vendredi 19 avril 2024
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Isabelle Berro-Amadeï : « Monaco est un État neutre sur le plan politique et militaire »

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Isabelle Berro-Amadeï, nommée conseiller-ministre pour les relations extérieures et la coopération par le prince Albert II, le 17 janvier 2022, raconte les coulisses de la guerre en Ukraine et revient sur son parcours et ses projets pour la principauté sur la scène internationale.

Quelle est votre lecture de cette guerre en Ukraine ?

Comme l’a précisé le prince souverain, nous condamnons fermement l’invasion de l’Ukraine. La principauté de Monaco exprime son ferme attachement au respect du droit international, à la souveraineté de l’Ukraine, et à son intégrité territoriale dans ses frontières internationalement reconnues. La principauté soutient la poursuite du dialogue et des négociations diplomatiques, tout en saluant le courage dont font preuve le peuple ukrainien et ses dirigeants. Il en va de la sécurité et de la stabilité de notre continent, et du monde.

Que peut faire Monaco, du point de vue humanitaire ?

Monaco appelle également au respect du droit humanitaire. Nous sommes évidemment extrêmement préoccupés par le nombre important de victimes, et par les populations déplacées qui fuient la violence. Le gouvernement princier a mis en place une cellule administrative, afin de coordonner en collaboration avec la Croix-rouge l’accueil des personnes fuyant l’Ukraine en direction de Monaco.

Vladimir Poutine estime que les pays de l’OTAN menacent la sécurité et l’intégrité de la Russie, par l’intermédiaire de l’Ukraine, qu’en pensez-vous ?

Vous le savez, Monaco est un État neutre sur le plan politique et militaire. La principauté rejette donc tout recours à la force et a toujours promu la prévention des crises et des conflits, le dialogue, les accords négociés, sous médiation indépendante.

Isabelle Berro-Amadeï interview Monaco
© Photo Manuel Vitali / Direction de la Communication

« La principauté soutient la poursuite du dialogue et des négociations diplomatiques tout en saluant le courage dont font preuve le peuple ukrainien et ses dirigeants. Il en va de la sécurité et de la stabilité de notre continent et du monde »

Comment les seize ambassadeurs de Monaco dans le monde gèrent-ils cette guerre ?

Tous les ambassadeurs de Monaco à l’étranger sont très mobilisés et suivent avec beaucoup d’attention l’évolution du conflit. Nous sommes en contact quotidien avec eux, afin d’échanger les informations et coordonner nos actions. Les ambassadeurs bilatéraux nous renseignent en particulier sur les positions prises par leur pays d’accréditation, alors que les ambassadeurs multilatéraux sont pleinement actifs au sein des organisations régionales et internationales, pour joindre la voix de Monaco à celles de ceux qui appellent à la paix.

Comment les protéger en cas d’escalade du conflit ?

Le département des relations extérieures et de la coopération (DREC) édite tous les jours à leur intention un point de situation qui permet à l’ensemble de notre réseau diplomatique de prendre connaissance, tant des mesures prises à Monaco dans le contexte du conflit en Ukraine, que des positions adoptées par la principauté dans les enceintes internationales sur le sujet. Tous les membres du DREC, au sens large, équipe du siège ou celles des ambassades et des représentations permanentes sont donc pleinement engagés et vigilants, et avancent de concert.

L’ensemble de la diplomatie monégasque est donc mobilisé ?

Je tiens à cet égard à remercier très chaleureusement l’ensemble des acteurs de la diplomatie monégasque pour leur réactivité, leur dévouement, et leur grand professionnalisme. Je précise enfin, et comme c’est toujours le cas à lors de la survenance d’une crise, qu’elle soit sécuritaire ou sanitaire, que la direction des relations diplomatiques et consulaires, se tient en alerte pour faciliter le dénouement de toute situation critique relative à la protection et à la prise en charge de citoyens et/ou résidents monégasques.

Outre ces seize ambassadeurs, y aura-t-il d’autres représentations nationales à l’étranger, prochainement ?

Cette décision est une prérogative exclusive du prince souverain. La création d’une nouvelle ambassade n’est pas d’actualité, mais cela fera sans doute partie d’une réflexion pour l’avenir. À ce jour, nous pouvons compter, outre les seize ambassadeurs déjà mentionnés qui jouent un rôle majeur pour le rayonnement de la principauté, sur un large réseau de consuls honoraires particulièrement dynamiques et actifs, qui, grâce à leur parfaite connaissance du terrain et à leurs contacts personnels et professionnels, contribuent pleinement à la promotion de la principauté dans le monde.

Comment ont été décidées les sanctions appliquées à l’encontre de la Russie, et faut-il les étendre ?

Les sanctions générales, et celles portant des listes des personnes devant faire l’objet d’une mesure de gels des fonds, sont établies par le conseil de l’Union européenne (UE). Conformément à nos engagements, nous reprenons intégralement — et ce, depuis 2014 en ce qui concerne le conflit Russie-Ukraine — ces sanctions, et les listes, sont intégrées dans notre liste nationale. Elle est publiée sur le site du gouvernement princier, afin que tous les acteurs économiques actifs en principauté la croisent avec leur fichier de clients. Le gouvernement est en contact permanent avec les acteurs économiques de la place. Si l’un de leurs clients est mentionné sur la liste, ses avoirs sont immédiatement gelés par l’entité, qui en informe sans délai les autorités monégasques. La principauté de Monaco continuera à donner pleinement effet à toutes les mesures qui pourraient être prises, dans le respect de ses engagements internationaux.

Comment ont été menées les discussions avec les différents chefs d’État européens pour aboutir à ces sanctions ?

C’est un processus interne à l’UE. Nous bénéficions, bien entendu, d’un soutien particulier de la France, en cas de nécessité, pour la mise en œuvre stricte des sanctions édictées par l’UE.

« La principauté s’est exprimée très rapidement après l’invasion de l’Ukraine, sur le terrain diplomatique »

Pourquoi Monaco s’est-elle officiellement exprimée cinq jours après l’invasion de l’Ukraine, et pas avant ?

La principauté s’est exprimée très rapidement après l’invasion de l’Ukraine, sur le terrain diplomatique. Conformément aux instructions données par le prince Albert II, dès l’invasion du territoire ukrainien par la fédération de Russie, Monaco a participé activement aux sessions qui se sont tenues au sein des organisations internationales : ONU, Conseil de l’Europe, Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), notamment. Je suis moi-même intervenue le 24 février 2022, soit quelques heures après l’offensive russe, lors d’une réunion au niveau ministériel du conseil permanent renforcé de l’OSCE. Lors de chaque allocution par ses représentants, la principauté a témoigné son soutien à l’Ukraine face à l’agression russe, et son fort attachement à la préservation d’un ordre mondial fondé sur le droit international.

Avant cette guerre, quelles étaient les relations entre Monaco et la Russie ?

Comme je l’ai déjà exprimé, Monaco soutient le multilatéralisme, et défend le respect du droit international. La principauté est attachée à ces principes qui garantissent l’égalité souveraine, l’indépendance et l’intégrité territoriale des États. Lors de sa visite officielle en Russie en 2013, le prince Albert II avait signé une déclaration conjointe destinée à renforcer les relations bilatérales, qui reposait sur les grands principes des relations internationales stipulés dans la charte des Nations unies et le rôle central de l’ONU en tant que mécanisme universel du maintien de la paix et de la sécurité dans le monde.

Quelles seront les relations de Monaco avec la Russie, à l’issue de cette guerre ?

Le respect de ces grands principes est toujours d’actualité pour Monaco, et nous demeurons ouverts au dialogue.

Comment se prémunir d’éventuelles cyber-attaques à Monaco ?

L’Agence Monégasque de Sécurité Numérique (AMSN) exerce de façon particulièrement vigilante sa mission de prévention, détection et traitement des éventuelles cyber-attaques. À ce stade, nous n’avons pas noté en principauté d’évolution particulière quant à l’origine des attaques depuis le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine. Nous notons néanmoins une augmentation de l’activité sur Internet, conséquence du contexte international. Il convient donc d’être très attentif, et de s’assurer que les règles d’hygiène informatique sont bien appliquées, et respectées par tous.

Quel est votre parcours ?

J’ai très tôt ressenti un attrait pour la carrière judiciaire, raison pour laquelle j’ai effectué des études de droit qui m’ont permis d’exercer les fonctions de magistrat à Monaco pendant 17 ans. Enrichie de cette expérience, j’ai eu le privilège d’être élue en 2006 juge au titre de la principauté de Monaco, puis présidente de section à la Cour européenne des droits de l’homme, à Strasbourg.

Que retenez-vous de votre présidence à la Cour européenne des droits de l’homme ?

Trancher des questions nouvelles et des problèmes juridiques inédits, écouter, discuter, débattre, et enfin délibérer avec des 46 juges d’Etats membres de la « grande Europe », du Portugal à la Russie, de l’Islande à la Turquie, démontre combien ces neuf années passées à la Cour ont été stimulantes, et particulièrement exaltantes. Elles m’ont sensibilisée sur tous les sujets qui agitent nos sociétés, et m’ont forcée à remettre en cause idées reçues et préjugés.

Pourquoi ?

J’admire la juridiction de Strasbourg, y avoir siégé restera pour moi une immense fierté. Parce qu’en arrière-plan se trouve la défense d’une conception commune des droits de l’homme, être libre, égal à ses semblables, jouir de la dignité et des valeurs inhérentes à l’humanité. Et puis, je dois avouer que je me suis toujours considérée comme un ambassadeur de Monaco à la Cour, ce qui était sans doute prémonitoire.

Comment avez-vous été nommée ambassadeur de Monaco ?

En 2015, à l’issue de mon mandat à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), j’ai eu l’honneur d’être nommée par le prince souverain ambassadeur de Monaco en Allemagne, accréditée en Autriche et en Pologne. J’ai donc quitté les habits judiciaires pour ceux de la diplomatie. J’ai ainsi découvert un univers tout aussi enrichissant, bien que plus politique, où tact et finesse sont de mise. Mais il n’y a pas de plus grande fierté que d’être le légataire d’une histoire séculaire, l’incarnation d’une image à l’étranger — même s’il faut parfois combattre certains clichés tenaces —, le défenseur d’intérêts politiques, économiques, culturels, ou encore touristiques.

« Je me suis toujours considérée comme un ambassadeur de Monaco à la Cour européenne des droits de l’homme, ce qui était sans doute prémonitoire »

Et ensuite ?

En 2020 j’ai rejoint le poste diplomatique de Bruxelles en qualité d’ambassadeur de Monaco en Belgique, au Luxembourg, et aux Pays-Bas, chef de la mission de Monaco auprès de l’Union européenne (UE) jusqu’au 17 janvier 2022, date de ma prise de fonctions au département des relations extérieures et de la coopération.

Que représente cette fonction à vos yeux ?

Être ambassadeur de Monaco, c’est porter la voix du prince souverain dans le monde, lui qui nous a exprimé sa confiance pour défendre les valeurs qui nous rassemblent autour de sa personne.

Comment abordez-vous les missions à mener ?

J’aborde ces nouvelles fonctions avec beaucoup d’humilité. Je retrouve avec grand plaisir l’équipe dynamique, et engagée, du département des relations extérieures et de la coopération, avec laquelle j’ai été en contact dans mes fonctions d’ambassadeur. Je note avec beaucoup de satisfaction que c’est un département dont les postes de direction sont tous occupés par des femmes de grande valeur. Et je m’en réjouis d’autant plus que je préside le comité pour la promotion et la protection des droits des femmes. Je suis déterminée à poursuivre avec énergie la dynamique nouvelle voulue par le prince pour le rayonnement international de Monaco.

Comment définir la diplomatie monégasque ?

L’ouverture aux autres, pour la principauté, c’est plus qu’un choix, c’est une part essentielle de son identité. Nous accueillons à Monaco des résidents de plus de 140 nationalités. Notre dynamisme économique tient au fait que nous avons beaucoup d’entreprises tournées vers l’étranger.

Et en temps de guerre ?

À l’heure où l’actualité nous démontre que le monde aurait besoin de plus d’unité, de responsabilité, et de solidarité, cette ouverture passe par une action internationale déterminée. Il s’agit ainsi d’assurer le rayonnement de la principauté en nous appuyant sur des valeurs qui nous sont chères et qui sont portées par le prince souverain : solidarité envers les plus vulnérables et les plus démunis, promotion d’une société plus inclusive, juste et durable. L’agenda 2030 adopté par l’Organisation des nations unies (ONU), et qui définit 17 objectifs de développement durable, est, en cela, une référence incontournable.

Comment s’exerce l’action de Monaco à l’international ?

L’action internationale et diplomatique s’exerce sur plusieurs plans : d’une part à travers les activités bilatérales et multilatérales que nous menons à Monaco. Et d’autre part à l’étranger, les activités de coopération au développement. Sur ce dernier point, je tiens à rappeler que la principauté est l’un des seuls pays au monde à ne pas avoir baissé son aide publique au développement, malgré la crise sanitaire.

Est-il question de rejoindre, à terme, l’UE ?

Il n’a jamais été question pour Monaco de rejoindre l’UE, ni l’Espace économique européen (EEE), d’ailleurs. Je vous rappelle que nous négocions depuis 2015 un accord d’association, qui consiste à définir sous un aspect stable et pérenne, le futur cadre de nos relations avec nos voisins européens.

Dans quel but ?

L’objectif est de faire reconnaître que Monaco, en tant que Cité-Etat, doit pouvoir préserver son identité nationale, et son modèle économique, dont le dynamisme profite à toute la région. Notre situation est unique au monde : un territoire contraint, une population nationale minoritaire dans son pays et une forte attractivité internationale. C’est tout l’enjeu de cette négociation, et c’est la position que nous défendons depuis l’origine, conformément aux instructions du prince Albert II.

Isabelle Berro-Amadeï interview Monaco
© Photo Manuel Vitali / Direction de la Communication

« La principauté est particulièrement attachée à ce que les mers et les océans fassent l’objet d’une attention particulière, et soient inscrits comme une priorité dans l’agenda politique international, et plus particulièrement dans le futur cadre mondial de la biodiversité, qui est en cours de négociation »

Quelles sont les avancées ?

Nous avons bien avancé sur les points techniques dans le contexte de l’examen de la reprise de l’acquis européen. Côté européen, l’équipe de négociation a changé fin 2021, et la nouvelle unité en charge de notre dossier se met actuellement en place. Nous pouvons donc espérer aborder cette année une discussion politique, pour avoir une vision sur l’avenir des négociations.

Quelles sont les relations de Monaco avec la Chine ?

Vous le savez, il existe une bonne communication entre les deux chefs d’Etats, qui permet de faire progresser nos relations et de promouvoir une coopération sur des sujets d’intérêt commun. Comme, par exemple, la promotion du sport comme vecteur de paix et d’inclusion, la lutte contre le réchauffement climatique, et la préservation de la biodiversité. J’ai de mon côté eu l’occasion de recevoir dernièrement l’ambassadeur de Chine à Monaco, avec lequel nous avons évoqué les thèmes qui nous rapprochent.

Quels sont thèmes qui vous rapprochent ?

Parmi ceux-ci, j’ai indiqué à l’ambassadeur qu’une délégation monégasque participera à la deuxième partie de la 15ème Conférence des parties [la COP15 de la convention des Nations unies — NDLR] à la convention sur diversité biologique à Kunming, en Chine. Cette délégation y défendra l’inclusion d’objectifs chiffrés et ambitieux en faveur de l’établissement d’une zone protégée pour la planète dans son ensemble. C’est une conférence très attendue, car elle devra aboutir à l’adoption d’un cadre mondial pour la biodiversité post-2020. Vous le savez, la principauté est particulièrement attachée à ce que les mers et les océans fassent l’objet d’une attention particulière, et soient inscrits comme une priorité dans l’agenda politique international, et plus particulièrement dans le futur cadre mondial de la biodiversité, qui est en cours de négociation.