jeudi 25 avril 2024
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Secteur protégé : le tribunal suprême tranche en faveur des propriétaires

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Le 12 juillet 2022, le tribunal suprême a annulé un article déterminant, qui était intégré à la loi sur la reconstruction de logements protégés. Il prévoyait de contraindre les propriétaires de ces biens à en revendre une partie à l’État, à très bas prix, pour loger les enfants du pays. Mais la justice a considéré que cet article allait à l’encontre du droit de propriété, garanti par la Constitution monégasque.

Entre le droit de propriété et le secteur protégé, le tribunal suprême a tranché. Par une décision du 12 juillet 2022, qui promet de faire des mécontents, notamment du côté de la majorité Priorité Monaco (Primo !), du Conseil national, le tribunal suprême a en effet annulé l’article 8 de la loi du 2 août 2021 (n° 1508) relative à la sauvegarde et à la reconstruction des locaux d’habitation en secteur dit « protégé ». Cette loi, et notamment son article 8, prévoyait de contraindre les propriétaires qui souhaitaient détruire et reconstruire leur bien, à vendre une partie de l’immeuble reconstruit à l’État, mais à prix réduit. Désormais, ce ne sera plus le cas, et l’État risque donc devoir mettre un peu plus la main à la poche pour préserver les bénéficiaires des logements protégés. Le double objectif de cette loi était, comme l’a rappelé le Conseil national (1), au lendemain de cette décision du tribunal suprême, de sauvegarder durablement le secteur protégé, pour s’assurer de maintenir une population stable d’enfants du pays à Monaco, cette catégorie de résidents qui vit et travaille en principauté depuis au moins 40 ans sans interruption, mais qui n’aurait pas les moyens de s’y loger sans le soutien de l’État. L’objectif était de faire obstacle à la disparition progressive du secteur protégé, sous la pression immobilière. Il fallait donc permettre aux personnes protégées de vivre, à terme, dans des immeubles plus confortables et entretenus. D’autre part, cette loi faisait supporter à l’Etat la contrainte financière liée au plafonnement des loyers, qui pesait jusque-là sur les propriétaires privés des biens protégés, comme le rappellent les élus de la majorité Primo !. « La loi leur permettait de disposer intégralement de leurs nouvelles surfaces dans le secteur libre, avec toute la valorisation financière que cela suppose, notamment avec le gain en hauteur généré par les dérogations permettant à l’État de retrouver les surfaces des appartements protégés détruits », ajoute également le Conseil national, dans un communiqué de presse daté du 19 juillet 2022. La majorité des élus rappelle aussi que « le projet de loi avait été tudié en étroite concertation avec le syndicat des promoteurs immobiliers, mais également les notaires et l’ordre des architectes, pour arriver à une solution satisfaisante pour l’ensemble des parties prenantes ». Mais tout n’est pas aussi simple.

Le double objectif de cette loi était […] de sauvegarder durablement le secteur protégé, pour s’assurer de maintenir une population stable d’enfants du pays à Monaco

« Atteinte excessive »

À travers sa décision du 12 juillet 2022, le tribunal suprême a rompu avec une série de décisions prises davantage en faveur du logement des Monégasques et des enfants du pays. Or, ces décisions portaient atteinte aux détenteurs de biens et à leur droit de propriété, au regard des requérants, l’association des propriétaires de Monaco (APM), et de certains propriétaires monégasques. Les juges ont donc fixé les limites et le périmètre autour duquel le législateur pourra agir, à l’avenir, sur la question du logement, et du secteur protégé en particulier. Le tribunal a en effet jugé que l’article 8 de la loi portait « une atteinte excessive » au droit de propriété, et cela, pour plusieurs raisons. En premier lieu, si l’emplacement d’un stationnement automobile et d’une cave, qui doivent être rattachés à chaque local d’habitation de substitution font l’objet d’une cession à l’Etat, à titre onéreux, la loi ne prévoit pas de compensation en volume pour ces locaux et dépendances : « Par suite, l’obligation légale d’affecter ces locaux et dépendances aux locaux d’habitation cédés à l’Etat est susceptible, eu égard aux caractéristiques de l’immeuble, de remettre en cause la disponibilité, pour le ou les propriétaires de l’immeuble, d’une partie de ces locaux et dépendances. » En deuxième lieu, en conditionnant la démolition et la reconstruction des immeubles comprenant des locaux d’habitation du secteur protégé, l’article 8 de la loi aurait pour effet, dans le cas d’une copropriété, de restreindre l’exercice du droit de propriété es propriétaires, même ceux n’étant pas régis par le statut protégé. « En outre, les dispositions critiquées ne garantissent pas que la localisation des étages spécifiques et la majoration de volume constructible n’aient pas d’incidence négative sur la situation et la valeur vénale des appartements des propriétaires de locaux d’habitation ne relevant pas de la loi du 28 décembre 2000 ». En troisième lieu, l’article 8 de la loi a le défaut, selon le tribunal suprême, de conditionner le droit de démolir et de reconstruire son bien, qui est pourtant une composante du droit de propriété, et oblige les propriétaires concernés à entrer en copropriété avec l’État « pour une durée indéterminée ». En dernier lieu, il ne ressortait pas de l’ensemble des pièces soumises au tribunal suprême que les objectifs poursuivis par le législateur n’auraient pu être satisfaits par des dispositions portant une atteinte moindre au libre exercice du droit de propriété.

Le tribunal a jugé que l’article 8 de la loi portait « une atteinte excessive » au droit de propriété, et pour plusieurs raisons

Deux droits constitutionnels

Cette décision a nécessité un exercice subtil, car le secteur protégé est encadré par la Constitution monégasque. Pour rappel, Monaco a soumis à un régime spécifique les locaux d’habitation construits, ou achevés, avant le 1er septembre 1947. Ce régime spécifique, qui est encadré par la loi du 28 décembre 2000 modifiée, impose aux propriétaires concernés de déclarer leurs biens comme vacants, et de les offrir à la location. Dans cette hypothèse, le propriétaire perd donc le droit de fixer le montant des loyers, mais aussi de choisir son locataire, et de fixer les conditions de renouvellement du bail et d’exercice, puisque ces dispositions sont encadrées par la loi. Mais, si ce droit est protégé par la Constitution, le droit de propriété l’est aussi. Or, toujours selon le tribunal suprême, aucune indemnisation n’était prévue pour éponger les préjudices subis par ces restrictions : « Les propriétaires subissant un préjudice anormal et spécial pouvant en demander réparation sur le fondement du principe d’égalité devant les charges publiques ». Reste que les élus de la majorité Primo !, au Conseil national, ne le voient pas de la même façon, et estiment que ce recours contre la loi a été engagé « au seul bénéfice d’intérêts particuliers par quelques propriétaires radicaux, qui avaient eux-mêmes refusé de participer à des réunions proposées par le Conseil national, afin de les écouter et de prendre en compte d’éventuelles remarques légitimes. » Ces élus regrettent ainsi les conséquences de l’annulation partielle de cette loi, qui poursuivait, selon eux, « un objectif d’intérêt général ».

Contacté par Monaco Hebdo, le gouvernement princier explique étudier la décision du tribunal suprême qui lui a été notifiée vendredi 15 juillet 2022, « afin d’en évaluer toutes les conséquences possibles »

Vers un nouveau texte ?

Les élus Primo !, appellent également au dépôt d’un nouveau texte, « dans les prochaines semaines », en prenant en compte cette décision. « Il est également urgent de lancer la construction de la future première opération dédiée aux enfants du pays, sur l’emprise de la villa Les Lucioles, réclamée depuis près de deux ans par les élus », précisent-ils. « Cette opération doit s’ajouter aux nombreux logements du secteur protégé progressivement libérés par des foyers monégasques, bénéficiant des livraisons domaniales du plan national logement qui leur sont réservées. » Autre point important pour les conseillers nationaux : la loi prévoyait que les futurs appartements du secteur protégé soient construits sur un ou deux étages supplémentaires, en complément du programme initial « conçu dans le respect des règles d’urbanisme en vigueur ». Les élus expliquent que ces étages supplémentaires auraient été accordés à titre dérogatoire par l’État, et « n’auraient pas pu être construits » autrement que par ce biais. Les surfaces destinées au secteur protégé venaient donc s’ajouter au projet initial de reconstruction. Dans le nouveau projet, le coût de la construction de ces surfaces protégées dans l’immeuble détruit devait revenir à l’État. Contacté par Monaco Hebdo, le gouvernement princier explique étudier la décision du tribunal suprême qui lui a été notifiée vendredi 15 juillet 2022, « afin d’en évaluer toutes les conséquences possibles ».

1) À l’exception de l’élue Horizon Monaco (HM) Béatrice Fresko-Rolfo. L’élu Union Monégasque (UM), Jean-Louis Grinda, était absent lors du vote de ce texte.

2) Le secteur protégé est régi par la loi du 28 décembre 2000.