samedi 20 avril 2024
AccueilActualitésJudiciaireRobert Gelli : « La déontologie reste une question de premier plan »

Robert Gelli : « La déontologie reste une question de premier plan »

Publié le

Le directeur des services judiciaires, Robert Gelli, a lancé mi-mai 2020 le recrutement de deux nouveaux magistrats monégasques. Il explique pourquoi à Monaco Hebdo.

Pourquoi avoir lancé un concours de recrutement de 2 nouveaux magistrats monégasques ?

C’est la première fois depuis 2010 que l’on ouvre un con- cours pour recruter deux magistrats monégasques. Cela faisait 10 ans qu’un tel concours n’avait pas été organisé.

Quel est le calendrier à respecter, si on souhaite participer à ce recrutement ?

Un arrêté ouvrant ce concours a été publié au Journal Officiel le 15 mai 2020. Les candidats ont un mois pour se manifester. Les épreuves devraient se dérouler en novembre 2020. Les admissions seront décidées fin novembre, début décembre 2020.

Les qualités requises pour être candidat ?

Pour être candidat, il faut donc être de nationalité monégasque, être âgé d’au moins 21 ans et être titulaire d’un diplôme d’étude juridique, ce qui correspond à un master. Les candidats devront ensuite passer une épreuve écrite et une épreuve orale devant un jury.

Qui fera partie de ce jury ?

Ce jury sera composé du premier président de la cour de révision, du premier président de la cour d’appel, du procureur général, et du président du tribunal de première instance. Il y aura aussi trois personnalités qualifiées, qui sont un professeur agrégé de droit public de l’université de Bordeaux, un professeur agrégé de droit privé et de sciences criminelles de l’université de Bordeaux également, ainsi que la première présidente de la cour d’appel de Bordeaux. Ce jury est complété par un psychologue, qui assistera aux épreuves orales, et qui aura une voix consultative.

Pourquoi Bordeaux ?

Parce que l’école nationale de la magistrature française est à Bordeaux. Ces personnes ont donc des liens avec cette école. Or, les deux Monégasques qui seront sélectionnées suite à ce concours suivront la scolarité donnée par l’école nationale de la magistrature. Ils seront complètement intégrés à la promotion des auditeurs de justice français.

Combien de temps durera la formation de ces deux Monégasques ?

Ils seront formés pendant deux ans. Cette formation se déroulera en partie à l’école de la magistrature à Bordeaux, et en partie en stage, en juridictions françaises. Le tout entrecoupé de petits stages : avocat, police, gendarmerie, pénitentiaire, protection judiciaire de la jeunesse, huissier…

Il y un réel besoin derrière ce recrutement de deux magistrats ?

Il y a un besoin, parce qu’il faut renouveler les générations. De plus, il est bon de renforcer l’équilibre entre les magistrats monégasques et les magistrats français. Actuellement, nous avons près de 60 % de Français et 40 % de Monégasques. En renforçant, on peut peut-être arriver à une parité.

Pourquoi il n’y a pas eu de recrutement de ce genre depuis 2010, soit pendant une période de 10 ans ?

Je ne sais pas. C’est un peu le serpent qui se mord la queue : on me dit qu’il n’y avait pas de candidats, et les candidats potentiels disent qu’il n’y avait pas de concours. En tout cas, aujourd’hui, des candidats se sont déjà manifestés.

A travers ce recrutement, l’objectif c’est aussi de continuer à restaurer l’image de la justice monégasque en externe, et aussi de rassurer en interne ?

Oui. Ce qui est important, c’est de montrer qu’une confiance est donnée à la magistrature monégasque. En effet, les magistrats monégasques sont complètement formés comme les magistrats français. Je vais d’ailleurs signer une convention avec le directeur de l’école nationale de la magistrature pour définir les conditions de la prise en charge des magistrats monégasques, et leur intégration complète dans la promotion dont la scolarité débutera en avril 2021. Enfin, au niveau des instances internationales qui observent Monaco, comme le groupe d’États contre la corruption (Greco) par exemple, cela permet de montrer que nous recrutons des magistrats formés de la façon la plus complète possible. Avec à la fois des formations théoriques, pratiques et aussi une dimension éthique et déontologique.

L’éthique et la déontologie restent des sujets particulièrement importants ?

Vu de l’extérieur, ces sujets sont d’autant plus importants que Monaco est un petit Etat, avec une proximité qui est forte. Donc la déontologie reste une question de premier plan, à laquelle nous devons porter une attention toute particulière. Les magistrats en poste à Monaco y sont évidemment sensibles. De plus, l’éthique et la déontologie sont une recommandation du Greco. Pour ma part, j’ai prévu une formation sur ces questions avec l’inspection générale de la justice française pour tous les magistrats actuellement en poste en principauté, Monégasques ou Français. Car, que l’on soit Français ou Monégasques, le contexte est identique, et on peut être soumis de la même façon au chant des sirènes.

Vous êtes arrivés à Monaco fin octobre 2019, juste après le séisme médiatique provoqué par l’affaire Rybolovlev : en interne, quelle est l’ambiance 7 mois après ?

Les choses sont aujourd’hui plus apaisées. Mais ces questions-là sont toujours dans les esprits. Les magistrats qui exercent à Monaco ont été impactés par tout ce qui a été dit et par tout ce qu’il s’est passé. C’est toujours dans les têtes. Mais je pense qu’on a pris un rythme de fonctionnement beaucoup plus serein.

Quel premier bilan tirez-vous depuis votre prise de fonction ?

Je trouve qu’on progresse bien. Il y a une volonté d’améliorer le fonctionnement et de mettre en place des évolutions qui permettent de renforcer tout ce qui touche à l’indépendance, à l’impartialité, à l’éthique et à la déontologie. Il y a aussi une évolution législative, avec le projet de loi sur le statut de la magistrature qui va bientôt passer devant le Conseil national. Je suis satisfait de la façon dont tout ça se passe, et surtout de la confiance qui m’est faite.

© Photo Iulian Giurca – Monaco Hebdo.

« Monaco est un petit Etat, avec une proximité qui est forte. […] Nous devons porter une attention toute particulière à la déontologie »

Suite au déconfinement qui a débuté à Monaco le 4 mai 2020, comment se passe la réouverture du palais de justice (lire Monaco Hebdo n° 1151) ?

Globalement, tout se passe bien. La première audience correctionnelle a eu lieu le 19 mai 2020, avec la présence physique de personnes convoquées. Il n’y a pas eu de difficultés. Par ailleurs, nous avons procédé au rendu des délibérés de la cour de révision par visioconférence, ce qui était une première. Les magistrats de la cour de révision ne sont pas venus à Monaco pour rendre leurs décisions. Ils l’ont fait depuis leur lieu de résidence, c’est-à-dire Paris. Un écran a été mis en place dans une salle d’audience, où se trouvait le procureur général et le greffier en chef. Ça a très bien fonctionné.

Etant donné l’incertitude qui règne autour de l’épidémie de Covid-19 dans le monde, il va falloir s’habituer à ce genre de dispositif technologique pour continuer à rendre la justice ?

Il ne faut pas non plus tomber dans le numérique à tout va. Là, nous sommes dans une situation particulière, donc il faut le faire. Mais on reviendra à des modes de fonctionnement plus classiques, lorsque la situation le permettra.

Malgré tout, de nouveaux dispositifs pourraient être testés dans les semaines et les mois à venir ?

Il existe une piste avec la cour de révision. Il faut savoir en effet que la cour de révision examine ses dossiers en session et hors session. En session, la cour de révision se déplace à Monaco, car il y a des plaidoiries. Hors session, cela se passe sans audience, puisqu’il n’y a alors que des échanges d’écriture. Pour cela, la cour de révision se réunit à l’ambassade de Monaco, à Paris, pour statuer. Ensuite, la décision est envoyée aux avocats. Sur cette partie hors session, on pourrait imaginer que les décisions soient lues en visioconférence, de façon à ce qu’une certaine publicité soit donnée ainsi.

Les travaux envisagés à la prison sont toujours d’actualité, malgré la crise sanitaire liée au Covid-19 ?

Le projet n’a pas pu être finalisé. De plus, suite à l’épidémie de Covid-19, on est aujourd’hui confronté à des questions d’ordre budgétaire. Donc, on va voir. Mais les travaux à la prison ne sont pas abandonnés, ils sont toujours là. Il va falloir les relancer.

En quoi devraient consister ces travaux à la prison ?

Il s’agit de redistribuer les locaux de la prison, de façon à pouvoir créer de nouveaux espaces. Ce qui permettrait de ne plus utiliser une partie des locaux qui posent des problèmes de salubrité, et qui présentent des espaces de cours de promenade très insuffisants. En dégageant des espaces au sein de la prison, cela permettra de créer une sorte de nouveau quartier, et, en même temps, d’utiliser ce nouveau quartier pour mettre en place de nouvelles mesures, comme la semi-liberté.

De quelle façon ?

Dans un régime de semi-liberté, les gens vont travailler dans la journée. Donc ils rentrent et ils sortent. Il faut trouver une modalité d’entrées et de sorties qui soit à part du reste de la prison. Ces travaux permettraient d’ouvrir un nouvel espace, et de prendre ainsi en compte la semi-liberté. Enfin, cela améliorerait aussi les conditions de travail pour les surveillants. Car, lorsqu’ils font leurs gardes de nuit, les surveillants travaillent dans des locaux assez vétustes.

Du coup, actuellement la semi-liberté n’est pas possible à Monaco ?

Si une décision de semi-liberté était prise, on pourrait l’organiser. Mais dans des conditions plus compliquées, car on serait alors obligé d’utiliser l’espace que l’on a.

Publié le