Edito 1213 : « Horreurs »

L’onde de choc provoquée par le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase) dirigée par Jean-Marc Sauvé et publié le 5 octobre 2021, n’en finit pas de résonner. En France bien sûr, mais aussi dans le reste du monde, et notamment à Monaco, on s’interroge face à ces chiffres qui laissent sans voix. Au moins 216 000 mineurs ont été victimes d’abus sexuels au sein de l’Église en France, entre 1950 et 2021. Ce nombre atteint « 330 000 si l’on ajoute les agresseurs laïcs », estime cette commission. Les pédocriminels seraient entre 2 900 et 3 200, alors que les victimes seraient à 80 % de jeunes garçons, entre 10 et 13 ans. Dans ce rapport de plus de 2 000 pages, Jean-Marc Sauvé met rapidement en avant « le déni et l’euphémisation des abus, la culture du secret et du silence, la peur du scandale — cette notion étant dévoyée en protection de l’institution, alors que le scandale réside, aux termes mêmes de l’Évangile, dans l’atteinte portée aux enfants —, tous ces traits caractéristiques d’une certaine culture au sein de l’Église catholique ont retardé la prise de conscience de la gravité du mal et l’édiction de mesures appropriées pour prévenir ces crimes, punir leurs auteurs et réparer le mal fait ». Contacté par Monaco Hebdo, le diocèse de Monaco a accepté de s’exprimer par le biais de son délégué épiscopal à la communication, l’abbé Christian Venard. Dans la longue interview qu’il nous a accordée, et que nous publions dans ce numéro, il explique ne pas vouloir donner de « leçon » à l’Église de France, tout en condamnant fermement ces crimes qui ont duré au moins 70 ans au sein de cette institution. En septembre 2020, l’archevêque de Monaco, Monseigneur Dominique-Marie David, s’interrogeait déjà sur ce sujet, et notamment sur les victimes de ces abus sexuels : « Peut-on réparer ? Faut-il réparer matériellement ? Et est-ce que ça suffira ?, se demandait-il alors. On voit aussi ce que ça détruit dans le cœur des victimes par rapport à la confiance apportée, pas seulement à l’Église et à ses représentants, mais de manière plus générale. Ça remet en cause leur foi, leur expérience personnelle… Parfois, ce sont des vies qui mettent bien longtemps à se reconstruire. Quand elles peuvent se reconstruire. » Mgr David avançait déjà quelques pistes de réflexion pour lutter contre ce phénomène : « Il faut plus de transparence, de la prévention, et aussi insister sur la formation, pas seulement des prêtres, mais aussi des éducateurs, et de tous ceux qui sont en position d’éducation. Il est important de mener une vraie réflexion sur ce qui a pu amener à ces horreurs. Il y a eu des dysfonctionnements. » Le rapport Sauvé révèle d’ailleurs comment la structuration même de l’Église a pu contribuer à rendre invisibles ces crimes. Le régime lié à cette institution, basé sur l’obéissance, fait obstacle à la critique interne, et va à l’encontre de la contestation. Le système même de gouvernance de l’Église est donc aujourd’hui en question, pendant qu’en creux, certains appellent de leurs vœux un concile Vatican III. Pour tourner définitivement la page, et avancer enfin.