jeudi 28 mars 2024
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Marc Lazar : « 2022 restera dans les livres d’histoire de l’Italie »

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Le 25 septembre 2022, la cheffe du parti Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni, a remporté les élections législatives italiennes. Avec plus de 44 % des voix, l’alliance des droites, dominée par Fratelli d’Italia, dispose d’une solide majorité à la Chambre des députés et au Sénat. Pour Monaco Hebdo, Marc Lazar, professeur émérite d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po et président de la School of Government de la Libre université internationale des études sociales (Luiss) à Rome (1), analyse ce vote historique en Italie.

Qui est la dirigeante de Fratelli d’Italia, Giorgia Meloni ?

Giorgia Meloni est née à Rome en 1977, dans un quartier populaire. Elle est entrée en politique très jeune, comme elle le confie dans son autobiographie publiée en 2021, Io sono Giorgia [Je m’appelle Giorgia — NDLR] (2). Elle a été ensuite remarquée pour ses qualités de militante dévouée, déterminée (3).

Son premier mandat remonte à quand ?

Elle est entrée au parlement en 2006. Dans le dernier gouvernement de Silvio Berlusconi, du 8 mai 2008 au 16 novembre 2011, elle a été ministre pour la jeunesse, un petit ministère où elle ne s’est pas spécialement illustrée. Fin 2012, avec d’autres, elle a créé un parti, qui s’appelle Fratelli d’Italia [frères d’Italie — NDLR], qui reprend le titre de l’hymne national italien. Ce parti s’est transformé en un parti de droite radical, conservateur, parfois même réactionnaire sur certains points, et largement nationaliste et souverainiste. Giorgia Meloni est une remarquable oratrice, une femme qui mêle des formes d’extrémisme dans ses discours à la foule, et de volonté de rassurer les milieux de décideurs italiens, européens, et internationaux. Ce qu’elle fait d’ailleurs actuellement.

Qu’est-ce qui a été décisif dans son ascension ?

À partir de 2018, c’est-à-dire à partir du début de la législature qui se termine actuellement, Giorgia Meloni est montée en puissance. En particulier par la décision qu’a prise en 2021 Fratelli d’Italia de ne pas participer au gouvernement de Mario Draghi. Et d’être ainsi quasiment la seule force d’opposition en Italie. Cela a vraiment été un élément important. Dès 2019, on a également remarqué qu’une partie des électeurs de la Ligue, un parti avec qui elle est alliée, préféraient de plus en plus aller du côté de Fratelli d’Italia. Elle s’est aussi imposée dans le débat public comme une femme, notamment lorsque dans un meeting, elle a hurlé : « Moi, je suis Giorgia, je suis femme, je suis mère, je suis italienne, je suis chrétienne, et ça, vous ne me l’enlèverez pas. » C’est devenu véritablement viral. Un groupe de rap a repris ces mots pour se moquer d’elle. Et, à son tour, elle a repris ce que ce groupe de rap avait fait. Tout cela a fonctionné en circuit, et elle a réussi à attirer l’attention sur elle. Tout ça dans un milieu de la politique italienne qui est très masculin.

Quelles sont ses influences aujourd’hui ?

Les influences de Giorgia Meloni sont un mélange. Elle se définit comme chrétienne, mais elle est plutôt proche des milieux chrétiens traditionalistes. Elle est très marquée par les milieux conservateurs, et par certains penseurs conservateurs. On se souvient aussi qu’elle a accueilli l’homme d’affaires et homme politique américain, Steve Bannon à Rome, il y a quelques années. D’un point de vue politique, ses deux principales figures de référence sont Donald Trump aux États-Unis et Viktor Orban en Hongrie.

Qu’est-ce qui la séduit dans le discours tenu par Viktor Orban ?

Elle se reconnaît dans la vision de l’Europe défendue par Viktor Orban. C’est-à-dire que l’Europe est menacée par l’Islam, par les migrants, et par les immigrés. Et que, face à cela, la démocratie chrétienne, qui a joué un rôle essentiel pour construire la communauté économique européenne, a cédé, s’est effondrée. Il faut donc restaurer les valeurs fondamentales de l’Europe qui sont les valeurs de la famille traditionnelle, et des religions chrétiennes.

« Giorgia Meloni est une remarquable oratrice, une femme qui mêle des formes d’extrémisme dans ses discours à la foule, et de volonté de rassurer les milieux de décideurs italiens, européens, et internationaux »

Qu’est-ce qui différencie Giorgia Meloni de son concurrent, Matteo Salvini ?

Entre Giorgia Meloni et Matteo Salvini, il y a des différences politiques de fond. Au départ, quand la Ligue du Nord (LN) est créée le 4 décembre 1989, elle est régionaliste, autonomiste, et tentée par le séparatisme. À l’époque, le MSI, puis Alliance Nationale, ont toujours été opposés à cela, parce que eux sont des partis nationalistes. Pour eux, il n’est donc pas question de séparer une part de l’Italie de l’autre. Au départ, la LN se déclarait anti-fasciste, et était, par conséquent, opposée à ces partis. En 2018 et 2019, Matteo Salvini a eu beaucoup de succès, et il a obtenu un score remarquable aux élections européennes de 2019. Mais, depuis 2019, il a montré toutes ses limites, ses incohérences, et ses inconséquences. Il y a beaucoup d’interrogations sur ses capacités politiques. Alors que Giorgia Meloni est beaucoup plus cohérente. Elle a été dans l’opposition du gouvernement de Mario Draghi, alors que la Ligue de Salvini y a participé. Donc, quand la Ligue a essayé de montrer qu’elle s’opposait au gouvernement de Draghi pendant cette campagne, elle a été peu crédible.

Quels sont les points communs entre Giorgia Meloni et Matteo Salvini ?

Parmi les points communs entre Giorgia Meloni et Matteo Salvini, il y a la critique de l’Europe, la critique de l’Islam, et la critique de l’immigration. Mais Fratelli d’Italia s’inscrit dans cette tradition d’une famille politique marquée par la dimension nationale. La conversion de Salvini à cette dimension nationale est très récente. C’est à partir de 2013, quand il a pris la direction du parti, il a alors essayé de transformer la LN en ligue nationale, un peu sur le modèle du Front National (FN). De ce point de vue là, Giorgia Meloni possède un antécédent. Au départ, Fratelli d’Italia est davantage implanté dans le sud de l’Italie. Cette année, c’est impressionnant : on voit que ce parti est implanté sur tout le territoire. En revanche, la Ligue, qui a été fortement battue pendant ces élections à la chambre des députés, est repliée sur ses bases traditionnelles du nord de l’Italie.

Aux législatives de 2018, Giorgia Meloni avait fait à peine 4 %, et elle a engrangé 26,1 % des votes, le 25 septembre 2022 : comment expliquer cette montée en flèche, en seulement quatre ans ?

Depuis 2012, Fratelli d’Italia est dans l’opposition. Ce parti apparaît donc comme le parti de l’alternance, voire de l’alternative. Or, depuis les années 1990, à chaque élection, les Italiens votent pour les partis de l’alternance. Du coup, de manière cohérente, et même si Giorgia Meloni a été ministre pendant trois ans, de 2008 à 2011, elle apparaît comme le parti qui n’a jamais été expérimenté. Donc l’idée, c’est pourquoi pas elle ? On a tout essayé. On a essayé la gauche, on a essayé un gouvernement technique avec Mario Draghi, Forza Italia a été au pouvoir, le mouvement 5 Étoiles et la Ligue aussi. Du coup, Meloni représente la possibilité de quelque chose de nouveau, alors qu’elle est en politique depuis près de 30 ans.

« À partir de 2018, c’est-à-dire à partir du début de la législature qui se termine actuellement, Giorgia Meloni est montée en puissance. En particulier par la décision qu’a prise en 2021 Fratelli d’Italia de ne pas participer au gouvernement de Mario Draghi »

D’autres facteurs expliquent cette réussite fulgurante, depuis 2018 ?

L’autre élément important, c’est que le programme du parti de Giorgia Meloni développe tout un argumentaire sur toutes les questions sociales, dans un pays qui souffre beaucoup. C’est un programme qui prône le libéralisme économique, ce qui a plu aux patrons des petites entreprises du nord de l’Italie. Mais c’est aussi un programme de protection sociale, avec des augmentations de dépenses importantes pour l’État. Notamment concernant les pensions d’invalidité, ou les allocations chômage pour les travailleurs indépendants, donc les artisans et commerçants, qui ont d’ailleurs voté pour elle à hauteur de 33 %. Ce programme très ample, lui a permis de ratisser large.

Son programme est aussi très conservateur ?

Son programme est aussi très conservateur, car il en appelle à la nation, avec l’idée du « make Italy great again », et donc de restaurer la puissance de l’Italie, et de se sentir fier d’être Italien. Il y a aussi une conception de la nation fondée sur les liens du sang. L’Italie, c’est d’abord être né de parents italiens, de sang italien. Par rapport aux 5 millions d’immigrés présents en Italie, Giorgia Meloni ne propose pas de changement concernant les possibilités d’accès à la citoyenneté italienne.

Comment fonctionnent les demandes de citoyenneté en Italie ?

Un étranger peut demander la citoyenneté italienne après dix ans de résidence permanente sur le sol italien. La gauche voulait mettre en place le droit du sol. Giorgia Meloni a toujours repoussé cette mesure, et elle ne la mettra pas en place. Pour elle, être Italien c’est aussi être chrétien, et avoir une famille nombreuse. Elle est également opposée à la théorie du genre, tout comme elle est contre ce qu’elle appelle le « lobby LGBT ». Elle exprime sa défiance à l’égard des couples homosexuels, sans vouloir revenir sur la loi qui reconnaît juridiquement les couples du même sexe. Elle propose donc un mélange, avec une dimension nationale et des propositions conservatrices, avec, par exemple, le droit au « non avortement », qu’elle préfère au droit à l’avortement. Les femmes italiennes sont en train de se mobiliser sur ce sujet.

« Giorgia Meloni a accueilli l’homme d’affaires et homme politique américain, Steve Bannon à Rome, il y a quelques années. D’un point de vue politique, ses deux principales figures de référence sont Donald Trump aux Etats-Unis et Viktor Orban en Hongrie »

Giorgia Meloni souhaite sortir de l’Union européenne (UE) ?

Giorgia Meloni ne veut plus sortir de l’Europe et de l’euro. Mais elle critique l’Europe, car elle estime que les intérêts de la nation italienne n’ont pas été assez défendus, et elle affirme qu’elle les défendra.

Quelle est son attitude vis-à-vis de la gauche ?

Giorgia Meloni est hostile à la gauche. Pour elle, la gauche ce sont les impôts. La gauche, c’est aussi l’Europe et l’occultation des intérêts italiens. Elle estime aussi que la gauche favorise les minorités sexuelles et culturelles. C’est ce qu’on appelle de plus en plus en Italie « l’anti-anti-fascisme ».

En quoi cette victoire du 25 septembre 2022 est-elle historique ?

La victoire de Giorgia Meloni est historique pour plusieurs raisons. C’est la première fois qu’une femme va accéder à la présidence du conseil. C’est aussi une situation historique, parce qu’avec plus de 36 % l’abstention a atteint un niveau record. Cela montre qu’en Italie, la défiance politique est considérable. Enfin, cette date est historique parce que la coalition de « centre droit » est devenue une coalition de « droite centre ». Jusqu’ici, cette coalition était dominée par Silvio Berlusconi. Maintenant, elle est dominée, de manière écrasante, par Fratelli d’Italia et Giorgia Meloni. Tout cela devrait aussi entraîner la recomposition de plusieurs partis politiques. Pour toutes ces raisons, l’année 2022 restera dans les livres d’histoire de l’Italie.

« Giorgia Meloni ne veut plus sortir de l’Europe et de l’euro. Mais elle critique l’Europe, car elle estime que les intérêts de la nation italienne n’ont pas été assez défendus, et elle affirme qu’elle les défendra »

La nette victoire de Giorgia Meloni donne une majorité parlementaire absolue à une coalition dite de « centre droit » qui doit désormais piloter l’Italie : comment peut-elle consolider l’alliance des droites et comment va-t-elle composer son gouvernement ?

Giorgia Meloni sait qu’elle est très observée par le président de la République, Sergio Mattarella, qui a le pouvoir de nommer les ministres, sur proposition de la présidente du conseil. Des négociations sont en cours pour la formation du gouvernement. Giorgia Meloni sait aussi qu’elle est regardée par l’Europe, par les grandes capitales internationales, et notamment par les États-Unis. On sait qu’elle veut donner des ministères à des personnalités responsables, car elle est consciente qu’elle doit faire ses preuves et démontrer sa capacité à gouverner. Mais ça sera difficile, car il y a des sujets marqués par de fortes divergences.

Quels sont les sujets les plus compliqués ?

Concernant l’Europe, Forza Italia de Berlusconi est plus pro-européen que Giorgia Meloni et Matteo Salvini. À propos de la guerre en Ukraine, Giorgia Meloni a fermement condamné l’invasion russe, et elle est résolument en faveur des sanctions et de l’envoi d’armes à l’Ukraine. Ce qui n’est pas du tout le cas de Silvio Berlusconi et de Matteo Salvini. À propos des finances de l’État, Salvini veut baisser immédiatement les impôts. Même si Giorgia Meloni est d’accord avec ça, elle dit aussi qu’il faut d’abord regarder de près la situation financière du pays. Il existe donc des divergences. Tout laisse penser que cette coalition sera fragile.

À 36 %, l’abstention a atteint un taux record lors de ce scrutin : comment faut-il l’interpréter ?

Ces 36 % d’abstention sont effectivement un taux record. Cela représente une immense défiance qui existe en Italie contre l’ensemble de la classe politique. Comme dans beaucoup d’autres pays, l’écart entre les citoyens et cette classe politique est grand. Toutes les enquêtes d’opinion montrent le niveau de défiance considérable des Italiens à l’égard de la politique, dans un pays qui a d’énormes difficultés économiques, de fortes inégalités sociales, qui voit une progression de la pauvreté, et émet beaucoup d’interrogations sur ce que cela signifie aujourd’hui, en 2022, que d’être Italien. Le contexte est celui-ci, et il explique le divorce entre la politique et une majorité d’Italiens.

Quels sont les défis et les grandes décisions auxquels Giorgia Meloni doit désormais faire face ?

À peine installée, elle doit écrire la loi de finance. Car tous les pays de l’UE doivent présenter leur loi de finance, la faire voter par leurs parlements, mais aussi obtenir l’assentiment de Bruxelles. C’est donc l’urgence absolue pour Giorgia Meloni. Mais le gros dilemme, c’est qu’elle a fait beaucoup de promesses. Donc, qu’est-ce qu’elle va pouvoir faire, alors que l’Italie a un taux d’endettement considérable ? Elle est en situation de faiblesse, y compris dans la négociation qu’elle a annoncé vouloir faire avec la commission européenne. Elle souhaite réviser une partie du plan national de relance et de résilience mis en place par Mario Draghi. Ce plan doit mobiliser près de 200 milliards d’euros, qui n’ont pas été intégralement versés. Que peut-elle obtenir sur ce sujet ? À travers ce dossier, il faudra qu’elle satisfasse son électorat, ou au moins une partie. Sachant que l’électorat de Giorgia Meloni a des attentes contradictoires.

« Depuis 2012, Fratelli d’Italia est dans l’opposition. Ce parti apparait donc comme le parti de l’alternance, voire de l’alternative. Or, depuis les années 1990, à chaque élection, les Italiens votent pour les partis de l’alternance »

Et ensuite ?

Ensuite, Giorgia Meloni devra régler la question de son rapport à l’Europe. On attend aussi de voir quelles relations elle va établir avec la France et l’Allemagne, deux pays qu’elle a très souvent critiqués. Est-ce qu’elle va plutôt se tourner vers Budapest et Varsovie ? Pour Budapest, on sait qu’elle a la plus grande admiration pour Viktor Orban, même si elle est en désaccord avec lui sur la guerre en Ukraine, puisque Orban est pro-Russe. Et puis, il faudra aussi voir comment vont se traduire en politique son discours sur les valeurs et sur les questions de société. C’est une énorme responsabilité pour elle. Surtout qu’elle arrive au pouvoir, comme dans tous les pays européens, dans un moment où l’inflation est là, et où la préoccupation fondamentale des électeurs italiens, ce sont toutes les questions sociales. Avec notamment la question du prix de l’électricité et du gaz, surtout pour un pays dépendant comme l’Italie. Elle sait que la tâche est particulièrement ardue pour quelqu’un qui a une très faible expérience. Mais je crois que toute la classe politique italienne l’a sous-estimée, et l’a prise de haut. Aujourd’hui, on se rend compte que Giorgia Meloni est capable de beaucoup travailler, et qu’elle a des capacités.

Giorgia Meloni Fratelli d'Italia
De gauche à droite : Giorgia Meloni (Fratelli d’Italie), Silvio Berlusconi (Forza Italia), et Matteo Salvini (La Ligue). « Giorgia Meloni a été dans l’opposition du gouvernement de Mario Draghi, alors que la Ligue de Salvini y a participé. Donc, quand la Ligue a essayé de montrer qu’elle s’opposait au gouvernement de Draghi pendant cette campagne, elle a été peu crédible. » Marc Lazar. Politiste. © 2021 Alessia Pierdomenico/Shutterstock.

Le contexte est très difficile pour l’Italie, qui doit assumer une dette qui représente 150 % de son PIB, soit le ratio le plus élevé de la zone euro derrière la Grèce, alors que le pays affronte une inflation de plus de 9 %, avec des factures de gaz et d’électricité qui explosent ?

La marge de manœuvre de Giorgia Meloni est étroite, surtout avec les mesures sociales qu’elle a annoncées. C’est le dilemme qu’elle va devoir résoudre. Mais il faut préciser que la dette publique italienne est majoritairement détenue par les Italiens. Il s’agit donc d’une dette nationale. Néanmoins, sa marge de manœuvre est limitée sur les questions économiques et la négociation avec la commission européenne. Elle le sait. C’est pour ça que, par rapport à ce qu’elle a dit pendant sa campagne, elle risque de mettre davantage en avant tout ce qui relève des valeurs, par exemple. Ou la réforme qu’elle veut mener concernant l’élection au suffrage universel du président de la République. Autant de mesures qui ne coûtent pas grand-chose, mais qui, symboliquement, sont très marquantes. Mais elle sait que la commission européenne a aussi une marge de manœuvre limitée sur les questions économiques.

« Toutes les enquêtes d’opinion montrent le niveau de défiance considérable des Italiens à l’égard de la politique, dans un pays qui a d’énormes difficultés économiques, de fortes inégalités sociales, qui voit une progression de la pauvreté, et émet beaucoup d’interrogations sur ce que cela signifie aujourd’hui, en 2022, que d’être italien »

Pourquoi ?

L’Italie, ce n’est pas la Grèce. L’Italie, c’est la troisième puissance économique de l’UE. C’est la deuxième puissance industrielle derrière l’Allemagne, très loin devant la France. Giorgia Meloni sait que si la commission européenne est intransigeante avec l’Italie, le rapprochement de Rome avec Budapest et Varsovie sera facilité. Donc des deux côtés, Italie et commission européenne, la marge de manœuvre est étroite et compliquée.

La droite veut donc élire au suffrage universel le président de la République italienne ?

Depuis les années 1990, toute la droite est unie pour faire une réforme institutionnelle qui donnerait plus de pouvoir au président de la République italienne. Parfois, des membres de la gauche ont aussi soutenu cette proposition. L’élection du président de la République se déroulerait au suffrage universel. Dans le programme de la coalition de Giorgia Meloni ce point est indiqué. Mais ce sujet est davantage détaillé dans le programme de Fratelli d’Italia. L’idée, c’est de sortir de cette paralysie, de ce que l’on appelle en Italie l’ingouvernabilité, pour donner plus de pouvoir à l’exécutif, en donnant l’onction du suffrage universel au président de la République. Ce qui est moins clair dans le programme commun des trois partis de la coalition, c’est quels seraient exactement les pouvoirs du président de la République.

Giorgia Meloni
© 2022 MikeDotta/Shutterstock.

Où en est-on sur ce point ?

Cela n’est pas encore déterminé. Car il existe plusieurs modèles. Or, à titre d’exemple, les modèles français, portugais, ou finlandais sont très différents. Si la coalition de Giorgia Meloni avait eu les deux-tiers des sénateurs et des députés, elle aurait pu engager cette réforme et la faire passer. Mais comme les 66 % n’ont pas été atteints, pour s’engager dans cette réforme, il faudra passer par une procédure référendaire. Ce qui prendra du temps. Et puis, un référendum, c’est toujours risqué. Mais ils le feront. Il ont d’ailleurs proposé une commission de travail, y compris avec une partie des oppositions pour réfléchir sur cette réforme institutionnelle.

La gauche, dans son ensemble, n’est donc pas totalement opposée à cette réforme ?

Une partie de la gauche n’est pas hostile à cette réforme. Et une autre partie de la gauche a dénoncé cette mesure comme une attaque virulente contre la Constitution italienne. Élaborée en 1947 et mise en application à partir de janvier 1948, la Constitution italienne est une Constitution qui, par rapport à l’expérience de 20 années de fascisme, voulait donner le moins de pouvoir possible au pouvoir exécutif. Je pense qu’en disant que c’était une atteinte à la démocratie, la gauche a commis une erreur. En France, on élit notre président de la République au suffrage universel, dans d’autres pays aussi. Et ce n’est pas pour ça que ce sont des pays non démocratiques.

« Des deux côtés, à Paris comme à Rome, on va tendre la corde, mais pas trop. Parce que les intérêts sont considérables. L’Italie est le troisième partenaire commercial de la France, derrière la Chine et l’Allemagne. Alors que pour l’Italie, la France est son deuxième partenaire commercial, derrière l’Allemagne »

Quelles relations Giorgia Meloni va entretenir avec les pays européens, et en particulier avec la France ?

Entre Giorgia Meloni et la France, les relations sont fraîches. Le 3 janvier 2018, il y a eu une polémique. Le président français, Emmanuel Macron a prononcé un discours dans lequel il a dénoncé la « lèpre » populiste qui s’étend partout en Europe (4). Giorgia Meloni a fait une réponse cinglante à Emmanuel Macron. Plus généralement, elle a souvent fait des déclarations ouvertement anti-françaises. Elle reproche notamment à la France son intervention en Libye en 2011, contre les intérêts, selon elle, italiens. Dans un discours, elle a jugé que la France était un pays colonialiste qui exploite les enfants dans les mines en Afrique. De plus, et cela a beaucoup d’écho en Italie, elle a jugé que les entreprises françaises font leur marché en Italie, en rachetant des entreprises italiennes. Enfin, elle reproche à la France d’interdire aux entreprises italiennes de pénétrer dans le marché français.

Il y a aussi la question des migrants, bloqués à Vintimille ?

Giorgia Meloni reproche la politique migratoire française. Elle estime que la France rejette les migrants à Vintimille, du côté italien. Comme elle ne pourra pas obtenir beaucoup d’un point de vue économique de la part de la commission européenne, pour montrer sa différence, elle va en rajouter sur les autres sujets. La question des migrants fait partie de ces sujets. Elle a ainsi estimé qu’il fallait faire un blocus naval, investir des fonds avec l’Europe sur les côtes libyennes et toutes les autres côtes du Maghreb, pour séparer les « vrais réfugiés » et le reste de la population, à qui il faut interdire l’accès et la traversée de la Méditerranée.

Tout cela s’inscrit dans quel contexte en Italie ?

L’Italie a un sentiment anti-français très développé. J’ai fait une enquête et un sondage en 2019 qui montraient que 40 % des Italiens avaient de l’antipathie pour la France et les Français. Pour toutes ces raisons, il y aura des tensions et des polémiques. Mais des deux côtés, à Paris comme à Rome, on va tendre la corde, mais pas trop. Parce que les intérêts sont considérables. L’Italie est le troisième partenaire commercial de la France, derrière la Chine et l’Allemagne (5). Alors que pour l’Italie, la France est son deuxième partenaire commercial, derrière l’Allemagne. Donc si les relations dégénéraient, cela pourrait avoir des conséquences économiques importantes.

Il y a d’autres intérêts communs entre la France et l’Italie ?

Oui, il y a d’autres intérêts communs entre la France et l’Italie, comme, par exemple, l’assouplissement de la dette et du déficit public des deux pays. Mais ce qui est certain aussi, c’est qu’entre l’Italie et la France, ce ne sera plus la lune de miel, et la relation très chaleureuse, qui existait entre Mario Draghi et Emmanuel Macron. Ce sera beaucoup plus froid. Mais le principe de la raison d’État l’emportera.

Que représente Monaco pour Giorgia Meloni ?

À ce jour [cette interview a été réalisée le 29 septembre 2022 — NDLR], je n’ai pas vu de déclaration de Giorgia Meloni concernant Monaco. Mais, d’une façon générale, elle devrait avoir de bonnes relations avec la principauté.

Élections législatives en Italie du 25 septembre 2022 : Chambre des députés, l’essentiel des résultats (1)

Coalition de droite : 44 %
Fratelli d’Italia : 26,1 %
Ligue : 8,9 %
Forza Italia : 8,3 %


Coalition de gauche : 26,2 %
Parti démocrate : 19 %
Verts et gauche : 3,5 %

Mouvement 5 étoiles : 15,3 %

Terzo Polo : 7,8 %

1) Les résultats complets sont à consulter par ici : https://elezioni.interno.gov.it/camera/scrutini/20220925/scrutiniCI.

Source : ministère de l’intérieur italien.

Élections législatives en Italie du 25 septembre 2022 : répartition du nombre de sièges à la chambre des députés

Coalition de droite et d’extrême droite : 237 sièges, dont 118 pour Fratelli d’Italia

Coalition de gauche : 84 sièges

Mouvement 5 Étoiles : 52 sièges

Troisième Pôle : 21 sièges

Autres : 6 sièges

Total : 400 sièges

Source : ministère de l’intérieur italien.

1) Peuplecratie. La métamorphose de nos démocraties, de Marc Lazar et lvo Diamanti (Gallimard), 192 pages, 19,50 euros.

2) Io sono Giorgia, de Giorgia Meloni (Rizzoli), 336 pages, 7,99 euros (format numérique), 17,10 euros (format « papier »). Édition en italien.

3) Alors qu’elle est encore adolescente, Giorgia Meloni rejoint le Mouvement postfasciste du Mouvement social italien (MSI), créée le 26 décembre 1946 par des anciens de la République de Salo, restés fidèles à Benito Mussolini jusqu’à la fin. Parmi eux, Augusto de Marsanich (1893-1973), Giorgio Pini (1899-1987), Arturo Michelini (1909-1969), Pino Romualdi (1913-1988), ou encore Giorgio Almirante (1914-1988). Le MSI est devenu  Alliance nationale le 27 janvier 1995.

4) Le discours du 3 janvier 2018 prononcé par Emmanuel Macron est à lire par ici.

5) En 2020, les échanges commerciaux entre la France et l’Italie ont atteint 71,3 milliards d’euros, contre 131,6 milliards avec l’Allemagne, et 73,9 milliards avec la Chine.