samedi 20 avril 2024
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Sylvie Petit-Leclair : «Il faut que les dossiers sortent»

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Le nouveau procureur général de Monaco, Sylvie Petit-Leclair, a répondu aux questions de Monaco Hebdo. Elle évoque son parcours, mais aussi le climat autour de sa prise de fonction. Interview.

Votre parcours ?

Je suis née à Bar-le-Duc (Meuse). Je suis issue d’une famille d’enseignants, et je voulais devenir professeur de lettres. Mais, très vite, et sans doute parce que j’ai vu à la télévision Me René Floriot (1902-1975), j’ai été tentée par des études de droit et par la profession d’avocat pénaliste. 

Vos études ?

Après le bac, j’ai rejoint Nancy, où j’ai intégré la fac de droit. À l’époque, il y avait là-bas deux professeurs extraordinaires : André Vitu (1920-2013), un professeur de droit pénal, et René Roblot (1913-1992), un professeur de droit commercial. À l’époque, Internet n’existait pas, et on allait puiser beaucoup d’informations dans leurs livres. 

Pourquoi vous n’êtes pas devenue avocate ?

J’aimais tellement le droit  pénal, que j’ai décidé de suivre des cours en auditeur libre avec les élèves de quatrième année. C’est là que j’ai rencontré un groupe d’étudiants qui préparait le concours pour intégrer la magistrature. Une étudiante m’a conseillé d’aller faire un stage au parquet de Nancy. J’ai finalement décidé de passer le concours pour devenir magistrate. Je suis donc partie à Bordeaux pendant 9 mois, avant d’enchaîner par 15 mois dans différentes juridictions, pour m’imprégner d’un peu tous les services. 

Votre premier poste ?

C’était le 1er février 1981 à Chateaudun (Eure-et-Loir), où j’étais juge d’instance. J’avais 25 ans. Je suis ensuite partie sur un autre poste de juge d’instance, dans le Val d’Oise, où j’ai été nommée en décembre 1982. Je ne suis restée que 18 mois, puisque j’ai été nommée juge d’instance à Vanves (Hauts-de-Seine). Là, je suis restée de juillet 1984 à janvier 1991. Comme j’aimais toujours beaucoup le droit pénal, j’allais parfois siéger aux assises.

Et ensuite ?

Début 1991, je suis devenue juge à Versailles (Yvelines) où j’ai fait du pénal et du civil. Mais c’était très particulier, car j’étais juge des saisies immobilières : mon travail consistait à répartir les fonds qui provenaient d’une vente aux enchères entre les différents créanciers. J’étais aussi juge de l’expropriation.

Quelles affaires vous ont marquée ?

Là encore, je faisais aussi beaucoup de pénal. C’est sans doute pour cela que j’ai été choisie par le premier président pour l’assister en tant qu’assesseur pour le procès de Paul Touvier (1915-1996), un ancien fonctionnaire collaborationniste du régime de Vichy. Je suis très fière d’avoir pu travailler sur ce procès historique. Je suis née en Lorraine et mes parents ont beaucoup souffert pendant la deuxième guerre mondiale. Si je ne devais retenir qu’une seule chose de ma carrière, c’est sans doute le procès Touvier que je retiendrais.

Sylvie Petit-Leclair Procureur Général Monaco
« Le premier poste de magistrat de liaison a été installé à Rome. Car, à l’époque, il y avait beaucoup de problèmes pour des extraditions de mafieux installés sur la Côte d’Azur » Sylvie Petit-Leclair. Procureur général de Monaco © Iulian Giurca / Monaco Hebdo

« Si je ne devais retenir qu’une seule chose de ma carrière, c’est sans doute le procès Touvier que je retiendrais »

Comment vous êtes devenue juge d’instruction ?

En 1995, à Versailles, il y avait un vice-président chargé de l’instruction, qui était le doyen, et 9 juges d’instruction. Un poste a été transformé en vice-président chargé de l’instruction et j’ai réussi à l’obtenir. Ce qui m’a permis d’enfin être juge d’instruction. 

C’était un aboutissement ?

Oui, car lorsque je suis devenue magistrate, mon objectif, c’était de devenir juge d’instruction. Mais devenir juge d’instruction plus tard, m’a permis d’avoir à ma disposition un vécu professionnel intéressant. 

Vous avez travaillé sur des affaires sensibles ?

Oui, notamment sur un gros dossier de trafic de stupéfiants. Aujourd’hui, un tel dossier serait traité par la JIRS de Paris. Mais, à l’époque, les juridictions inter-régionales spécialisées (JIRS) n’existaient pas en France.

Le contenu de ce dossier ?

Il s’agissait d’un énorme trafic de haschich. Les personnes à la tête de ce trafic étaient de vieux briscards. J’ai traité ce dossier avec un jeune commissaire de la police judiciaire de Versailles. Les gens impliqués avaient des personnalités dignes d’un film de cinéma. 

Dans votre parcours, l’international tient aussi une place très importante ?

En 1999, mon mari, Gilles Leclair, est parti travailler aux Pays-Bas, pour diriger Europol, l’agence des polices européennes, qui est basée à La Haye. En mars 1999, j’ai été nommée dans cette même ville pour trois ans, à un poste de magistrat de liaison, avant d’être prolongée. 

La mission d’un magistrat de liaison ?

Créée par la France en 1993, le premier poste de magistrat de liaison a été installé à Rome. Car, à l’époque, il y avait beaucoup de problèmes pour des extraditions de mafieux installés sur la Côte d’Azur. Finalement, je suis rentrée en France septembre 2003.

Pour faire quoi ?

J’ai pu obtenir un poste de substitut du procureur général à la cour d’appel de Paris. En 2004, j’ai requis dans le cadre du dossier Cesare Battisti, un ancien membre d’un groupe d’extrême gauche italien. Et je me suis dis qu’à mon tour, j’aimerais devenir procureur général. 

Sylvie Petit-Leclair Procureur Général Monaco
© Iulian Giurca / Monaco Hebdo

« En 2004, j’ai requis dans le cadre du dossier Cesare Battisti, un ancien membre d’un groupe d’extrême gauche italien » 

Ce qui ne vous a pas empêchée de repartir à l’étranger ?

Le 1er octobre 2007, je suis partie pour l’Angleterre. Je ne serais peut-être pas repartie une deuxième fois à l’étranger pour devenir magistrat de liaison, si un poste ne s’était pas libéré à Londres. J’ai adoré cette ville. Mais j’aime bien me remettre tout le temps en cause. Donc je suis rentrée en France, à Versailles, en septembre 2010 pour un poste de procureur adjoint à Versailles. Puis, le 1er août 2011, j’ai à nouveau rejoint La Haye, cette fois pour intégrer l’unité de coopération judiciaire de l’Union européenne (UE), aussi appelée Eurojust. 

En quoi consistait votre rôle à Eurojust ?

Je représentais la France à Eurojust. En fait, chaque pays de l’UE dispose d’un bureau dans un même immeuble. On ne fait plus du bilatéral, mais plutôt du multilatéral. J’ai cherché à rendre ce poste le plus opérationnel possible. Ainsi, n’importe quel magistrat français qui rencontrait un problème, pouvait me contacter. Car Eurojust est fait pour tout le monde, pas que pour Paris, Lille ou les grandes villes françaises. Mais si cette expérience m’a beaucoup plu, j’ai aussi été un peu déçue.

Par quoi ?

Suite au traité de Lisbonne, il était question de mettre en place un parquet européen. Et c’est là que j’ai vu les limites de la puissance de feu d’Eurojust au sein des institutions. Eurojust n’avait pas la force de frappe que peut avoir Europol. Au final, ce poste à Eurojust est celui d’un magistrat de liaison, avec 28 casquettes. 

Retour en France, ensuite ?

Oui, en 2014 je suis allée à Caen, pour devenir procureur général à la cour d’appel. Il est difficile d’être procureur général en France, car, s’il y a 8 000 magistrats, il n’y a que 36 postes de procureurs généraux et 36 postes de premier président. J’aurais pu décider de rester à Caen jusqu’à ma retraite. Et puis, en avril 2018, j’ai vu l’offre pour le poste de procureur général à Monaco.

Qu’est-ce qui vous a intéressée dans ce poste de procureur général à Monaco ?

La nouveauté. Même si je n’ai pas immédiatement exercé cette fonction, j’aime profondément le travail de parquet. Et puis, Monaco, c’est l’étranger et moi, j’aime travailler à l’étranger. Lorsque j’était magistrate de liaison, c’était pour la France. Ici, c’est pour le prince Albert II. C’est donc autre chose. C’est une mission différente de ce que j’ai connu jusqu’alors. 

Qu’avez-vous dit à votre prédécesseur, Jacques Dorémieux ?

Peu de choses, car, son avenir étant incertain, je ne savais pas où le joindre (1). Du coup, j’ai attendu qu’il soit installé, le 1er septembre 2018, pour prendre contact. Il m’a parlé des difficultés rencontrées par la justice monégasque pendant l’année judiciaire dernière. 

La justice monégasque a été chahutée ces derniers mois, notamment avec l’affaire Rybolovlev-Bouvier : vos collaborateurs sont très marqués ?

Les Monégasques sont très touchés. Je ne sais pas comment la presse a eu accès à ces informations. De toute façon, ces dossiers sont toujours en cours. Tout le monde souhaite retrouver de la sérénité.

Dans un contexte de crise de l’institution judiciaire monégasque, ces affaires vous ont fait hésiter avant de postuler pour ce poste en principauté ?

Non. J’ai déjà traité des dossiers médiatiques, politiques, et j’ai toujours estimé qu’il fallait traiter tous les dossiers de la même façon. 

Sylvie Petit-Leclair Procureur Général Monaco

« Lorsque je suis devenue magistrate, mon objectif, c’était de devenir juge d’instruction » Sylvie Petit-Leclair. Procureur général de Monaco © Iulian Giurca / Monaco Hebdo

« La sérénité ne pourra revenir que lorsque des décisions, quelles qu’elles soient, auront été prises par la justice. Il faut que l’on en finisse »

Mais comment revenir à plus de sérénité, alors que certains estiment que la justice monégasque a été discréditée ?

Il faut que les dossiers sortent. La sérénité ne pourra revenir que lorsque des décisions, quelles qu’elles soient, auront été prises par la justice. Il faut que l’on en finisse. Car, en attendant, chacun y va de son mot, de sa phrase… Ce n’est pas comme ça qu’on avance. S’il faut poursuivre, on le fera. Si on ne peut pas le faire, on ne le fera pas. 

Le Conseil national, par l’intermédiaire de sa commission de mise à jour des Codes, pourrait demander que soit acceptée la présence d’un avocat pendant les perquisitions pénales : vous en pensez quoi ?

Lorsqu’on a commencé à parler d’avoir un avocat pendant la garde à vue, j’étais à Versailles, et cela ne m’a jamais gênée. En ce qui concerne la présence d’un avocat pendant une perquisition, je pense que la police ne sera certainement pas pour. Pour ma part, ce qui me gênerait le plus, c’est de devoir attendre l’avocat qui ne sera pas là à 6 heures du matin. En France, si une perquisition a lieu à Lille et que l’avocat de la personne perquisitionnée est à Marseille, on fait quoi ? On l’attend pendant combien de temps ? 

Mais à Monaco, les distances sont faibles ?

À Monaco, au vu de la taille du pays, ce problème ne se pose pas. Mais si on doit prévenir un avocat que l’on va perquisitionner l’un de ses clients, comment va-t-on faire pour la confidentialité ? Après, sur le fond, qu’un avocat soit présent pendant une perquisition, pourquoi pas ? Mais comment organiser tout ça ? C’est donc plus le côté pratique qui me dérange.

Vous pensez qu’il faudrait dépoussiérer le droit monégasque ?

C’est encore un peu tôt pour le dire. Mais j’ai remarqué qu’il n’y a pas suffisamment d’alternatives aux poursuites. Par exemple, il n’est pas possible de faire une convocation par un officier de police judiciaire. 

Alors que Monaco négocie un accord d’association avec l’UE, quel pourrait-être votre apport ?

Il reste à déterminer sur quoi portent les discussions. Si le sujet de la coopération judiciaire est évoqué, je pourrais apporter mon expertise, grâce à mon expérience opérationnelle à l’étranger.

Vous avez rencontré le bâtonnier, Me Yann Lajoux : de quoi avez-vous parlé ?

Nous avons parlé de possibilités, que ce soit au civil ou au pénal, pour améliorer, moderniser ou rationaliser notre travail. 

Les dossiers les plus urgents, aujourd’hui ?

Déjà, je vais prendre connaissance de tous les dossiers. Je me suis aussi mise au droit administratif et au contenu de la Constitution monégasque, car c’est pour moi une nouveauté. 

Quand vous ne travaillez pas, vous faites quoi ?

Je lis beaucoup et je voyage. Sinon, je profite aussi de ma famille, dès que je le peux.

  1. Alors que l’ancien procureur général de Monaco, Jacques Dorémieux avait indiqué qu’il partait à la retraite, il a été nommé avocat général à la cour d’appel de Douai, comme l’a confirmé le Journal officiel de la République française du 8 août 2018. Jacques Dorémieux était arrivé à Monaco le 17 octobre 2015 pour succéder à Jean-Pierre Dréno.