jeudi 18 avril 2024
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Pascal Saint-Amans : « La transparence est essentielle pour lutter contre toute forme de criminalité »

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Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE, se félicite de l’accord sur la transparence fiscale signé en juillet par Monaco avec l’Union européenne. Et explique en quoi le financement du terrorisme est aussi un objectif.

 

Que prévoit l’accord sur la transparence fiscale signé le 12 juillet par Monaco et l’UE ?

Cet accord, c’est l’application du standard global développé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) entre Monaco et les 28 pays de l’Union européenne (UE). Cela montre que la Principauté va procéder à l’échange automatique d’informations, conformément aux engagements pris lors du forum mondial et à l’OCDE.

Cela va aller au-delà des 28 pays de l’UE ?

Oui. Car Monaco a signé la convention multilatérale et se lancera sans doute dans l’échange automatique de renseignements avec beaucoup d’autres pays.

Monaco s’est engagé pour la première fois auprès de l’OCDE en 2014 : quel est le chemin parcouru jusqu’à aujourd’hui ?

On peut même commencer à regarder les choses à partir de 2009. Le 13 mars 2009, les pays qui avaient été jusqu’alors les plus réticents, ont pris l’engagement de se lancer dans l’échange de renseignements à la demande, comme les standards de l’époque l’exigeaient. Je me souviens d’ailleurs d’un fax de Monaco arrivé au secrétaire général de l’OCDE à 21 ou 22 heures, le vendredi 13 mars 2009…

Que disait ce fax ?

Ce fax ne répondait à aucun des critères. Il s’agissait juste d’essayer de passer entre les gouttes, d’une façon un peu pirate. Ça a été ma première relation avec Monaco qui n’était alors vraiment pas dans les clous. Le chemin parcouru depuis par la Principauté est absolument phénoménal.

Pourquoi ?

Parce que sur l’échange de renseignements à la demande Monaco est rentré dans le rang et a rejoint le forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales. Ils ont pris les bons engagements. La Principauté a signé la convention multilatérale sur l’échange de renseignements. Ils ont pris l’engagement de faire de l’échange automatique, alors qu’à l’époque, la place financière monégasque avait recommandé au conseiller-ministre pour les finances, Marco Piccinini, de ne pas le faire.

Où en est-on aujourd’hui ?

Aujourd’hui, on est dans la phase concrète d’application. Avec la signature le 12 juillet de cet accord avec l’UE notamment. La Principauté s’est mise au diapason de ce que fait le reste de la communauté internationale. Il y a 6 ou 7 ans, Monaco était une source de préoccupation. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Une relation de confiance a enfin pu s’établir avec Monaco. Et tout a commencé avec Marco Piccinini.

Monaco a encore du retard à combler ?

Je ne le sais pas dans le détail. Et si je l’ignore, c’est parce que nous avons désormais une relation de confiance. Du coup, Monaco n’est plus une source de préoccupation. Je ne sais donc pas si la Principauté est dans le timing ou en retard, mais il n’y a en tout cas rien d’alarmant qui pourrait faire que ce dossier soit sur mon bureau.

Vous êtes d’accord avec le ministre d’Etat, Serge Telle, qui a estimé que « cette signature doit être un signal ferme pour les Etats membres de sortir définitivement Monaco de leurs listes nationales discriminatoires » ?

L’application de l’échange automatique de renseignements pour le volet qui concerne la transparence fiscale serait une très bonne raison de ne plus embêter Monaco. D’autres volets peuvent aussi être pris en compte, comme les pratiques fiscales dommageables par exemple.

Quoi d’autre ?

Monaco a rejoint le cadre inclusif pour l’application du projet Base Erosion Profit Shifting (BEPS). La Principauté s’est engagée à ce que sa législation soit parfaitement conforme. On va donc examiner Monaco, comme les autres pays d’ailleurs, pour voir si certains régimes posent encore des problèmes. A priori, ce n’est pas le cas, mais on va tout de même vérifier. Il semble que Monaco a rejoint les pays qui appliquent de bonnes pratiques. La Principauté ne devrait donc plus faire l’objet d’identifications particulières.

Après l’attentat de Nice, ce mouvement de transparence est aussi de nature à faciliter la lutte contre le financement du terrorisme ?

Il y a des points de convergence. La transparence est essentielle pour lutter contre toute forme de criminalité : fraude fiscale, lutte contre la corruption… Les progrès réalisés dans le cadre de l’échange automatique de renseignements, que Monaco doit d’ailleurs mettre en place avec l’Italie et la Russie notamment, peuvent avoir un impact qui dépasse la fiscalité. Car des gens peuvent avoir des comptes en Principauté, et pas seulement pour chercher à frauder le fisc.

Encore faut-il parvenir à savoir qui se cache derrière des montages parfois très complexes ?

On ne peut pas avoir un échange de renseignements efficace si on n’a pas d’identification efficace des bénéficiaires. Or, les organisations financières vont devoir faire sérieusement ce travail qu’elles faisaient auparavant de façon un peu détendue.

Pourquoi ?

Parce que la notion de bénéficiaire effectif dépasse la simple question fiscale. Il faut donc aller plus loin dans l’application effective de la définition du bénéficiaire effectif caché derrière des structures opaques. C’est d’ailleurs un mandat que le Forum mondial a reçu avec le Groupe d’action financière (GAFI) en avril dernier de la part du G20.

Monaco est concerné ?

Je ne suis pas sûr que la Principauté soit très utilisée pour abriter des structures opaques. Monaco ne semble pas être une place d’incorporation massive pour ce genre de structures. Mais l’attention va de plus en plus être portée sur l’identification des bénéficiaires. Car cette notion est aujourd’hui très mal appliquée. Et cela, à peu près partout.

Avec la menace terroriste, c’est devenue une véritable préoccupation ?

Ça l’a toujours été. D’un monde où l’opacité était maîtresse, car il n’y avait aucun accord d’échanges de renseignements, on passe à un monde où l’échange d’informations devient la norme. Mais pour que cela fonctionne, il faut que l’on sache qui se trouve derrière les structures. On se focalise sur cette question, car c’est désormais le point d’opacité qui demeure.

Les autres pays avancent au même rythme que Monaco ?

Tous les pays avancent. Certains, comme le Panama, avaient du retard. Or, le Panama a demandé le 18 juillet à signer la convention multilatérale, ce qui semblait totalement impossible il y a trois mois en arrière. Du coup, je pense que le Panama va rejoindre le mouvement général de transparence. Donc globalement, tous les pays bougent dans la bonne direction.

Certains pays ne bougent pas ?

Les pays qui ne bougent pas sont présentés comme de mauvais élèves. C’est le cas de quelques juridictions assez petites. Parmi les places financières un peu significatives, je commence à avoir des doutes très sérieux sur les Bahamas. Ils ont pris des engagements mais ils ne montrent aucune dynamique pour les appliquer. Il y a aussi les Emirats Arabes Unis (EAU) qui sont une vraie source de préoccupation.

Et parmi les plus importantes places financières ?

La Suisse, le Luxembourg, Singapour, le Liechtenstein, Jersey & Guernesey, l’île de Man, les îles Caïmans, les Bermudes et même les îles Vierges Britanniques sont des juridiction qui ont changé. Ils appliquent désormais les standards demandés.

Et les plus petites juridictions ?

Ils ont du mal et ils sont en retard souvent parce qu’ils n’ont pas les compétences. Mais ils vont dans la bonne direction. Je pense notamment à Saint-Kitts & Nevis, aux Samoa, au Nauru ou à la Micronésie. Ce ne sont évidemment pas des places financières majeures. Il n’y a donc pas de risque de rompre l’équilibre et les règles du jeu imposées aux différents pays. On accompagne ces pays, car on ne sent pas de leur part une réticence politique forte.

Vraiment plus aucun pays ne résiste ?

Les seuls qui opposaient une résistance, c’était le Panama, qui est une importance place financière, et le Liban, qui est une place de moindre importance. Mais suite au scandale des Panama Papers, ces deux pays ont décidé de changer.

Les Panama Papers ont donc eu un effet positif ?

Oui, et à deux titres au moins. D’abord, les Panama Papers ont permis de faire craquer les dernières poches de résistance. Ces poches auraient de toute façon fini par craquer, mais cela aurait pris plus de temps. Ensuite, cela permet aujourd’hui d’avoir quelques soutiens politiques pour pouvoir travailler sur l’importante question des bénéficiaires effectifs.

Les prochaines étapes pour Monaco ?

Pour permettre l’échange automatique de renseignements, Monaco devra peut-être adapter et modifier sa législation en interne. Ensuite, il faudra être capable de boucler des accords en dehors des 28 pays de l’UE. Pour les Etats-Unis, c’est déjà fait via le Foreign account tax compliance (FATCA). Mais il reste les pays du G20, ceux de l’OCDE, les pays en voie de développement… Ces actions doivent être lancées maintenant. Mais je crois que le gouvernement et la place financière monégasque travaillent dessus.