vendredi 29 mars 2024
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“On ne peut pardonner que si l’on a été reconnu comme victime”

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Martin Marschner
Martin Marschner © Photo D.R.

C’est une première. Un résident monégasque, Martin Marschner, a été indemnisé par la justice monégasque pour une incarcération injustifiée. Il témoigne sur les conditions de sa détention.

Pour Martin Marschner, l’année 2006 avait mal démarré. Tournant au cauchemar, sa vie a failli basculer. En janvier, cet homme d’affaires allemand découvre que sa belle-fille, alors mineure, file le parfait amour avec un quadragénaire le chauffeur du bus scolaire qui l’amène tous les jours au lycée. Alarmée, son épouse Jacqueline Marschner porte plainte. Redoutant que le chauffeur de bus n’abuse de sa fille, « influençable » en raison d’un QI inférieur à la moyenne. En juin, l’affaire prend un tour inattendu. Martin Marschner est accusé par sa belle-fille de l’avoir violé. Après une garde-à-vue, qu’il n’oubliera jamais, direction la maison d’arrêt. En août, l’Allemand est libéré sous caution (20?000 euros). Avant d’être finalement blanchi par la justice monégasque le 18 mai 2009?: la chambre du conseil de la cour d’appel prononce un non lieu. Après que le substitut Jérôme Hars ait relevé?: « C’est la première fois depuis au moins vingt ans à Monaco que le parquet demande le non-lieu après avoir demandé la détention provisoire. »

Cette décision permet alors à Martin Marschner de saisir la commission d’indemnisation, créée par la loi Justice et Liberté en 2008. Histoire de réparer le préjudice matériel et moral. Suite à cette affaire, le résident monégasque a en effet perdu son emploi de directeur comptable et financier dans une société maritime et pâti de l’opprobre tombée sur son entourage. Il sera le premier à être indemnisé par la commission pour cette détention injustifiée. Martin Marschner a touché 92?000 euros.

Monaco hebdo?: Comment s’est déroulée la garde à vue??

Martin Marschner?: Au cours de la garde à vue, vers 23 h, je fus envoyé à l’hôpital suite à une très forte tension artérielle constaté par un médecin. A l’hôpital, après administration d’un médicament, le médecin m’expliquât le choix qui s’offrait à moi. Soit je retournais à la sûreté publique en garde à vue avec 19 de tension, soit on me gardait à l’hôpital mais attaché en croix sur un lit dans une chambre gardée?! C’est vrai que Monaco est une principauté sous “concordat”, mais je n’avais nullement envie de finir comme le Christ (sourire)… De retour, donc vers 2 heure du matin, à la Sûreté publique, on m’installa dans une cellule. Le « lit » était en béton et pour se couvrir il n’y avait qu’une seule couverture grise sur laquelle je résolus de me coucher, par terre. En me couvrant avec ma propre veste.

M.H.?: A quel moment vous a-t-on présenté au juge??

M.M.?: Au bout de ma garde à vue de 24 heures, alors que j’avais des alibis pour toutes les « accusations » que je devinais, on me menotta, en se demandant si on devait me menotter « serré » et on me présenta au juge d’instruction, toujours sans avocat. Le parquet ayant décidé de m’incarcérer, toutes mes protestations devant le juge qu’il n’y avait ni charges, ni éléments concordants suffisants, restèrent vaines et on me notifia enfin les motifs retenus contre moi?: « viols sur mineure par personne ayant autorité, coups et blessures ».

M.H.?: Comment avez-vous vécu votre séjour en maison d’arrêt??

M.M.?: L’accueil en prison est celui décrit dans les romans avec l’humiliante fouille. Mais, ce qui différencie la prison de Monaco, c’est le fait que l’on vive dans un vrai sous-marin, sans lumière du jour, coupé du monde extérieur en « tolérance zéro » avec des murs avoisinant les quatre mètres d’épaisseurs. Le tout entrecoupé de deux promenades d’un total de 1h45 dans une cour de 20 m sur 4, entourée de hauts mûrs et abondamment grillagé par dessus. La nuit, les gardes vous éclairent le visage toutes les demi-heures à la lampe torche pour vérifier votre présence. De plus, il n’y a aucune activité possible et même l’activité physique était soumise à des demandes écrites auprès du directeur.

M.H.?: Vous aviez droit à des parloirs??

M.M.?: Tout contact avec l’extérieur était interdit, le courrier soumis à contrôle (une partie de mon courrier ne m’a été remis qu’à ma sortie) et les visites (elles aussi soumises à autorisation) se faisaient derrière des vitres blindées, enfermé dans un réduit de la largeur des épaules. Psychologiquement c’est très dur et la plupart des prisonniers prenaient des médicaments. Mais, au palais de justice, les cellules d’attente (attente qui peut durer plusieurs heures) sont encore pires, avec un espace qui permet tout juste de s’assoir.

M.H.?: Qu’est-ce qui doit changer selon vous??

M.M.?: J’exprimerai le vœu qu’à Monaco, on fasse la distinction entre les personnes « présumées innocentes » et celles condamnées définitivement ou ayant pour le moins avoué. De même, je voudrais signaler que la justice est difficilement accessible. Pour ma défense au pénal, les frais directs d’avocats facturés se sont élevés à 62?000 euros jusqu’à mon non-lieu et dont seulement 9?700 euros ont été reconnus par la commission d’indemnisation. Au passage cette dernière a nécessité 6?500 euros de frais supplémentaires pas pris en compte non plus.

M.H.?: Quelle leçon tirez-vous pour la justice monégasque??

M.M.?: J’ai pu vivre à Monaco, après une instruction complètement à charge, très pénible et d’une durée difficilement justifiable, un fait réellement positif?: le parquet est capable de reconnaître ses erreurs et de réclamer le non-lieu in fine. De plus, la justice vous oriente spontanément vers la voie légale de la réparation. Ces deux faits ne sont pas courants en droit « français ». Beaucoup de pays ont des justices qui préfèrent rendre des sentences iniques que de reconnaître une erreur judiciaire.

M.H.?: Les conditions de l’indemnisation vous satisfont-elles??

M.M.?: Les avantages de l’indemnisation sont sa rapidité (six mois) et le fait qu’elle établit une reconnaissance par l’État de votre véritable innocence. Par contre, il n’y a pas d’appel possible, ce qui est contraire à tous les principes légaux européens. De plus, c’est le procureur qui représente l’administration alors qu’en France, cette fonction revient au Trésorier payeur général (TPG). Il y a là confusion des rôles?: ce même procureur, responsable – par fonction – de l’erreur judiciaire est aussi celui qui propose l’indemnité… Il me semble urgent de s’aligner ici aussi sur des normes garantissant plus de justice. Enfin, il n’y a aucun moyen de faire nommer des experts pour évaluer l’étendue des dols. Cela aussi est contraire aux règles européennes.

M.H.?: Pouvez-vous tourner la page aujourd’hui??

M.M.?: Mon vécu montre qu’à Monaco, la justice n’aime pas la médiatisation. L’employé de la compagnie de bus (CAM) qui, selon mon non-lieu même, est l’instigateur des dénonciations à mon égard qui ont fait éclater ma famille et m’ont mis au chômage et à l’index de la société pendant quatre ans, est toujours libre. Ma plainte de 2009 pour dénonciation calomnieuse, pourtant validé en avril 2010 par la chambre du conseil est depuis juillet dernier au parquet pour réquisition et donc pas instruite. Or, on ne peut pardonner et se reconstruire que si l’on a été reconnu par la société comme victime et que les coupables ont été sanctionnés.