Edito 1163 : « Sobriété »

Le phénomène n’en est qu’à ses débuts, mais déjà, il inquiète. Un rapport présenté le 24 juin 2020 par une mission d’information du Sénat en France, a révélé que le secteur du numérique serait à l’origine de 3,7 % des émissions totales de gaz à effet de serre (GES) dans le monde en 2018 et de 4,2 % de la consommation mondiale d’énergie primaire. Ajoutons à cela que 44 % de cette empreinte serait provoquée par la fabrication des terminaux, des centres informatiques et des réseaux, et 56 % à leur utilisation. A l’heure où l’on parle de plus en plus de relance économique, malgré la lourde incertitude que continue de faire peser la pandémie de Covid-19 dans le monde, le numérique est souvent présenté comme une piste sérieuse pour redresser la barre. On se souvient aussi que, pendant la période de confinement imposée par la crise sanitaire, le numérique a été un véritable atout, que ce soit pour permettre le télétravail, ou pour se divertir depuis chez soi. Mais, en parallèle, de plus en plus d’études montrent que le numérique est très loin d’être neutre. Ses nuisances sont bien réelles, loin de l’imaginaire du numérique, dans lequel on évoque souvent la notion de “cloud” [nuage — N.D.L.R.], par exemple. D’ailleurs, dans son rapport, la mission d’information du Sénat souligne que le numérique repose sur « un secteur bien matériel composé de terminaux, de centres informatiques et de réseaux ». En France, le numérique pesait pour 2 % du total des émissions de GES en 2019, et, si rien n’est fait, ce chiffre pourrait augmenter de « + 60 % d’ici à 2040 » indique ce rapport. A Monaco, même si l’Etat mise beaucoup sur un avenir numérique, avec l’avènement de la “smart city”, impossible de connaître le poids écologique du numérique. Interrogé par Monaco Hebdo en février 2020, le délégué interministériel à la transition numérique, Frédéric Genta, nous a dit travailler avec « Annabelle Jaeger-Seydoux [directrice de la Mission pour la transition énergétique (MTE), créée en 2016 — N.D.L.R.] sur le sujet. On essaiera de sortir quelque chose d’ici la fin de l’année 2020, pour modéliser les choses ». Une certitude, quel que soit le chiffre, l’effet pour l’environnement n’est pas neutre. Au banc des principaux accusés, les vidéos visionnées en “streaming”, qui représentent désormais 61 % du trafic Internet. Les émissions des data centers [centres de données — N.D.L.R.] sont aussi pointées du doigt, tout comme l’arrivée de la 5G, qui devrait doper encore un peu plus la consommation. En France, les sénateurs ont d’ailleurs réclamé que la 5G soit « l’objet d’une étude d’impact complète ». Monaco va-t-il suivre le même chemin ? En attendant, l’idée d’amorcer une « sobriété numérique » fait son chemin, y compris en principauté, comme nous l’a expliqué Annabelle Jaeger-Seydoux (lire son interview dans ce numéro). Il est en tout cas urgent d’amorcer une réflexion sur ce sujet, car la situation l’exige. En effet, d’ici 2040, même si les engagements de l’accord de Paris de décembre 2015 étaient tenus, « le numérique pourrait atteindre 6,7 % des émissions de GES de la France, un niveau bien supérieur à celui émis actuellement par le transport aérien (4,7 %) ». Les sénateurs français estiment que le coût de ces émissions passerait ainsi de « 1 milliard à 12 milliards d’euros entre 2019 et 2040 ». Tout sauf neutre.