vendredi 29 mars 2024
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Affaire Héli Air Monaco :
« C’est hallucinant »

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Le 18 février, les avocats d’Héli Air Monaco, Me William Bourdon et Me Dominique Anastasi, seront devant la cour d’appel de Monaco.

Ils demanderont l’audition des membres de la commission technique d’analyse qui a décidé de l’attribution de la ligne Nice-Monaco et Monaco-Nice à Monacair fin 2014. Pour Monaco Hebdo, ils s’expliquent.

Qu’allez-vous demander le 18 février 2020, devant la cour d’appel de Monaco ?

William Bourdon : Nous demandons l’audition des 13 personnes qui composent la commission technique d’analyse. C’est elle qui a étudié les offres déposées par Héli Air et Monacair pour l’attribution de la ligne régulière Nice-Monaco et Monaco-Nice. Si la cour accède à notre demande, une sorte de procédure d’enquête civile sera réalisée. Sous le contrôle de la cour d’appel, les 13 membres de la commission technique d’analyse seront auditionnés. Des questions leur seront posées sur les conditions dans lequel l’appel d’offres est intervenu.

Vous estimez que cette commission technique d’analyse a dysfonctionné ?

W.B. : L’avocat de l’Etat monégasque, lui-même, a évoqué dans ses écritures que certains des membres de cette commission technique n’avaient pas besoin d’avoir une copie du dossier. C’est évidemment hallucinant. Alors, cette commission a délibéré sur quoi ?

Dominique Anastasi : J’ajouterais que la réunion de travail de cette commission s’est tenue trois heures après l’ouverture des enveloppes, ce qui ne pouvait pas permettre la copie des dossiers ni leur prise de connaissance. C’est pour l’ensemble de ces raisons que notre cliente demande à la cour de faire témoigner chaque membre de cette commission.

Qui sont les 13 membres de cette commission technique d’analyse ?

D.A. : Dans cette commission, il y avait deux membres du gouvernement, ainsi que 11 fonctionnaires. Une telle composition n’est pas en conformité avec les recommandations du Conseil de l’Europe. Celle-ci ne s’est pas dotée d’un règlement intérieur, mais le vice structurel le plus grave tient au fait que cette commission comprenait des chefs de service et leurs subordonnés. Du coup, il est très difficile pour des subordonnés de prendre des positions qui vont à l’encontre de celles adoptées par leurs supérieurs hiérarchiques.

Que reprochez-vous d’autre à cette commission ?

W.B. : Entre autres, notre cliente reproche à cette commission la « qualité » de son travail, constituant l’une des raisons anormales de son éviction du marché.

D.A. : Nous avons plusieurs griefs. Le code monétaire et financier français considère que Monaco fait partie du territoire « France » pour ce qui est des investissements étrangers dans les secteurs stratégiques. Ainsi, les entreprises de transport régulier monégasques ne peuvent être détenues que par des membres de l’Union européenne (UE) ou de l’Alliance européenne de libre-échange (AELE), sauf dérogation préalable accordée par la direction française du Trésor. Ce contrôle sur l’actionnariat a d’ailleurs été transposé et adapté dans la convention franco-monégasque sur les relations aériennes, qui pose que, du côté monégasque, l’opérateur doit être détenu par des personnes physiques monégasques, et, du côté français, par des personnes physiques françaises.

Et quel est le problème ?

D.A. : La commission d’analyse technique n’a pas examiné la conformité de l’actionnariat des sociétés candidates avec ce cadre légal. Or, d’après les informations disponibles dans le public au moment des faits, Monacair se trouve détenue à hauteur de 70 % par la société Marcajena ltd, une société des Îles Vierges britanniques totalement opaque !

Quels sont les autres reproches que vous faites à cette commission ?

D.A. : Sans aucun fondement légal, l’Etat a décidé du transfert des salariés d’Héli Air Monaco vers le nouvel attributaire, lequel n’aurait pas eu, sinon, les ressources humaines nécessaires. De plus, la commission d’analyse technique n’a pas correctement regardé les modalités de détention des hélicoptères par le compétiteur de Héli Air Monaco. Ils ont été considérés comme étant des investissements, alors que ceux-ci font l’objet d’une location financière. Or, selon les règles comptables monégasques applicables aux sociétés anonymes, un actif ainsi financé ne peut pas être considéré comme un investissement. D’ailleurs, si l’on considère que c’est un investissement, il faut alors examiner l’endettement correspondant. En toute hypothèse, il aurait donc fallu que la commission vérifie la capacité de l’entreprise à faire face à ses engagements financiers, ce qu’elle n’a pas fait. Pour sa part, Héli Air Monaco est propriétaire de ses hélicoptères.

Quel est le calendrier dans ce dossier, désormais ?

D.A. : La demande suit le régime posé par les articles 326 et suivants du code de procédure civile. Elle sera plaidée le 18 février 2020. Si la cour d’appel retient celle-ci, chaque membre de la commission sera convoqué et entendu. Ce n’est qu’après cela que l’affaire sera plaidée sur le fond.

Que réclame Héli Air devant la cour d’appel ?

D.A. : Le total de la demande d’indemnisation d’Héli Air Monaco s’élève à 43 millions d’euros. Cette demande est appuyée par une expertise financière. La somme de 2 millions d’euros octroyée en première instance ne couvre que le préjudice résultant de la brièveté du préavis consenti par l’Etat lors de la rupture du contrat.

Pourquoi Héli Air considère ce préavis comme ayant été insuffisant ?

D.A. : D’une part, ce contrat a été résilié en décembre 2014, avec un délai de préavis l’obligeant de maintenir son service jusqu’au 31 décembre 2015. D’autre part, Héli Air Monaco a été autorisé à participer à l’appel à candidatures qui s’en est suivi. Dès lors, il était logique pour notre client d’attendre le résultat des courses avant d’envisager le démantèlement de son activité. Le marché ayant été attribué à Monacair le 15 octobre 2015, Héli Air Monaco n’a donc disposé que de deux mois et demi pour y procéder, ce qui était insuffisant. Cela a généré des surcoûts. Voilà pourquoi nous avons demandé une indemnisation relative à la brièveté de ce délai.

Mais pour justifier la résiliation du marché de la ligne Monaco-Nice, l’Etat a aussi évoqué « l’intérêt général » ?

D.A. : Dans la plupart des pays européens, lorsque la résiliation d’un contrat de droit public intervient pour un tel motif, celle-ci ouvre un droit à des dommages et intérêts en faveur du contractant évincé. Ceci constitue la principale demande d’indemnisation de notre client, qui s’ajoute à celle relative à la brièveté du délai de préavis. Sans remettre en cause ce principe, les premiers juges ont cependant estimé qu’un tel droit ne pouvait pas être invoqué en présence d’un contrat à durée indéterminée (CDI), comme celui entre l’Etat et Héli Air Monaco. Mais, depuis la date de ce jugement, le tribunal suprême a rendu un arrêt qui revient à dire que l’indemnisation est due quelle que soit la durée du contrat, comme cela est d’ailleurs le cas dans les autres pays.

Si vous remportez ce bras de fer contre l’Etat monégasque, Héli Air pourrait récupérer le marché perdu face à Monacair ?

D.A. : Les demandes judiciaires présentées par Héli Air Monaco ne visent pas à récupérer le marché attribué à Monacair.

Dans quelle situation se trouve Héli Air, aujourd’hui ?

D.A. : Le chiffre d’affaires de notre client s’est totalement effondré. Mais Héli Air Monaco pourrait se restructurer et repenser son activité grâce à l’indemnisation qui lui revient. Autrefois, grâce à ses codes de compagnie aérienne internationale attribués par l’Association internationale du transport aérien (IATA) – qu’elle a perdu du fait de la résiliation, celle-ci s’était diversifiée au travers d’une filiale qui émettait les billets électroniques de plus de 120 compagnies aériennes.

Dans quel état d’esprit se trouve le patron d’Héli Air, Jacques Crovetto ?

W.B. : Jacques Crovetto est déterminé à aller jusqu’au bout. Mais c’est un dossier où la logique d’apaisement aurait dû prévaloir depuis longtemps. Car personne n’a intérêt à ce que cette procédure, ou d’autres procédures à venir, se poursuivent. Dans ce dossier, la raison aurait dû pousser tout le monde à l’apaisement.

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