mercredi 24 avril 2024
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Fronde contre l’Europe

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Pas question d’augmenter les pouvoirs du conseil national. C’est le message qu’ont fait passer les autorités monégasques au Conseil de l’Europe.

Branle-bas de combat. Depuis près d’une semaine, Monaco a les yeux rivés vers Strasbourg. Gouvernement et conseil national se serrent les coudes pour livrer un message commun, dans des communiqués respectifs : non, Monaco n’entamera pas de révision constitutionnelle pour entériner une extension des pouvoirs du conseil national. Pourquoi une telle levée de boucliers ? Alors que Monaco est placé sous monitoring depuis son adhésion en 2004 au Conseil de l’Europe, un pas supplémentaire vient d’être franchi par la commission de suivi, chargée de vérifier le respect des engagements des Etats membres. Anne Brasseur, chargée du post-suivi du cas monégasque, a demandé aux juristes de la commission de Venise d’« examiner en particulier la compatibilité des dispositions constitutionnelles relatives au conseil national avec les standards démocratiques, tenant compte de la spécificité de la Principauté de Monaco ». Une initiative « unilatérale », rappelle le conseil national dans une déclaration commune, « acceptée par la commission de suivi, le 2 octobre, malgré les observations unanimes adressées par les autorités monégasques et les différents groupes du conseil national ». La goutte de trop pour la place de la Visitation qui concentre désormais assemblée et gouvernement mais aussi pour les partis politiques.

Rebelote
Le 29 octobre, à la demande du président Robillon, les 21 élus du conseil national, tous bords confondus, se sont en effet réunis pour signer une lettre commune à Anne Brasseur et au président de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, Jean-Claude Mignon. « Le conseil national, comme il l’a toujours fait, rappelle expressément qu’il n’a jamais sollicité, et n’a l’intention de solliciter, aucune extension de ses pouvoirs qui irait au-delà des dispositions de la réforme constitutionnelle de 2002, voulue par le prince Rainier III, en vue de l’adhésion de Monaco au Conseil de l’Europe. »
Ce n’est pas la première fois que les pouvoirs du conseil national sont dans l’œil du cyclone. Déjà fin 2008, les deux rapporteurs de l’époque, Leonid Slutsky, député de la Fédération de Russie, et Pedro Agramunt, sénateur de Valence, appelaient de leurs vœux « un élargissement » des prérogatives de l’assemblée. « Depuis 2002 (date de la modification constitutionnelle exigée par Strasbourg, N.D.L.R.), il n’y a eu aucun progrès, aucun élargissement des pouvoirs du conseil national, avait alors déploré le député russe qui stigmatisait l’inertie du gouvernement. Il faut faire un pas pour augmenter les pouvoirs du Parlement aujourd’hui trop faibles. » Les rapporteurs exigeaient alors, dans un premier temps, de voter rapidement la loi d’organisation du conseil national (l’actuelle date de 1964). Puis, de doter le parlement d’une initiative législative totale et d’un contrôle effectif de l’action gouvernementale, en lui accordant un droit d’amendement budgétaire. Pour Slutsky, la logique était simple : « C’est le Parlement qui doit contrôler le gouvernement et non l’inverse ». Ces déclarations avaient alors fortement courroucé l’ancien président du conseil national Stéphane Valeri et l’ex-ministre d’Etat Jean-Paul Proust. Ces derniers avaient alors rappelé, illico presto, que « la constitution garantit la stabilité des institutions et établit l’équilibre entre les pouvoirs du prince et de son gouvernement et ceux du conseil national. »

Marche arrière
Aujourd’hui, Anne Brasseur ne va pas aussi loin mais la réaction des autorités est sensiblement la même. Le gouvernement a ainsi « déploré cette démarche prise hors de tout débat préalable contradictoire » et réaffirmé « que l’organisation des pouvoirs publics et l’équilibre des institutions fait l’objet d’une adhésion générale des Monégasques et des résidents de la Principauté. » En clair, comment une organisation paneuropéenne pourrait-elle imposer ses vues à une population sans que celà soit considéré comme de l’ingérence ? Du coup, à quoi bon saisir la commission de Venise ? Les élus mettent les pieds dans le plat : « Sans questionner nullement l’efficacité ni l’expertise de la commission de Venise, le conseil national estime que la saisine de cette instance qui, rappelons-le, a pour fonction « d’être un instrument de l’ingénierie constitutionnelle d’urgence dans un contexte de transition démocratique […] et d’assurer le dépannage constitutionnel » est injustifiée et inutile pour préserver stricto sensu le bon équilibre de notre système institutionnel, tel que nous le connaissons aujourd’hui. » C’est pourquoi l’assemblée demande purement et simplement à Anne Brasseur de revenir sur la saisine de cette commission dont l’avis est, par ailleurs, purement consultatif. Interrogée à ce sujet, l’intéressée n’a pas souhaité répondre à nos questions. Il faudra attendre la prochaine réunion de la commission de suivi le 13 novembre pour savoir quelle sera sa décision.

Campagne polluée
En attendant, il est évident que la question du Conseil de l’Europe fera partie intégrante de la campagne électorale. Les piques et les joutes verbales ont déjà commencé. Lors des dernières réunions de quartier de Horizon Monaco, Laurent Nouvion ne s’est pas privé de fusiller l’organisation internationale. Parmi les balles perdues : « Le Conseil de l’Europe se fout de nos particularismes. Il pense que nous sommes des enfants gâtés et qu’ils peuvent continuer à nous emmerder. J’en ai ras-le-bol du Conseil de l’Europe. Cela devait être une aventure convenable au départ comme l’ONU, mais ce n’est pas comparable. L’ONU est, elle, une institution sérieuse. Le Conseil de l’Europe est là pour nous laminer. Le Conseil de l’Europe ne passera pas sur la charte sociale et les institutions. Ils vont nous foutre la paix », a-t-il clamé aux Moneghetti. Ou encore : « Les nuages s’amoncellent au-dessus de nos têtes. Le Conseil de l’Europe, c’est la fin ! C’est la fin de notre régime ! Avec nous, ils ne passeront pas. » Pour Laurent Nouvion, le Conseil de l’Europe voudrait carrément « faire de Monaco une monarchie parlementaire. » Et les candidats Horizon Monaco montrent du doigt l’action des membres de la délégation Bernard Marquet et Jean-Charles Gardetto : « A force de regarder vers Strasbourg, la majorité a oublié où se situe la place du palais », dixit Jean-Michel Cucchi. On ose à peine imaginer quelles seront les futures déclarations…
Dans une campagne électorale où beaucoup d’idées émises jusqu’à présent se ressemblent énormément, il est en tout cas évident que le positionnement des deux listes, Union monégasque et Horizon Monaco, vis-à-vis du Conseil de l’Europe fera partie des clivages pour le scrutin du 10 février 2013. Premier d’entre eux : même si les élus UP, R&E et indépendants candidats HM ont signé la déclaration commune, ils se sont démarqués en apposant aussi leur signature sur une lettre que le ministre d’Etat a fait parvenir au président de l’APCE, Jean-Claude Mignon…

Un rapport explicite ?
La décision d’Anne Brasseur de saisir la commission de Venise intervient après l’envoi de son avant-projet de rapport aux autorités monégasques en mai dernier. Dans ce document que Monaco Hebdo s’est procuré, la rapporteur ne parle pas de saisir la commission de Venise mais tance gentiment le gouvernement sur son inaction par rapport aux engagements pris en 2004. Convention sur la cybercriminalité, charte sociale, loi d’organisation du fonctionnement du conseil national… La liste est longue des textes toujours au point mort. « Pour l’heure, je suis dans l’obligation de constater que peu de progrès ont été réalisés », note Anne Brasseur. Lâchant une petite phrase aujourd’hui lourde de sens : « Tout en gardant à l’esprit la spécificité de Monaco, l’interprétation actuelle de l’équilibre institutionnel bien particulier inscrit dans la Constitution suscite quelques interrogations au regard de la compatibilité du fonctionnement des institutions avec les standards du Conseil de l’Europe. » Le rapport définitif devait être publié en février ou mars 2013. Après les élections…

Dominique Chagnollaud :
« Très surpris ! »

Dominique Chagnollaud, membre titulaire de la commission de Venise pour Monaco, s’étonne du recours à la saisine.

Par Adrien Paredes.

L’expert français Dominique Chagnollaud siège à la commission de Venise pour la Principauté, suppléé par Me Christophe Sosso. Il est professeur de droit constitutionnel à l’université de Paris Il et co-auteur avec Michel Troper du premier traité international de droit constitutionnel en trois tomes paru aux éditions Dalloz. L’ancien membre du tribunal suprême de Monaco de 2003 à 2007 ne comprend pas la décision de la commission de suivi. Selon lui, la Principauté n’a pas sa place au milieu des pays amenés à être étudiés par la commission de Venise.

Monaco Hebdo : Comment faut-il accueillir ce recours à la saisine de la commission de Venise ?
Dominique Chagnollaud : Je suis très surpris de la procédure. D’autres membres de la commission l’ont été également. Au départ, j’ai cru à une plaisanterie. La décision de recourir à la saisine a été annoncée en séance plénière sans que les autorités monégasques n’aient été au préalable informées. D’habitude, le recours à la saisine peut avoir lieu lorsque les autorités en ont été informées et lorsqu’il y a eu manquement de l’Etat concerné. Ce n’est pas le cas pour Monaco. Lorsque la Principauté a adhéré au Conseil de l’Europe, ses spécificités, notamment institutionnelles, ont été parfaitement intégrées. Je ne vois pas quel est le motif de cette saisine. De plus, le conseil national a déclaré qu’il ne souhaitait aucune extension de ses pouvoirs. Généralement, ce sont des pays en devenir qui nous sollicitent parce qu’ils veulent entrer dans l’Europe et demandent un accompagnement pour une réforme constitutionnelle. Cette demande est sans précédent, à ma connaissance.

M.H. : Peut-il être annulé ?
D.C. : A ce stade, je ne sais pas. L’affaire est très récente. Rien n’est programmé pour l’instant.

M.H. : Quel travail effectue la commission et qui peut la saisir ?
D.C. : Nous envoyons une délégation dans les pays concernés pour étudier des points précis. La commission de Venise peut être saisie à la demande d’un Etat comme ce fut le cas pour le Luxembourg en 2002 sur trois projets de loi ou à la demande du Conseil de l’Europe pour un texte très spécifique. Mais jamais on ne s’interroge sur un dispositif constitutionnel. D’autant que les institutions monégasques n’ont pas été contestées. On peut envisager un aménagement technique sur un point en particulier mais c’est du détail. Je pense que la décision de recourir à la saisine pour le dialogue post-suivi avec Monaco est un malentendu.

M.H. : De plus, cette décision intervient en période pré-électorale…
D.C. : L’initiative est maladroite. Ça relève de l’amateurisme. Elle intervient après le centenaire de la constitution monégasque (2011) et surtout en pleine période pré-électorale. Il s’agit d’une décision très particulière… C’est peut-être une manière de tenir compte des particularismes de Monaco.