Ancien membre du commando Hubert et ex-chef du commandement des opérations spéciales françaises, le vice-amiral d’escadre Laurent Isnard

a été nommé en août 2019 nouveau préfet maritime de la Méditerranée. Monaco  Hebdo l’a rencontré à l’occasion de sa visite officielle en principauté pour évoquer les missions de la préfecture maritime et les relations avec Monaco. Interview. 

Quelles sont les missions de la préfecture maritime ?

La préfecture maritime a plusieurs missions. Il y a l’action immédiate, donc la sauvegarde des biens et des personnes. On met en œuvre tous les moyens des différentes administrations (marine, gendarmes, affaires maritimes, douanes…) pour porter secours aux personnes ou aux biens. Il y a ensuite la coordination de la vie de tous les usagers de la mer : par exemple, lorsque vous autorisez la mise en place d’éoliennes en mer, lorsque vous réglementez les mouillages… Il faut donc organiser tout ça pour trouver un équilibre entre les besoins de chacun.

Quelles sont vos responsabilités en tant que préfet maritime ?

J’ai plusieurs responsabilités. Je suis préfet maritime, donc j’ai toute la zone économique plus l’assistance aux personnes dans les eaux territoriales. Mais il y a aussi le soutien aux pays avec lesquels la France a des protocoles : Espagne, Italie, Monaco. Je suis enfin commandant en chef pour la Méditerranée, donc j’ai autorité sur toutes les armées françaises qui opèrent en Méditerranée, de Gibraltar à Suez, mer Noire, Adriatique jusqu’à nos côtes.

L’une de vos missions est de lutter contre les trafics en Méditerranée : comment s’organise cette lutte ?

On agit de plusieurs manières contre le trafic en Méditerranée. On agit avec des administrations dont c’est le métier, à savoir les douanes, la gendarmerie… Mais parfois, il faut leur donner un soutien avec des bateaux de la marine nationale par exemple. On partage des informations en suivant la navigation, les transits des passagers des ferries par exemple. Ensuite, on a les moyens de détecter des choses anormales, des enquêtes sont menées et enfin, on décide d’agir en mer ou à quai. Ou alors on partage les renseignements avec d’autres pays pour qu’ils se saisissent de l’affaire.

De quelle nature sont ces trafics en Méditerranée ?

On a de tout. À peu près tout ce que l’on retrouve sur terre : trafics de drogues, de matières illicites, trafics de personnes, trafics d’armes…

C’est un trafic important ?

Oui, c’est un trafic important. Pour la drogue, par exemple, vous avez des filières qui viennent d’Afrique, et parfois d’Amérique du Sud, via l’Afrique. L’Asie profite aussi des moyens des cargos, des conteneurs voire même des navires de plaisance, des voiliers. Vous avez donc un peu tous les vecteurs de transport de cette drogue. Et les Européens sont aussi des consommateurs, donc, forcément, nous sommes des ports de destination.

Quels sont les moyens à disposition pour lutter contre ces trafics ?

On coordonne l’activité des uns et des autres pour mettre en commun les moyens pratiques concrets sur le terrain pour faire les interceptions ou partager l’information. Mais la préfecture maritime n’a pas un service uniquement dédié à la lutte contre les trafics. Elle aide, coordonne les patrouilles, partage l’information et lorsqu’il y a besoin d’agir, on met en rapport des services pour qu’ils puissent avoir des moyens nécessaires pour faire l’interception.

Lors d’une interview accordée à Monaco Hebdo(1) Olivier Wenden, vice-président de la fondation prince Albert II, a déclaré que la haute mer était aujourd’hui une « zone de non-droit »« on y fait ce que l’on veut en termes de commerce, d’extraction… » : vous êtes d’accord avec lui ?

Dire que la haute mer est une zone de non-droit n’est pas vrai. En tant que marin, je dirais plutôt que c’est un espace de liberté où on a besoin d’assurer la libre circulation des biens et des personnes. Pour la France, la Méditerranée c’est 30 % de son approvisionnement. Ce n’est donc pas un espace de non-droit, cela signifierait que l’on se fait pirater, qu’on pourrait prendre nos cargos, nos approvisionnements… Non, la haute mer est un espace de liberté que l’on doit préserver pour être sûr que nos approvisionnements arrivent… Il faut réguler cet espace, comme dans la rue. Il ne faut pas que cet espace de liberté soit utilisé par certains pour faire du trafic.

Comment réguler cette zone qui suscite des convoitises ?

La Méditerranée est un espace contraint. En revanche, 25 % du trafic international passe par la Méditerranée. On passe souvent d’une zone économique exclusive à l’autre, car il y a eu un découpage de la Méditerranée. On a des eaux territoriales, des zones économiques exclusives, des zones de responsabilité pour l’intervention des secours en mer… L’espace de la Méditerranée est bien découpé et chacun a une zone de responsabilités.

Quel est l’objectif de votre visite en principauté ?

Je viens tout d’abord pour me présenter, échanger avec le prince Albert II et le gouvernement monégasque, et voir comment on peut encore travailler mieux ensemble. Nous voulons évoquer tout ce qui est pollution, protection de l’environnement, comment on fait évoluer nos accords. Mais pour avoir une action commune. C’est aussi voir comment on peut travailler au mieux, identifier les axes d’amélioration ne serait-ce qu’entre administrations, pour être plus efficaces. Et sur la partie mer, voir comment on peut surveiller nos côtes, comment on peut mieux agir s’il se passe un incident, comment on régule l’activité…

Quels accords lient la France et Monaco ?

Nous avons beaucoup d’accords. Des accords anciens comme Pelagos, une zone protégée de 87 500 kilomètres carrés. Il y a aussi l’accord Ramoge (2) qui comporte deux volets : un volet anti-pollution et un volet recherche scientifique dans le domaine de l’environnement.

Où en est-on aujourd’hui avec l’accord Pelagos ?

On a fêté les 20 ans de l’accord Pelagos (3) il y a quelques semaines, à la préfecture maritime à Toulon. Ça avance bien, je pense que Pelagos est le bon exemple d’espace où on laisse beaucoup de liberté mais en même temps on sait réguler, donner de bonnes pratiques… On travaille actuellement sur le bruit rayonné des bateaux car le bruit des bateaux sous l’eau peut perturber la faune. On essaie de voir comment on peut partager le savoir-faire de nos bateaux militaires, qui eux, ont un intérêt du point de vue des sous-marins. Il faut mettre ce genre de connaissances à disposition de la marine marchande parce que pour l’environnement, cela aura un intérêt.

Et la marine marchande est sensibilisée à ce problème ?

Oui, la marine marchande comme la croisière sont sensibilisées. Vous n’imaginez pas des croisiéristes proposer à des gens de voyager et en même temps, être sur un bateau poubelle. Eux aussi ont cet intérêt en propre mais aussi économique. Pour pouvoir recevoir des passagers, ils sont obligés de se mettre aux normes et aux desiderata, des soucis et des préoccupations de leurs clients. Donc ils peuvent aussi être des modèles.

Vous évoquez les navires de croisière qui sont une source importante de pollution : comment luttez-vous contre cette pollution ?

On est en train de réguler. Il y a une nouvelle règle sur le carburant. Ils sont obligés d’adapter leur carburant. Nice et Toulon vont électrifier leurs quais. La région sud de la France est en train d’imposer des normes. Lorsque vous êtes avec des acteurs qui sont dans le peloton de tête de la régulation, qui sont porteurs, comme ici à Monaco, et qui utilisent, comme le prince Albert II, leur notoriété et leur statut pour faire avancer ces idées, forcément après, ça rayonne et ça devient la norme. Il faut donc partager ces bonnes idées et ces bonnes pratiques. Plus on est nombreux à les mettre en œuvre, plus cela a une influence.

Toute la difficulté est de trouver un équilibre entre protection et liberté ?

Comme sur les routes, il faut y aller crescendo avec les normes. Il faut « normer » au fur et à mesure, parce que cela correspond à une évolution à la fois des moyens et aussi de l’acceptabilité par les usagers. Nous ne pouvons pas « normer » de manière brutale. L’électrification des quais demande beaucoup d’aménagements, pas simplement dans les infrastructures portuaires mais aussi sur les bateaux qui n’ont pas été conçus pour être électrifiés… Il faut y aller crescendo, car si vous interdisez toute une flotte de bateaux qui ne peuvent plus venir dans vos ports, ils vont aller dans les ports voisins. C’est donc une activité économique en moins. La régulation de la pêche ne se fait pas non plus de manière brutale parce que des personnes en vivent, parce que la faune fluctue. On évolue ensemble et on a une idée d’où on veut aller.

Les yachts, particulièrement nombreux à Monaco et sur la Côte d’Azur, ruinent les fonds marins (dégazage, essence et plastique dans l’eau, ravages de posidonie…) : que fait la préfecture maritime contre ces ravages ?

Je suis venu aussi à Monaco pour parler des yachts, car à Monaco et sur les côtes françaises, il y a beaucoup de yachts. On doit voir comment on doit travailler. Les yachts apportent tout un secteur d’économies intéressant pour les concitoyens mais ils ont des conséquences qui peuvent être graves. Car, quand ils mouillent sur un herbier de posidonie, la chaîne du yacht détruit beaucoup plus qu’une chaîne d’un voilier. Le pouvoir de traction et de ratissage sur le fond marin n’a rien à voir avec un petit voilier. En cas de secours, il y a aussi plus de personnes à évacuer… Donc il faut parler de tout ça avec Monaco pour voir comment faire ça en bonne intelligence.

La règlementation des mouillages en Méditerranée est aussi un enjeu environnemental ?

Un arrêté sur les mouillages a été publié en juin 2019 pour réguler l’activité des mouillages et ainsi faire respecter l’environnement. Concernant les mouillages, il faut respecter la liberté de circulation, les gens ont droit de circuler dans les eaux territoriales et ils peuvent mouiller à divers endroits. On voulait éviter les mouillages où les gens restent pendant des années au même endroit. Et finalement, ça devient une sorte de cimetière aux bateaux. Avec le temps, des incidents peuvent survenir donc on se retrouve avec des bateaux qui s’échouent sur nos côtes ou qui coulent car le mouillage a lâché. On veut aussi éviter que des gros bâtiments mouillent dans des zones où il ne faut pas parce qu’ils ont des capacités de destruction de l’environnement trop fortes. Il faut leur mettre à disposition des zones, éventuellement leur mettre des mouillages… Mais les mouillages doivent être régulés.

Le mouillage est d’ailleurs un sujet que vous souhaitez évoquer avec vos homologues monégasques ?

Je suis venu à Monaco pour qu’on régule nos aires de mouillage de manière coordonnée. Si d’un seul coup, Monaco interdisait tous les mouillages, tous les bateaux seraient en mouillage en France, le long des côtes françaises. Et à l’inverse, si la France l’interdisait, tous les mouillages se retrouveraient devant Monaco. Nous avons donc besoin d’avoir des politiques coordonnées, pour le bien commun. Monaco n’est pas simplement une cité tournée vers la mer. La principauté est aussi plutôt avant-gardiste, un acteur très actif dans le domaine de la protection de l’environnement et de sa régulation. On a donc intérêt à partager nos vues pour avoir une action coordonnée.

La Méditerranée souffre aujourd’hui d’une pollution plastique importante. Quelles actions sont menées par la préfecture maritime pour lutter contre cette pollution ?

Je ne peux pas surveiller chacun pour voir s’il jette une bouteille à la mer. L’activité de mouillage va impliquer de fait la régulation des corps-morts, des coffres, des façons, des pratiques mais aussi des services. On ne veut plus voir de sacs poubelles posés sur la plage en se disant que quelqu’un d’autre viendra s’en occuper. Lorsqu’on va réguler l’activité de mouillage des yachts, des voiliers… il y aura des prestataires de service qui iront avec. Ils pourront récupérer les poubelles directement sur les bateaux pour ne pas qu’ils aient à les stocker. On va donc vers une forme de régulation qui va s’accompagner d’autres avantages, y compris pour l’usager de la mer.

D’autres mesures vont-elles être prises à ce sujet ?

Qu’est-ce que vous voulez, je ne peux pas interdire les bouteilles en plastique sur les bateaux.

Ni de prévention ou de sanction contre les pollueurs ?

Je ne vais pas courir après un bateau parce qu’il a jeté une bouteille en plastique. Je ne vais pas faire un assaut avec un commando ou les gendarmes parce qu’un bateau a jeté un plastique. Ce que je peux faire, c’est leur permettre de pouvoir se débarrasser de leurs déchets.

Et que faites-vous contre les autres pollutions, du type dégazage ?

En mer, on contrôle tout ce qui est pollution. De moins en moins de personnes vidangent leurs soutes en mer car on effectue des vols quotidiens avec les avions de la marine, des douanes. Le long de nos côtes, il n’y en a quasiment plus. Alors qu’avant, c’était une pratique mais ça ne l’est plus. Et dès qu’on constate une pollution de ce type, il y a des investigations immédiates, un tribunal, il y a des amendes fortes. Par ça, on a réussi à réguler. Pour revenir sur les bouteilles en plastique, il faut plutôt voir comment on gère les déchets sur de la plaisance quand ils sont en mouillage. Dans les ports, c’est déjà régulé. Il faut mettre à disposition des choses.

Si une marée noire se formait aujourd’hui au large des côtes monégasques et françaises, êtes-vous prêt à y faire face ?

Grâce à l’accord Ramoge, et plus précisément à RamogePol, accord signé entre l’Italie, Monaco et la France, on se porte assistance mutuellement en cas de pollution. On mettrait donc tous nos moyens à disposition pour aider car si une pollution arrivait au large de Monaco, elle aurait aussi des conséquences sur la France et l’Italie. On ne peut donc pas avoir des approches trop sectorisées en mer que ce soit dans le domaine du secours ou de la réglementation. Il faut toujours avoir une approche assez globale car elle a des conséquences pour l’un et pour l’autre. Il faut se doter d’une réglementation qui s’applique à tous. On sera alors auto-protégé.

Êtes-vous vigilant sur le sujet de la surpêche en Méditerranée ?

On est vigilant sur la surpêche. Mais aujourd’hui, le secteur de la pêche a intégré depuis plusieurs années qu’il fallait qu’ils gèrent leur patrimoine. Ils ont compris que la surpêche pendant un temps pouvait avoir des conséquences, et qu’ils pouvaient devoir vendre leur bateau. C’est quelque chose qui est intégré. Aujourd’hui, en Méditerranée, la surpêche est prise en compte par les professionnels. Certains voudront toujours qu’il y ait moins de pêche, mais on en a besoin économiquement mais aussi humainement car le poisson fait partie de notre alimentation.

Donc pas de mesures particulières contre la surpêche ?

On a fixé des quotas et on regarde comment on va les atteindre, comment on peut réguler. Et on régule en fonction de l’espèce. Dans notre stratégie, on a pris en compte des “spots” particuliers dans lesquels il faut être attentif. Parfois, on agit en fonction des périodes. Au bout d’un moment, il faut travailler assez finement.

Les drames des migrants se multiplient en Méditerranée : comment intervenez-vous ?

La France intervient à travers l’Union européenne (UE). Je pense, par exemple, à l’opération Frontex. Dans la zone de Gibraltar, on avait, par exemple, un patrouilleur des douanes pendant l’été. Il a porté assistance à un peu plus de 800 personnes. Il les a transmises aux autorités espagnoles, qui se sont ensuite occupées de les gérer, de les accueillir. La France est aussi présente à travers l’opération européenne Sophia pour la partie immigration au large de la Libye, Tunisie, en direction de l’Italie, de Malte, de l’Europe.

1) Lire Monaco Hebdo n° 1127.

2) L’accord Ramoge est un traité relatif à la protection de l’environnement marin et côtier d’une zone de la mer Méditerranée (zones maritimes de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca), de la principauté de Monaco et de la région Ligurie). Il a été signé en 1976 par la France, l’Italie et Monaco.

3) Signé par la France, l’Italie et la principauté de Monaco le 25 novembre 1999, l’accord Pelagos créant le Sanctuaire pour les mammifères marins en Méditerranée est entré en vigueur le 21 février 2002. Cet accord a pour objectif d’instaurer des actions concertées et harmonisées entre les trois pays pour la protection des cétacés et de leurs habitats contre toutes les causes de perturbations.