samedi 20 avril 2024
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Lutte anti-blanchiment du Conseil de l’Europe – Jean Castellini : « Le défi est réel »

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Moneyval, l’organe de lutte anti-blanchiment du Conseil de l’Europe, a placé Monaco sous « suivi renforcé » le 23 janvier 2023. Désormais, la principauté a jusqu’en mars 2024 pour réagir. Le conseiller-ministre pour l’économie et les finances, Jean Castellini, explique à Monaco Hebdo comment le gouvernement monégasque va travailler pour répondre aux attentes de Moneyval, et éviter ainsi d’être placé, comme en avril 2009, sur la liste grise des pays non coopératifs élaborée par l’OCDE.

Quelle est la réaction du gouvernement monégasque, suite à la décision de Moneyval, rendue publique le 23 janvier 2023, de placer la principauté sous « suivi renforcé » ?

Le Comité d’experts sur l’évaluation des mesures de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (Moneyval) est l’organe de suivi permanent du Conseil de l’Europe chargé d’apprécier la conformité des dispositifs nationaux en matière de lutte anti-blanchiment et d’apprécier l’efficacité de l’application de ces normes. Après évaluation, il établit des recommandations aux autorités nationales des pays membres concernant les améliorations nécessaires à leur dispositif. Dans leur rapport sur Monaco, les évaluateurs ont notamment attiré l’attention sur l’importance de mieux cibler la supervision de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme du secteur privé, en se fondant sur l’approche par les risques, et de poursuivre les efforts en matière de sanction administrative. Mais aussi l’intérêt d’exploiter davantage les renseignements financiers pour augmenter le nombre d’enquêtes, de poursuites et de condamnations pour blanchiment de capitaux.

Et enfin, l’indispensable alignement des pratiques en matière de confiscation des avoirs ou des produits des infractions avec celles prises en matière de saisie. En revanche, le rapport reconnaît « le travail considérable entrepris par Monaco dans l’identification des risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme », et la capacité de la cellule de renseignement financier monégasque (SICCFIN) « à produire des analyses de haute qualité ».

« La principauté de Monaco dispose de 12 mois pour déployer les actions recommandées. Elle devra présenter son rapport de suivi en mars 2024 »

Quelles sont les conséquences concrètes de cette décision pour Monaco et sa réputation internationale ?

Tout pays évalué par Moneyval fait l’objet d’un suivi. Lorsqu’il est « renforcé », le pays est tenu de mettre en œuvre les actions recommandées par les évaluateurs dans un délai d’une année, tout en rendant compte des progrès réalisés, contre trois ans pour ceux soumis à un suivi régulier. La principauté de Monaco dispose donc de 12 mois pour déployer les actions recommandées. Elle devra présenter son rapport de suivi en mars 2024.

Lire aussi : Lutte anti-blanchiment du Conseil de l’Europe : « Il y a des manques »

En quoi consiste cette période de suivi ?

La période de « suivi renforcé » est une procédure assez communément appliquée. A titre d’illustration, plus de 50 % des membres du comité Moneyval y sont soumis. Ce suivi implique de renforcer encore le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme existant, afin d’accroître son efficacité et de se conformer aux recommandations issues du rapport d’évaluation. La mise en œuvre des recommandations exige la forte mobilisation de nombreux départements administratifs, directions et services de l’Etat, en coordination avec le secteur privé.

Quelles sont les principales difficultés ?

Comme tous les pays, la principauté est confrontée au fait que les tendances et typologies de blanchiment de capitaux évoluent rapidement. Les standards internationaux sont en perpétuelle évolution. La cadence est telle, qu’il convient de mener régulièrement des réformes législatives et réglementaires. Un certain nombre d’entre elles ont déjà fait l’objet d’un vote par l’Assemblée monégasque, le Conseil national, en novembre 2022, notamment dans des domaines aussi importants que l’entraide judiciaire internationale, la saisie et la confiscation des instruments et produits du crime. De surcroît, les besoins en matière de collecte de données, d’outils et de compétences sont sans cesse plus pointus et plus importants. Ces exigences accrues peuvent logiquement ralentir et retarder le processus de mise en conformité du dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, et avoir des répercussions sur son efficacité.

Qu’est-ce qui est reproché à Monaco ?

Concernant Monaco, ce n’est pas un dysfonctionnement global du dispositif concernant le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme national, mais l’addition de points d’observations sur différents aspects pris dans leur globalité, qui est en cause. Il faut souligner qu’aucune affaire en matière de blanchiment ou de financement du terrorisme ayant eu un quelconque retentissement ces dernières années n’a concerné ou impliqué la principauté. De plus, dans la perspective de l’évaluation, Monaco avait anticipé un nombre important d’actions à mener, mais elles n’ont en partie pu être appliquées dans les délais demandés par le calendrier initial, notamment du fait de la crise Covid.

« La période de « suivi renforcé » est une procédure assez communément appliquée. A titre d’illustration, plus de 50 % des membres du comité Moneyval y sont soumis. Ce suivi implique de renforcer encore le dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme existant, afin d’accroître son efficacité et de se conformer aux recommandations issues du rapport d’évaluation »

Le gouvernement a jusqu’à mars 2024 pour lancer les mesures recommandées par les évaluateurs européens : quels chantiers seront réalisables, et donc prioritaires, dans ce délai d’un an ?

L’organisation mise en place aujourd’hui s’appuie sur une “task force” [groupe de travail – NDLR] qui agit en « mode projet », avec une répartition claire des tâches et un calendrier précis. La stratégie se traduit par une coordination opérationnelle étroite au niveau national, conjuguée à un plan d’actions propre à chaque département, direction ou service concerné. D’ores et déjà établis, ces plans sont en cours de mise en œuvre. L’importance d’opérer sans délai des recrutements de plusieurs dizaines de personnes, notamment pour la cellule de renseignement financier monégasque [le Service d’Information et de Contrôle sur les Circuits Financiers (SICCFIN) — NDLR], mais aussi les services de police et de justice, pourrait amener la principauté à se rapprocher des autorités françaises pour solliciter leur assistance. Chaque autorité concernée dispose désormais d’une feuille de route précise, qu’elle est chargée d’actualiser au fur et à mesure des progrès réalisés. Un examen attentif des évolutions sera opéré à intervalles réguliers.

Comment est supervisée la stratégie d’ensemble ?

La stratégie de la principauté est supervisée au plus haut niveau du gouvernement princier. Le comité de coordination et de suivi de la stratégie nationale est placé sous la présidence du ministre d’Etat. Ce comité bénéficie du concours de conseils et d’experts internationaux. Le pilotage opérationnel et la mise en œuvre des recommandations du rapport Moneyval seront assurés par le conseiller de gouvernement – ministre de l’économie et des finances.

Même si le délai est court d’ici mars 2024, vous êtes optimiste ?

Le défi est réel, mais tout est en place pour mener à bien ce projet essentiel pour la principauté. Des ressources et compétences additionnelles sont mobilisées, la dynamique est engagée, la motivation des équipes est forte, et tous feront en sorte que les objectifs soient atteints dans les délais prescrits.