jeudi 25 avril 2024
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Najat Vallaud-Belkacem :
« Le vaccin contre le Covid-19
doit être un bien public mondial »

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Nommée directrice France de l’ONG ONE, qui lutte contre l’extrême pauvreté et les maladies évitables, Najat Vallaud-Belkacem a appelé les gouvernements et entreprises à soutenir un plan de lutte mondial contre le Covid-19. Selon l’ancienne ministre socialiste, aider les pays les plus pauvres à faire face à la crise sanitaire est indispensable pour éviter que le virus ne revienne. Entretien.

Vous venez d’être nommée directrice France de l’organisation non gouvernementale (ONG) ONE, co-fondée, entre autres par le chanteur de U2, Bono : quels sont vos projets ?

ONE cherche à faire reculer l’extrême pauvreté dans le monde et à apporter, d’une certaine façon, la santé à tous. À l’aune du Covid-19, cela signifie veiller à ce que la réponse à la pandémie concerne bien tous les pays, y compris les plus pauvres du monde. Or, tous les pays n’ont pas les moyens de dégager les ressources nécessaires pour adopter des plans d’urgence pour leur population ou pour raffermir leur système de santé… Ces impératifs doivent maintenant se penser dans la solidarité internationale. Le virus ne connaît pas de frontière, la réponse ne doit pas en connaître non plus. Autrement, même si nous arrivions à l’enrayer de notre territoire, il nous reviendrait par le biais de populations qui n’auraient pas été soignées à l’autre bout du monde.

C’est le sens de la tribune que vous avez publiée dans Le Monde, dans laquelle vous appelez les gouvernements et entreprises à soutenir un plan de lutte contre le Covid-19 à l’échelle internationale : à quoi ressemblerait ce plan ?

Il faut accepter de se poser les mêmes questions à l’échelle mondiale que celles que nous nous posons à l’échelle nationale. En France par exemple, on a dû confiner les populations. Mais ce faisant, on arrêtait en quelque sorte l’activité économique, ce qui nous confrontait à la vulnérabilité des populations désormais sans salaires… Le gouvernement y a alors répondu par des mesures de chômage partiel, d’aides aux entreprises pour éviter les faillites… Eh bien, de la même façon, à l’échelle mondiale, tous les États ont-ils les moyens de soutenir avec des mesures de protection sociale leur population et leurs entreprises dans la même situation ? La réponse est non. Il y a donc déjà une nécessité de financer à l’échelle mondiale pour pallier les insuffisances dans ces pays. Si on ne le fait pas, concrètement ces populations risquent de tomber dans de véritables crises humanitaires. Le Programme alimentaire mondial a par exemple alerté sur un possible doublement du nombre de personnes au bord de la famine en 2020.

Que prévoit votre plan pour les soins ?

De la même façon qu’à l’échelle nationale, on se pose la question de savoir si on a des masques, des respirateurs, des tests… la question vaut pour ces pays les plus pauvres. Quand on sait qu’il y a un médecin pour 5 000 habitants dans un pays comme l’Angola, un respirateur pour un million de personnes au Mali ou 15 000 lits de réanimations en tout et pour tout en Somalie… On comprend l’ampleur des besoins. D’où la nécessité d’une mobilisation de la communauté internationale pour faire en sorte que soient produits en nombre — et si on mutualise, ça coûtera moins cher — tous ces équipements et qu’on veille à les fournir à ces pays aussi. Ce sont là les mesures d’urgence. Pour les financer, l’effort doit venir des institutions internationales, des pays les plus riches mais aussi des pays pauvres eux-mêmes, si on leur en laisse les moyens. C’est pour cela que nous réclamons des allégements des dettes de ces pays. Parce qu’ils sont pris à la gorge par le remboursement de leurs dernières et ne trouvent pas du coup dans leur budget les ressources nécessaires pour agir.

Vous demandez également à ce que le futur vaccin contre le coronavirus soit accessible à tous ?

Oui, à plus ou moins long terme, c’est naturellement le vaccin seul qui nous sauvera. Nous espérons tous qu’il pourra être trouvé d’ici 12 ou 18 mois, dit-on généralement. Pour qu’il soit trouvé, il faut que des équipes de recherches composées de gens du monde entier y travaillent. Que ces équipes de recherches soient financées comme il le faut par la communauté internationale pour bien avancer. Que les vaccins soient adaptés aux différents contextes et climats parce qu’on sait par exemple que certains traitements réclament une réfrigération qui est impossible dans certaines parties du monde. Il faut donc bien prendre en compte tout cela dès maintenant dans les recherches pour ne pas devoir rattraper les choses après. Enfin, une fois ces vaccins trouvés, il faut bien veiller à ce qu’ils soient accessibles à l’ensemble des populations du monde, qu’il n’y ait pas de barrière de coût à l’entrée, mais aussi qu’ils arrivent à ces populations.

Les traitements arrivent plus difficilement dans les pays les plus pauvres ?

Chez ONE, nous savons comment on travaille sur l’accès des populations éloignées aux traitements. En moyenne, quand un traitement est trouvé pour une maladie, il faut au moins sept ans de plus avant qu’il arrive dans les pays les plus pauvres parce que généralement, les pays riches ont conclu des contrats d’exclusivité avec les fournisseurs de vaccins. Cela n’est plus acceptable. Il faut absolument revoir toutes ces règles et se dire que le vaccin contre le Covid-19 doit être un bien public mondial. Cela réclame évidemment des moyens.

© Photo Razak

« L’Union européenne, dans un premier temps, n’a pas franchement été à la hauteur notamment lorsque l’Italie l’appelait à l’aide. Un certain nombre d’acteurs ont cependant compris que c’était un crash-test pour cette institution »

Vous appelez à un plan international. Mais ne faut-il pas d’abord un plan européen ? Il y a eu le Brexit. Les Italiens se sont sentis particulièrement abandonnés par les autres nations européennes pendant la crise sanitaire… L’Union européenne (UE) n’est-elle pas fragilisée, aujourd’hui ?

Oui, l’UE, dans un premier temps, n’a pas franchement été à la hauteur notamment lorsque l’Italie l’appelait à l’aide. Un certain nombre d’acteurs ont cependant compris que c’était un crash-test pour cette institution et poussé dans le bon sens mais il est vrai qu’on a toujours des désaccords, des réticences et on voit bien encore aujourd’hui combien l’Allemagne ou les Pays-Bas s’opposent à l’idée de mutualiser les dettes liées au Covid-19 avec des coronabonds. À chaque crise, ce sont les mêmes débats. Sauf que celle-ci pourrait bien être la dernière.

Que doit faire l’UE ?

Au fond, la crise est tout aussi inédite pour l’Union européenne qu’elle l’est pour les États. Quand on regarde ce que les États ont été capables de faire en leur sein, qui aurait pu prédire il y a 4 mois qu’un État comme la France aurait déboursé d’un coup d’un seul 110 milliards d’euros de dépenses publiques pour son plan d’urgence ? Elle l’a fait parce qu’il ne pouvait pas en être autrement. Parce que le danger qui nous guette, celui de la récession totale si on n’aide pas les entreprises, si on n’aide pas les gens, est plus grave encore que de dépenser comme on le fait actuellement. Il faut donc bien soupeser le coût d’une inaction et cela vaut aussi pour l’Union européenne.

On parle beaucoup de l’Afrique, dont on connaît les difficultés : mais y a-t-il d’autres régions du monde qui vous inquiètent ?

Oui, bien sûr. Il y a aussi l’Amérique latine dont un certain nombre de pays sont en immense difficulté. Je pense à l’Équateur par exemple. De manière générale, tous les pays dans lesquels la gouvernance est faible et bien sûr les zones de conflit comme la Syrie, les endroits où s’entassent des populations réfugiées pour lesquelles la notion de distanciation sociale n’a pas grand sens… Il y a beaucoup de situations dans le monde qui nous inquiètent énormément.

Comment les pays riches peuvent-ils aider les pays les plus pauvres alors qu’ils sont déjà eux-mêmes en difficulté économique ?

Il faut envisager sérieusement le risque que l’on court si on n’aide pas les pays les plus pauvres. Le risque, c’est à la fois celui de la contagion de la maladie elle-même parce qu’elle continuerait à exister là-bas et elle reviendrait chez nous plus tard quand on penserait l’avoir à peu près effacée. Mais il y a aussi une autre forme de contagion qui est celle de la récession en tant que telle.

Quel impact cela pourrait-il avoir ?

Si ces pays tombent dans une récession comme ils n’ont pas vu depuis 25 ans, cela aura forcément des effets sur les importations et exportations, donc l’accès à un certain nombre de matières premières, sans parler des dérèglements financiers dus à un marché de la dette souveraine chaotique puisque ces pays ne sont plus en mesure de rembourser aucun créancier. Le chaos est toujours contagieux. Si on le laisse se produire, des colonnes de réfugiés rejoindront par centaines de milliers les routes de l’exil et ce n’est pas anodin non plus pour les pays riches. Donc oui, l’action peut paraître coûteuse mais la situation l’exige.

La pression migratoire pourrait donc s’intensifier dans les années qui viennent à cause de la crise sanitaire ?

Naturellement. Or, on sera confronté à la tentation des sociétés du nord de se replier sur elles-mêmes. Malheureusement, le confinement laisse des traces en termes de repli sur soi : on pense qu’on est plus à l’abri si on ferme les frontières, on se méfie des autres. Et s’ils étaient infectés ? Quand ce type d’état d’esprit rencontre une arrivée massive de réfugiés à vos portes, on imagine aisément les tensions et les populismes qui tirent leur épingle du jeu. Il faut donc absolument éviter d’en arriver là.

À combien estimez-vous les besoins des pays les plus démunis face au Covid-19 ?

Les ministres des finances du continent africain qui ont fait ce travail d’identification des besoins parlent de 100 milliards d’euros. Mais d’autres chiffres sont évoqués par les uns et les autres. Par exemple, pour ce qui est d’élaborer un vaccin commun et le rendre accessible à tous, on estime à peu près à 8 milliards d’euros le besoin en recherche, développement, distribution. Et il faut également veiller à ce que le Covid-19 n’occulte pas les autres pandémies qui, si on ne les soigne pas, peuvent être encore plus meurtrières que lui. C’est pourquoi nous demandons par exemple à ce que GAVI, l’alliance du vaccin qui s’occupe de vacciner des millions d’enfants de ces pays contre des maladies comme la tuberculose ou la rougeole soit refinancée à hauteur de 7,5 milliards d’euros.

Comment voyez-vous le monde après le coronavirus ?

Ce qu’il y a d’assez inédit dans cette crise, c’est que, pour la première fois, chacun en aura fait l’expérience. Nous ne l’aurons pas forcément vécu de la même façon, le confinement n’aura pas été le même selon qu’on soit riche ou pauvre. Mais qu’on soit riche ou pauvre, il y a quand même quelque chose qu’on a tous connu, c’est l’angoisse pour ses plus proches très vulnérables, dont on s’est tous dit potentiellement « je n’arriverai même pas à les revoir ». Chacun a connu la contrainte de ne pouvoir aller et venir à sa guise ou encore de devoir suivre soi-même la scolarité de ses enfants… Cette universalité d’expérience, assez inédite dans l’Histoire, devrait laisser des traces en termes de prise de conscience de nos fragilités, du sous-investissement dans notre système de santé, de la valeur de l’éducation, de la valeur d’un certain nombre de métiers indispensables jusqu’alors complètement déconsidérés. Au sortir de cette crise, si on veut être un peu optimiste, même si tout le monde ne se souviendra pas de ces bonnes résolutions, je pense donc qu’on sera mûr pour poser les bonnes questions sur notre système et nos priorités budgétaires.

ONE, 16 ans d’actions contre l’extrême pauvreté

Fondée en mai 2004 par le chanteur du groupe U2 Bono et le producteur américain Bobby Shriver, l’ONG ONE lutte contre l’extrême pauvreté et les maladies évitables. Sur son site Internet, l’ONG explique organiser des actions de plaidoyer ou des grandes campagnes de sensibilisation au niveau international pour « faire pression sur les gouvernements » et les « encourager à soutenir et financer des programmes » de lutte contre le sida et les maladies évitables dans les pays les plus démunis. ONE a notamment aidé à financer à hauteur de 37,5 milliards de dollars des initiatives en matière de santé comme le fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et le GAVI, l’Alliance du vaccin. Elle a aussi permis l’adoption de lois qui exigent une plus grande transparence des entreprises extractives afin de lutter plus efficacement contre la corruption. Parmi ses plus belles réussites, l’ONG se vante également d’avoir joué un rôle important dans l’adoption d’une loi américaine visant à pallier le manque d’accès à l’énergie en Afrique, intitulée « The Electrify Africa Act of 2016 ». Concernant son financement, ONE indique sur son site Internet qu’elle « n’accorde pas subventions, ne collecte pas de fonds auprès du grand public et ne reçoit pas de financements publics ». Ayant le statut d’organisation à but non lucratif, elle est « presque exclusivement financée par des fondations, des philanthropes et des entreprises partenaires ».

© Photo Razak

Engagement : « J’ai toujours été engagée »

Après avoir décidé de mettre sa carrière politique entre parenthèses en 2017, Najat Vallaud-Belkacem a rejoint en 2018 l’institut d’études Ipsos en tant que directrice générale déléguée chargée du département « Études internationales et innovation sociale ». Une expérience qui l’a amenée à « s’intéresser de beaucoup plus près à ce qui se passait à l’échelle internationale » et qui lui « a donné envie de donner un nouveau tournant à mon engagement en rejoignant une ONG internationale, pour mieux mobiliser les opinions publiques sur des sujets qui m’apparaissent majeurs. Parmi eux, les dérèglements de notre monde et les inégalités crasses d’un bout à l’autre de la planète », explique l’ancienne ministre socialiste qui « a toujours été engagée ». « Avant même d’être élue, lorsque j’étais étudiante, j’étais investie sur un plan associatif », souligne Najat Vallaud-Belkacem. Son choix s’est donc porté sur ONE, « une ONG qui lutte à la fois contre l’extrême pauvreté et les maladies évitables » et qui « se bat pour fournir des traitements » aux pays les plus pauvres du monde, notamment en Afrique. « Dans la période de pandémie globale Covid-19 que nous traversons, son expertise et ses combats sont particulièrement précieux. Je suis très heureuse de les avoir rejoints », se félicite l’ancienne ministre de François Hollande. « Contribuer à changer la société dans un sens plus vertueux et notamment lutter contre les inégalités m’a toujours fait vibrer ». Sa nomination au poste de directrice France de l’ONG ONE s’inscrit parfaitement dans cette logique.

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