jeudi 25 avril 2024
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Fascisme en Ukraine :
ces faits qu’il faut rappeler

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Si les accusations de nazisme de Vladimir Poutine à l’encontre de l’Ukraine relèvent en partie de la propagande de guerre pour légitimer l’invasion du pays, toute une série de faits relèvent bien d’éléments fascistes, et nostalgiques du Troisième Reich, qui gangrènent la politique et l’armée ukrainienne depuis bientôt vingt ans.

La guerre d’Ukraine est aussi une guerre d’informations. Vladimir Poutine, lors de son allocution télévisée du 21 février 2022, dénonçait le nazisme qui sévit, selon lui, en Ukraine, notamment dans les deux républiques séparatistes du Donbass, à qui il a reconnu l’indépendance, avant d’intervenir militairement. Il s’agissait pour le président Poutine de défendre les populations russes ou russophones d’agressions nationalistes du pouvoir ukrainien, et de l’armée, dans cette région. Des agressions teintées d’idéologie fasciste, également mêlées à de troublantes symboliques nazies, selon le Kremlin. Vrai ou faux ? Pertinent ou exagéré ? Les vérités, comme les manipulations, sont multiples, tant dans le camp russe qu’ukrainien et, comme le rappelle l’Américain Peter W.Singer, auteur de LikeWar [LikeWar : The Weaponization of Social Media (Comment les réseaux sociaux sont devenus une arme), 2018 (non traduit en français) — NDLR] le pouvoir ukrainien est en train de remporter cette « guerre de l’information » (1). Or, dans cette guerre totale, des éléments factuels méritent d’être remis en lumière, pour mieux comprendre les accusations de Vladimir Poutine à l’encontre des dirigeants ukrainiens.

Yarosh n’est autre que le fondateur de Secteur droit, un groupe paramilitaire qui fédère plusieurs groupuscules d’extrême droite aux méthodes réputées violentes, mais tout de même intégré aux forces armées ukrainiennes en avril 2015

Des « héros » ambigus

L’atmosphère politique en Ukraine est trouble. Le pays, déjà divisé culturellement dans une opposition entre pro-occidentaux et pro-Kremlin, cristallisée depuis la Révolution orange de 2004, est en plus divisé au sujet de ses “héros” historiques de l’indépendance, dont une frange exprime sans grande réserve son admiration pour des personnages politiques au passé teinté de fascisme et de soutien au IIIème Reich. Difficile d’imaginer aujourd’hui une rue Pétain à Paris, une avenue Mussolini à Rome, ou une place Franco à Madrid. En Ukraine, pourtant, une avenue à Kiev, la capitale du pays, a été renommée en 2015 en l’honneur de Stepan Bandera (1909-1959), un personnage politique controversé, accusé d’avoir collaboré avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Cet homme politique et idéologue, très actif entre 1930 et 1950, symbolise en Ukraine la lutte pour l’indépendance contre les combattants soviétiques de l’Armée Rouge, mais aussi contre la Pologne. Dirigeant de l’Organisation des nationalistes ukrainiens (Oun-B) entre 1940 et 1959, sous influence nazie jusqu’à 1943, Stepan Bandera a également fondé la Légion ukrainienne en 1941, qui s’est alliée au commandement de la Wermacht. Sa mémoire fait donc débat en Ukraine. Mais, après la révolte du Maïdan, le début de la guerre civile au Donbass et l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, le président Petro Porochenko a promulgué en mai 2015 les lois de « décommunisation » et de « désoviétisation » qui mettent en avant des personnages nationalistes, comme le général Hauptmann Choukhévitch, commandant adjoint d’un bataillon SS, mais aussi Stepan Bandera. Ces lois entendent rompre avec le passé soviétique de l’Ukraine, alors que les autorités combattent les séparatistes pro-russes, généralement nostalgiques de l’URSS. À Kiev, les élus du conseil municipal ont donc renommé cinq rues de la capitale, dont l’avenue de Moscou, en périphérie du centre, qui est devenue l’avenue Stepan Bandera. À noter que chaque 1er janvier au soir, depuis 2007, une « marche d’honneur, de dignité, et de liberté », en l’honneur de l’anniversaire de Bandera, réunit des cortèges exhibant des symboles néo-nazis, et des sympathisants de Svoboda, la formation politique réputée d’extrême droite (un député élu sur un total de 450 députés). Une statue de Bandera est également érigée à Lviv, dans la partie occidentale, à cinquante kilomètres de la Pologne, depuis le 13 octobre 2007. En Pologne, d’ailleurs, l’apologie de Stepan Bandera est punie par la loi depuis 2018, alors que les autorités israéliennes et russes condamnent officiellement Kiev pour avoir rebaptisé une de ses avenue au nom de Stepan Bandera. Si elle reste minoritaire en Ukraine, cette frange fasciste et nationaliste est néanmoins exploitée par le régime de Poutine pour combattre l’opposition et légitimer l’invasion de ce pays.

Fascisme en Ukraine symphatisants d’Azov
© Photo DR

Le bataillon Azov, un groupe paramilitaire de combattants volontaires, formé au début des luttes indépendantistes du Donbass, a été incorporé à l’armée régulière ukrainienne, dès l’automne 2014. Depuis, Azov fait office de régiment, financé par le ministère de l’intérieur ukrainien

Des bataillons néo-nazis dans les forces armées

Les références au fascisme, et au nazisme, ne se limitent pas au champ politique. Le bataillon Azov, un groupe paramilitaire de combattants volontaires, formé au début des luttes indépendantistes du Donbass, a été incorporé à l’armée régulière ukrainienne dès l’automne 2014. Depuis, Azov fait office de régiment, financé par le ministère de l’intérieur ukrainien. Or, ce bataillon — qui tient son nom de la mer qui borde l’Ukraine, la Russie et la Crimée — est dénoncé depuis 2014 par Amnesty International pour « crimes de guerre », tandis qu’une partie de ses membres se revendique ouvertement comme néo-nazis, tant dans les rues que sur les réseaux sociaux. L’emblème d’Azov, a lui-seul, réunit comme insignes la Wolfsangel et le Soleil noir, des symboles nazis qui ne laissent aucun doute sur leur idéologie dominante. Comme le rappelait déjà le journaliste Lev Golinkin dans l’hebdomadaire américain The Nation en 2019  (2) l’Ukraine est « la seule nation au monde à avoir incorporé une formation néo-nazie dans ses forces armées ». Ses fondateurs sont de tous bords : parmi eux, on retrouve le député Oleh Liachko, chef du Parti Radical, un des principaux soutiens financiers d’Azov avec le milliardaire, juif, Ihor Kolomoïsky, nommé gouverneur de Dnipropetrovsk en mars 2014, une importante région orientale du pays. Soutien du président Volodymyr Zelensky, cet oligarque est accusé par l’ancienne directrice de la banque centrale ukrainienne, Valerie Gontareva, d’avoir orchestré son agression suite à la nationalisation de son établissement PrivatBank, dont il est soupçonné de détournement de fonds, à hauteur de 5,5 milliards de dollars. Cet homme d’affaires apporte aussi des financements aux bataillons Aïdar, eux aussi accusés de crimes de guerre par Amnesty International depuis 2014. Le commandement d’Azov revient, quant à lui, au suprémaciste blanc, Andriy Biletsky, lieutenant-colonel de police et député (2014-2019) à la tête des Patriotes d’Ukraine et l’Assemblée sociale-nationale (SNA), deux organisations nationalistes fondées en 2005 et 2008. Cet homme politique de 42 ans dirige désormais le Corps national, le parti politique constitué de vétérans du régiment d’Azov et de membres de son corps civil. Estimés entre 10 000 et 15 000 membres en 2018, ses adhérents sont régulièrement présents dans les rangs des « marches de la dignité », à Kiev. Ces bataillons fascinent même au-delà des frontières ukrainiennes : selon le chercheur et historien russe Viatcheslav Likhatchev, « un certain nombre » de militants d’extrême droite en Europe se seraient enrôlés en 2014 dans des bataillons volontaires, de type Azov et Aïdar, notamment comme supports de propagande. Et, d’après la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), « une cinquantaine de Français », dont des personnes appartenant à l’ultra-droite, fascinés notamment par le bataillon Azov, s’apprêterait à combattre en Ukraine.

Dmitro Yarosh ou le « nationalisme ethnique »

Toujours dans l’armée, le 2 novembre 2021, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a nommé Dmitro Yarosh, fondateur de l’Armée des volontaires ukrainiens, comme conseiller du général Valerii Zaluzhnyi, le commandant en chef des armées ukrainiennes. Yarosh n’est autre que le fondateur de Secteur droit, un groupe paramilitaire qui fédère plusieurs groupuscules d’extrême droite aux méthodes réputées violentes, mais tout de même intégré aux forces armées ukrainiennes en avril 2015. Poursuivi par le Kremlin pour « appel au terrorisme et à l’extrémisme », il a fait l’objet d’un mandat d’arrêt international auprès d’Interpol entre le 25 juillet 2014 et le 2 janvier 2016. Dans son ouvrage Nation et Revolution, qui regroupe plusieurs de ses billets politiques, Yarosh préconise un « nationalisme ethnique », et souhaite imposer en Ukraine le « rôle dirigeant du peuple-souche » dans le pays  (3). En politique, Dmitro Yarosh a fait ses premières armes à la direction du Tryzub, un mouvement inspiré jusqu’en 2005 des idées nationalistes de Stepan Bandera. Secteur droit est ensuite devenu un parti en mars 2014, notamment financé par l’oligarque Ihor Kolomoïsky. Et s’il a quitté l’organisation en novembre 2015, c’est pour mieux fonder l’Armée des volontaires ukrainiens (UDA) en décembre de la même année, une formation militaire tout aussi droitière et nationaliste, qui entend protéger l’Ukraine des « agressions extérieures ». Ces éléments, purement factuels, semblent toutefois étouffés dans le traitement médiatique réservé aux analyses de cette guerre en Ukraine. Alors que la propagande sévit et tente de se frayer un chemin sur les différents canaux d’informations, réseaux sociaux en première ligne, rares sont les articles de presse qui, avant l’invasion russe, faisaient état de la présence de ce phénomène en Ukraine.

1) Peter W.Singer : Sur Internet, « L’Ukraine a déjà gagné la guerre de l’information », publié dans Le Monde, le 5 mars 2022. A lire ici : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/03/05/sur-internet-l-ukraine-a-deja-gagne-la-guerre-de-l-information_6116293_4408996.html.

2) Lev Golinkin, Neo-Nazis and the Far Right Are On the March in Ukraine, dans The Nation, le 22 février 2019.

3) Dmitry Yarosh, The Man Who Claims Victory in the Ukrainian Revolution, Speaks, dans Newseek Magazine, le 3 décembre 2014.