissent pas véritablement ce qu’il se passe à Monaco. En effet, la justice est très souvent critiquée, par des personnes qui ne connaissent pas les dossiers, ni la procédure. » Sylvie Petit-Leclair. Directrice des services judiciaires de Monaco. © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

« Je n’ai jamais été l’objet de pressions ou de freins dans mon action. Dans un tel cas, il faut savoir que le directeur des services judiciaires peut donner des instructions au procureur général »

Du côté de la justice monégasque, qui a été entendu par Moneyval ?

Pour la justice, il n’y a pas que les magistrats du parquet qui ont été entendus. Les juges d’instruction, les magistrats du siège l’ont aussi été. L’efficacité de notre arsenal juridique pour lutter contre le blanchiment, mais aussi pour effectuer des saisies et les confiscations, l’efficacité des contrôles réalisés chez les notaires et les huissiers, ou la qualité de la coopération judiciaire internationale : ce sont quelques-uns des points qui ont été discutés avec les experts de Moneyval.

« La réforme de la procédure pénale, c’est un gros morceau. Parce que ce sujet touche tout un panel de problématiques. Notamment le pouvoir du parquet, mais aussi la place de l’avocat devant le juge d’instruction. Puisqu’à Monaco, les personnes sont inculpées et sont placées en détention provisoire, sans avocat »

À ce jour qu’impose la loi sur le blanchiment aux différents acteurs monégasques ?

La loi sur le blanchiment dresse la liste des personnes qui doivent faire une déclaration de soupçon au Service d’information et de contrôle sur les circuits financiers (SICCFIN) lorsqu’elles constatent une tentative de blanchiment. Le procureur général peut aussi recevoir des déclarations de soupçon de la part des notaires et des huissiers.

Quel est le calendrier prévu avec les experts de Moneyval ?

Le 8 décembre 2022, une réunion plénière se déroulera à Strasbourg avec des représentants du Groupe d’action financière (GAFI). Suite à cela, le rapport définitif sera publié. Tous nos services sont en ordre de bataille, mais le délai sera trop court d’ici décembre 2022.

Donc, mécaniquement, Monaco va rejoindre la liste grise des paradis fiscaux ?

Non. À partir de décembre 2022, il nous restera environ un an pour atteindre ces objectifs. C’est un sacré challenge, car c’est extrêmement important pour Monaco.

En arrivant à Monaco, vous aviez indiqué mener une vie indépendante, loin des mondanités, et des multiples sollicitations locales : depuis 2018, avez-vous ressenti des pressions, de la connivence, ou des freins à l’égard de votre action ?

Je n’ai jamais été l’objet de pressions ou de freins dans mon action. Dans un tel cas, il faut savoir que le directeur des services judiciaires peut donner des instructions au procureur général. Mais je n’ai jamais détecté une volonté d’entraver ma volonté de faire quelque chose.

À Monaco, sur un territoire de seulement 2 km2 tout le monde, ou presque, se connaît : dans un tel contexte, comment la justice peut-elle fonctionner correctement, en restant indépendante et honnête ?

Sur ce point, j’ai toujours défendu mes collègues monégasques, car ce sont eux qui, naturellement, connaissent le plus de personnes en principauté. J’ai exercé la fonction de procureur général avec deux Monégasques, Cyrielle Colle et Alexia Brianti. Elles se sont systématiquement déportées lorsque des dossiers concernaient des personnes qu’elles avaient féquentées à l’école maternelle, par exemple. J’ai toujours vu des gens responsables, soucieux de conserver leur impartialité objective.

Le 15 septembre 2022, l’ex-juge d’instruction de Monaco, Edouard Levrault, a été blanchi par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) : c’est une décision logique et cohérente ?

Il est impossible de commenter une décision du CSM. Cette décision doit être respectée. Dans la décision du CSM, un syndicat a repris cette phrase : « Il n’y a pas mieux qu’un magistrat qui a exercé à Monaco pour critiquer la justice monégasque. » Il me semble que tous les magistrats sont soumis à une obligation de réserve. Elle s’exerce donc à l’égard de la justice française et à l’égard de la justice monégasque, quand on a exercé à Monaco. Cela veut-il dire qu’un Français qui est à Monaco peut critiquer la justice française, parce que, dans le passé, il a travaillé en France ? Ce point me gêne un peu.

À Monaco, la justice est indépendante de l’État, mais vous devez parfois travailler avec la direction des affaires juridiques, qui dépend du ministre d’État, ou avec les élus du Conseil national : comment rester indépendant dans un tel contexte ?

D’une façon générale, je reste toujours indépendante. Cependant, certains points pourraient être améliorés en termes de fonctionnement. Par exemple, j’aimerais travailler davantage en amont avec la direction des affaires juridiques du gouvernement pour que les projets de loi qu’ils peuvent parfois nous soumettre tiennent davantage compte des contraintes opérationnelles des magistrats. Cet aspect opérationnel que nous, secrétariat à la justice, nous pouvons offrir, devrait être mieux utilisé. Ce n’est pas une question d’indépendance, mais d’efficacité. Car cela nous permettrait de mieux travailler.

« A priori, dans la négociation que Monaco a entrepris avec l’UE pour obtenir un accord d’association, rien ne concernera la coopération judiciaire. Ce que je regrette. Parce que dans l’UE, il y a tout de même des instruments qui sont extrêmement efficaces, comme le mandat d’arrêt européen, par exemple »

Si la réforme de la procédure pénale est toujours sur le bureau du Conseil national, la réforme de la procédure civile est une réalité désormais, tout comme l’incrimination des agressions sexuelles, qui a aussi été votée ?

Un certain nombre de textes ont été votés. Concernant l’exécution des peines, le travail d’intérêt général a été créé. Nous travaillons encore sur ce sujet, puisqu’il faut désormais signer des conventions avec les pouvoirs publics, ou avec des entreprises privées, pour pouvoir mettre en place le travail d’intérêt général. Tout comme le régime de semi-liberté, pour lequel des travaux ont été réalisés à la prison de Monaco.

La réforme de la procédure pénale est un sujet complexe ?

La réforme de la procédure pénale, c’est un gros morceau. Parce que ce sujet touche tout un panel de problématiques. Notamment le pouvoir du parquet, mais aussi la place de l’avocat devant le juge d’instruction. Puisqu’à Monaco, les personnes sont inculpées et sont placées en détention provisoire, sans avocat. Ce sujet est donc très complexe, et très lourd.

Alors que Monaco négocie un accord d’association avec l’Union européenne (UE), quels sont vos apports et vos attentes sur ce sujet ?

A priori, dans la négociation que Monaco a entrepris avec l’UE pour obtenir un accord d’association, rien ne concernera la coopération judiciaire. Ce que je regrette. Parce que dans l’UE, il y a tout de même des instruments qui sont extrêmement efficaces, comme le mandat d’arrêt européen, par exemple. Ou la décision d’enquête européenne, qui permet de réaliser une enquête dans un délai de 24 heures. Nous essayons d’utiliser certains instruments, comme l’équipe commune d’enquête, qui existe au sein de l’UE, et que Monaco possède aussi dans son code pénal.

En ce qui concerne les affaires économiques et financières, la coopération est fréquente avec la France : cependant, quels sont les outils qu’il faudrait revoir pour gagner en efficacité ?

Concernant les affaires économiques et financières, Monaco coopère avec tous les pays. Mais cette coopération est plus forte avec la France, et notamment avec le parquet national financier. La transmission des demandes d’entraides entre la France et Monaco se fait directement de juge à juge, sur le fondement d’une convention bilatérale signée par les deux pays. En revanche, contrairement à ce qu’il se passe entre États membres de l’UE, la transmission des demandes entre Monaco et les autres pays se fait par l’intermédiaire des autorités centrales, soit à Monaco le directeur des services judiciaires. Néanmoins, aucun retard n’est à déplorer dans l’envoi ou l’exécution de demandes d’entraides.

Sylvie Petit-Leclair
« Il faudrait modifier ou améliorer la loi monégasque, à certains égards. Par exemple, nous attendons depuis longtemps une réforme de la procédure pénale. Ce texte est sur le bureau du Conseil national, mais cette loi n’a pas encore été votée. » Sylvie Petit-Leclair. Directrice des services judiciaires de Monaco. © Photo Iulian Giurca / Monaco Hebdo.

Et pour les extraditions ?

Concernant les extraditions, nous travaillons toujours avec la convention de 1957, et parfois avec des conventions bilatérales. Cette procédure est lourde, et les magistrats émettent de nombreux avis défavorables, parce qu’il y a beaucoup d’exigences textuelles et matérielles. Cela a d’ailleurs été relevé par les experts de Moneyval. En principauté, en cas d’avis défavorable de la cour, le prince pourrait décider tout de même d’une extradition, mais il ne le fait pas. Avec le mandat d’arrêt européen, nous aurions pu trouver une solution à ce constat. Je le répète : je suis très favorable à ce dispositif.

Mais le mandat d’arrêt européen pose des difficultés, avec les avocats notamment ?

Avec le mandat d’arrêt européen, la présence de l’avocat est un peu réduite. Toutefois, je n’ai jamais craint la présence d’un avocat dans une procédure. Je considère qu’au contraire, l’intervention d’un avocat nous impose plus d’exigences.

« J’aimerais qu’il y ait davantage de communication, et pas uniquement vers l’extérieur. Il faut communiquer plus, à l’intérieur du palais de justice. Notre communication interne doit être plus efficace »

Plus globalement, quel rôle joue la justice vis-à-vis de l’attractivité de Monaco ?

Avoir une justice efficace et comprise de tous, c’est important pour l’attractivité de Monaco. Il n’y a évidemment pas que des personnes malhonnêtes qui veulent venir en principauté. Les grands entrepreneurs sont sans doute ravis de savoir que si un litige surgit à Monaco, des magistrats compétents, indépendants, et transparents, rendront la justice dans leur dossier. Sans oublier, bien sûr, la coopération judiciaire, qui joue un rôle central.

Quelles sont vos priorités pour la fin de l’année 2022, et pour 2023 ?

Bien évidemment, il faut que tous les postes soient pourvus. Il faut aussi que l’on mette enfin en place cette réforme de la procédure pénale, que j’appelle de mes vœux. Je souhaite que nous ayons les instruments nécessaires pour que les magistrats puissent travailler dans d’excellentes conditions. Le plan « numérisation de la justice » est en marche, et en 2023 nous devrions avoir des résultats concrets. Enfin, j’aimerais qu’il y ait davantage de communication, et pas uniquement vers l’extérieur. Il faut communiquer plus, à l’intérieur du palais de justice. Notre communication interne doit être plus efficace.